Une femme de la Renaissance (tag d'Euterpe)
Si je devais choisir une femme de la Renaissance, je choisirais Isabelle Claire Eugénie d'Autriche, infante d'Espagne. D'abord parce que l'Espagne est la mal-aimée de l'histoire moderne, systématiquement taxée de bigoterie, assaisonnée de tas de vilains inquisiteurs tout chauves et tout crasseux, d'autodafés de juifs et de morisques à tous les coins de rues, et de cohortes de malheureux gens supposément frustrés par les susnommés vilains inquisiteurs. Et moi, j'aime bien l'Espagne du Siècle d'Or.
D'ailleurs, c'est facile de reconnaître les Espagnols dans les fictions et docus-fictions historiques : c'est ceux en noir, chauves à l'air très très vilain. Et ils veulent brûler tout le monde.
Parmi les Espagnols, il y en a un qui remporte la palme du gros vilain, c'est Philippe II, roi d'Espagne de 1556 à 1598. Dans les films, il fait toujours très peur. Alors que pourtant, même si le bonhomme n'a pas toujours l'air guilleret sur ses portraits, il n'y a pas non plus de quoi s'effrayer.
Pour ma part, j'ai une grande sympathie pour Philippe II - un peu moins pour son système de gestion des finances de l'Etat (= la banqueroute permanente, mais rien n'est parfait en ce bas monde). Si un jour vous avez comme moi l'heur de visiter 1 le Prado à Madrid et 2 l'Escurial à quarante bornes de Madrid, vous comprendrez sûrement mieux l'essence de ce grand roi, mécène éclairé (chez lui, il y avait aussi bien du Jérôme Bosch que du Greco), croyant sincère, politique rusé mais aussi homme d'une grande complexité, bon père de famille, époux aimant, ami affectionné pour les rares qui lui étaient vraiment proches.
Comme je vous le disais, il n'a pas non plus l'air spécifiquement marrant.
La légende veut qu'il n'ait ri qu'une fois dans sa vie.
En apprenant le massacre de la Saint Barthélemy.
La légende veut qu'il n'ait ri qu'une fois dans sa vie.
En apprenant le massacre de la Saint Barthélemy.
(sans déconner : il faut avoir visité l'Escurial une fois dans sa vie.)
Philippe II n'a pas eu de chance dans sa vie matrimoniale : marié une première fois, il eut pour fils le fameux Don Carlos (celui de l'opéra de Verdi), puis il s'est marié une seconde fois, un peu pour la déconne, avec la reine d'Angleterre Marie Tudor. La troisième fois, avec Elisabeth de Valois, qui avait bien vingt ans de moins que lui et qu'il aima sincèrement. Lorsqu'elle mourut, elle lui laissa deux filles dont l'une est celle qui m'intéresse, Isabelle Claire Eugénie, née en 1566. (Ensuite, il s'est encore marié une quatrième fois, histoire d'avoir enfin un héritier : ce qui a fini par marcher).
L'autre raison qui me fait aimer Philippe II, c'est que dans sa sagesse, il savait déceler l'intelligence chez les gens. C'est la raison pour laquelle il préféra toujours ses deux filles issues de son troisième mariage. La naissance de l'aînée, Isabelle Claire Eugénie, lui causa dit-on une grande joie, plus encore que s'il lui était venu un fils. L'affection qu'il porta à sa fille et à la soeur d'icelle, Catherine Michèle, ne se démentit jamais au fil des années.
Catherine Michèle, la petite soeur.
Par Sofonisba Anguissola (1577)
Mais vous avez VU ce portrait ? Ces yeux ?
Par Sofonisba Anguissola (1577)
Mais vous avez VU ce portrait ? Ces yeux ?
Philippe II aimait la compagnie de ses filles au point de les garder avec lui pendant ses séances de travail. Plus tard, elles se mirent à l'assister en lui traduisant des documents - car il leur fit donner une excellente éducation. Chose qu'il ne permettait pas à ses fils (qu'il prenait pour des imbéciles, et apparemment, il n'avait pas tort).
