On a renommé "colonisation" la "conquête" de l'Amérique depuis que l'on a reconnu qu'elle s'était accompagnée d'épouvantables génocides responsables de l'anéantissement de peuples ayant vécu principalement en harmonie avec la nature, ce qui n'est pas le cas de notre civilisation ennemie de notre environnement. Cette brutale main mise de l'Europe sur le continent américain a occasionné d'autres dégâts humains par la suite comme la traite des noirs, l'oppression de l'Amérique du Sud et autres mauvais traitements du même accabit jusqu'à aujourd'hui avec les guerres de type Vietnam (Irak, Afghanistan,...) ainsi que la brutale appropriation des matières premières entraînant des dégâts environnementaux terrifiants.
Tania me demande donc comment traiter le sujet des femmes qui ont participé peu ou prou à l'avènement de cette destruction organisée sans réécrire l'histoire.
Je dirais qu'il faut replacer les événements dans leur contexte et également avoir conscience que les femmes ne sont ni meilleures ni pires que les hommes étant de la même espèce comme le fit remarquer ici très justement mais sur un tout autre billet Healcraft.
De plus, une des caractéristiques du XVIe siècle est qu'on le veuille ou non ce déplacement vers le continent américain d'une partie de la population européenne a des fins expansionnistes et, bien entendu, les femmes ne sont pas restées en Europe bien que,
selon les livres scolaires d'histoire on ne peut qu'être persuadé.e du contraire. Essentiellement pour cette raison, cette négation systématique de la présence des femmes dans tous les domaines, ces bateaux en partance pour le "Nouveau Monde" y compris, je souhaite en parler.
JEA me suggère de citer plutôt
une femme qui aurait fait le tour du monde en bateau en solitaire. Ce serait avec joie mais il s'agit là d'une figure du XVIIe siècle et je souhaite d'abord faire le tour des figures du XVIe (mis à part dans le cas des intermèdes musicaux) avant de passer au siècle suivant.
Puisque les livres d'histoire mentionnent aussi les assassins, pour rendre justice à tout le monde, j'évoquerai quelques grandes criminelles de l'époque , après tout, mon but n'est-il pas de rendre sa population féminine à l'histoire dont on s'évertue de l'effacer ?
Donc en 1541, Jean-François LaRocque de Roberval obtient du roi François Ier la permission de coloniser le Canada ;
Marguerite de la Roque de Roberval,
co-seigneuresse de Ponpoint, nièce (cousine ou soeur, les avis divergent) de celui qui fut nommé pour l'occasion chef de l’expédition française ayant pour mission de fonder le premier poste permanent en
Nouvelle-France, accompagne son oncle dans ce voyage au Canada "
C'est que faisait ledit Roberval un voyage sur la mer duquel il était chef par le commandement du Roi son maître, en l'île de Canada, auquel l'en avait délibéré, si l'air du pays eût été commode, de demeurer et faire villes et châteaux*". Bien d'autres femmes se trouvent parmi les passagers.
D'après certaines versions de l'histoire : le voyage est long à bord du navire et Marguerite tombe amoureuse d’un marin. Roberval découvre l’intrigue. Comme c'est un calviniste plutôt étroit d'esprit, il fait débarquer soit l'homme d'abord soit sa nièce (les avis divergent selon les sources là aussi) sur une île dite l'île aux Démons, dans le Golfe du Saint-Laurent. Soit que l’oncle, dans un élan de générosité, laisse à Marie une servante nommée Damienne soit qu'elle l'ait prit avec elle, toujours est-il que les débarqués sont en fin de compte au nombre de trois.
D'après Marguerite de Navarre, les amants sont déjà mariés avant le départ mais l'homme ayant commis quelque traîtrise est condamné à être débarqué seule sur une île uniquement habitée d'animaux sauvages mais sa femme supplie Roberval de la laisser avec lui.
D'après une autre source ce serait Marguerite qui aurait été débarqué et l’amoureux qui aurait réussi à rejoindre sa fiancée en s’échappant du navire.
Marguerite se trouve enceinte mais durant l’hiver rigoureux, son bébé meurt par manque de lait. Le fiancé et la servante succombent, au froid (d'après Marguerite de Navarre, en raison de l'eau qu'ils boivent "[le mari/amant] devint si enflé qu'il mourut"). Marguerite reste donc seule.
Cette jeune fille de la noblesse se met alors à vivre de la chasse, de la pêche et de la cueillette tel ces autochtones de l'Amérique appelés à être massacrés par les envahisseurs. C'est le retour forcé à la nature. D'après Marguerite de Navarre, elle se serait contenter de la lecture du Nouveau Testament, de la prière et de la méditation et ne tuait à l'arquebuse et à la fronde que les animaux cherchant à déterrer et dévorer le cadavre de son bien-aimé (mais on a du mal à croire qu'elle survive en ne mangeant rien). Plusieurs années plus tard, elle parvient à signaler sa présence à des pêcheurs européens (peut-être basques) qui se rendent dans ces lieux pour chasser la baleine. D'après Marguerite, le bateau qui les a débarqués repasse par là et reprend la jeune femme. C'est ainsi que Marguerite peut retourner en France.
On dit que ceci s’est passée sur une des îles avoisinant Harrington Harbour, dans la Basse-Côte-Nord sur l'île rebaptisée l'île de la Demoiselle. Il s'y trouve encore aujourd'hui une grotte désignée sous le nom de Grotte de Marguerite, où notre héroine se serait réfugiée.
Son histoire devient célèbre en France et est immédiatement relatée par différentes écrivain.e.s. comme Marguerite de Navarre dans l'Heptaméron, Francois de Belleforest dans Histoires tragiques et André Thévet dans Cosmographie.
Depuis d'autres romans ont été inspirés de cette histoire : Elizabeth Boyer a écrit un roman "Marguerite de la Roque" en 1975, Charles Goujet "L'île aux Démons" en 2000, Joan Elizabeth Goodmann "Paradis" en 2002, Douglas Glover "Elle" en 2003 qui remporte un prix de littérature canadien, Angèle Delaunois "La demoiselle oubliée" en 2008. Il existe également au moins une pièce de théâtre et de nombreuses nouvelles inspirés de ce récit.
*extrait de la 67e nouvelle de l'Heptaméron