Philippe II avait de grandes ambitions pour ses filles : ainsi il manoeuvra pour pousser Isabelle Claire Eugénie sur le trône de France à la place d'Henri IV. Ce qui ne fonctionna pas (c'est là qu'on ressortit la fameuse loi Salique, vous savez, celle qui excite encore tant les royalistes d'aujourd'hui), mais cela nous montre surtout que pour Philippe II, c'était pensable et envisageable. Donc qu'il était probablement drôlement moins macho que ses contemporains.
Isabelle Claire Eugénie par Juan de la Cruz, en 1599.
L'étoffe d'une reine : elle est représentée debout.
L'étoffe d'une reine : elle est représentée debout.
Isabelle Claire Eugénie dut renoncer au trône de France, mais fit néanmoins une belle carrière. On lui fit épouser en 1599 son cousin Albert d'Autriche et son père la nomma gouverneur des Pays Bas espagnols. Avec pour mission de pacifier la région, en grand chambardement politico religieux depuis alors trente ans. Il y avait une feinte derrière ce mariage : Albert était nommé gouverneur des Pays-Bas alors en pleine révolte et soutenus par la France et l'Angleterre. Le conflit avait plus ou moins pris fin avec la paix de Vervins et Philippe II avait choisi d'octroyer leur indépendance aux Pays-Bas avec à leur tête Albert lequel est marié à Isabelle-Eugénie, sa fille aînée qui apporter à son mari, par sa dot, les Pays-Bas. Or une clause du traité de Vervins précise que si le couple venait à s'éteindre sans descendance, les Pays-Bas redeviendraient possession espagnole. Or, il était assez vraisemblable qu'Albert était incapable d'engendrer, et Isabelle Claire Eugénie étant alors âgée de trente-trois ans, fallait pas rêver... Cette indépendance généreusement octroyée n'est qu'un tour de passe-passe politique permettant aux Pays-Bas de retrouver la paix avant de retourner à la couronne espagnole (vous avez vu comme c'est chouette la politique ?).
Ce fut néanmoins un mariage heureux et redoutablement efficace, qui rétablit la paix dans la région, réforme la justice, développe l'économie, en suscitant des grands travaux (en particulier) l'assèchement des marécages à la frontière de l'actuelle Flandre orientale et de la France. Ils installent leur cour à Bruxelles et s'entourent d'artistes, Brueghel ou Rubens. La mort d’Albert survient en 1621 mais n'empêche pas Isabelle Claire Eugénie de rester comme seule gouvernante des Pays Bas espagnols. Veuve éplorée, elle prend alors l'habit de Clarisse et continue de diriger la région d'une main de fer dans un gant de velours.
Elle meurt en 1633 : c'est la fin d'une période de calme et d'essor pour les Pays Bas Espagnols, qui ne se calmeront de nouveau qu'en 1648, lors des traités de Westphalie.
Publié par Artémise le 3 août 2011 copié/collé par Euterpe.
Commentaire d'Euterpe : merci Artémise ! voilà une description hisstorique très détaillée ! Philippe II, sans vouloir minimiser ses mérites imitent néanmoins ses ascendants en tout point (également l'habit noir). Avant lui, Charles Quint (son père) confia les Pays-Bas successivement à deux femmes : à sa tante et à la mort de celle-ci à sa soeur.
Leur père Maximilien d'Autriche apprit à ses filles la chasse et le maniement des armes (surtout à Marie de Hongrie sa petite préférée). Lui aussi faisait confiance aux femmes pour les missions difficiles et croyait en leur capacité de gouverner. Il n'y a qu'en France où les femmes ont toujours eu le plus de mal à ne pas se faire traiter autrement que comme des potiches !
"...j'ai une grande sympathie pour Philippe II - un peu moins pour son système de gestion des finances de l'Etat (= la banqueroute permanente..." : Un vrai européen contemporain, ce Philippe II ! La banqueroute permanente, c'est complètement nous en ce moment ! :D
RépondreSupprimerA part cela, quelle érudition !
A Hypathie : tu ne crois pas si bien dire à propos de la banqueroute permanente car c'est au XVIe siècle que pour la première fois dans l'histoire de l'Europe les empereurs et monarques font appel aux banques pour financer (principalement) leurs guerres. Le XVIe siècle marque le début du pouvoir des banques sur la société donc du système que nous connaissons actuellement.
RépondreSupprimer