Je ne me suis jamais posée cette question.
Car je sais.
Et oué.
Depuis presque quinze ans (aïe aïe aïe) (douloureux constat) je sais.
Tout a commencé une froide journée d'hiver, autour de Noël.
Avant? Après? Peu importe, sachez juste qu'il faisait froid et blanc, et que j'allais sur mes douze ans.
(et que j'en étais encore aux prémisses de mon adolescence)
(ô période bénie)
(surtout pour mes parents)
(mais à cette époque-là ils ne savaient pas encore ce qui les attendait...)
(à cette époque-là mon père ne savait pas encore que l'année suivante son livre de chevet serait "L'adolescent: l'écouter, le comprendre, l'aimer"...)
Bref, mon grand-père m'avait offert un livre sur les Châteaux de la Loire.
Après une moue dépitée,
(ben oué j'avais presque douze ans, mon grand-père n'y connaissait vraiment rien)
(j'aurais préféré avoir une bague dont la pierre change de couleur selon l'humeur)
(ou bien une paire de DocMartens)
(ou un keffieh)
(ou un Eastpack)
(en somme tout sauf un livre)
(parce que les livres c'est trop chiant et ça craint)
(à part Judy Blum)
(pour les passages un peu olé-olé de "Pour toujours")
j'ai fini par le lire,
(il devait vraiment faire moche ces vacances-là, ou bien j'avais été interdite de Difool)
et par ne plus le lâcher jusqu'à la dernière page.
Plus que l'Histoire de France, ce qui m'intéressait, moi, c'était les histoires de coeur, les initiales entrelacées sur les façades, les passages souterrains, les encres invisibles, les poisons...
J'ai fini par persuader mes parents d'aller visiter les Châteaux de la Loire aux prochaines vacances d'été.
(ah ben oui, en ce temps-là nos vacances étaient planifiées six mois à l'avance)
(!)
(et les vacances étaient synonymes de Gîtes de France sentant le moisi, de papiers tue-mouches, de places de villages déserts, de pique-niques à base d'oeufs durs et de fromages odorants, de couvre-lits en chenille, de lectures chuchotées du guide bleu dans la nef de la cinquantième église du séjour...)
Plus ou moins à la même période, le hasard me fit découvrir Jeanne Bourrin.
(enfin, je pense plutôt que le hasard s'appelait maman)
(qui avait dû sentir ma soif de romantisme)
(ah ben oui, à douze ans ça rêvait du premier amour hein)
Et Les amours blessées.
Je ne me souviens pas vraiment du récit en lui-même, mais qu'est-ce que je l'ai aimé alors!
Je n'ai retrouvé ce sentiment avec aucun autre de ses livres.
(et pourtant, j'en ai bouffé du Jeanne Bourrin après)
(je crois bien que je les ai tous lus, recherchant à retrouver l'effet du premier)
(on ne se moque pas, franchement Jeanne Bourrin à douze-treize ans c'est que du bonheur)
Et à partir de là j'ai su que je voulais être Cassandre Salviati.
La belle Cassandre, fille d'un banquier italien, dont le père possèdait mon château préféré, Talcy (où se trouve soi-disant le fameux rosier).
Qui, à treize ans, rencontre Ronsard à un bal de la cour à Blois, et va lui inspirer ses vers les plus célèbres.
De jolies robes, un bal, un château, une belle histoire d'amour platonique,
(ben oué, Ronsard était déjà tonsuré donc bon)
(en même temps il avait sept ans de plus que moi donc... ahem)
(et même s'il n'avait pas été tonsuré il était trop pauvre, mon père n'aurait jamais accepté)
(vous me direz, on aurait pu fuir ensemble)
(mais j'étais une fille sage et raisonnable)
et passionnée (enfin, d'après Jeanne), avec à la clé des poèmes pour l'éternité, c'était pour moi le bonheur assuré!
(on notera mon goût déjà prononcé pour les frivolités, superficialités et légèretés en tous genres)
Bien sûr, j'ai finalement dû épouser un riche noble comme moi, et lui faire des enfants, et tenir mon rang, et certainement ne plus jamais connaître l'amour.
(et avoir une vie d'un ennui abyssal)
(genre la Cendrillon de Téléphone, à côté de mon destin c'est peanuts)
Mais peu m'importait! J'avais été heureuse, j'avais été aimée, et tout le monde le saurait jusqu'à la fin des temps!
(Dieu que j'étais romantique!)
(et absolument pas féministe aussi)
(mais j'étais Cassandre, c'était ça le plus important)
*** Intermède poétique illustrant mes propos***
(et justifiant mon non-féminisme)
Mignonne, allons voir si la rose
Qui ce matin avoit desclose
Sa robe de pourpre au Soleil,
A point perdu ceste vesprée
Les plis de sa robe pourprée,
Et son teint au vostre pareil.
Las ! voyez comme en peu d'espace,
Mignonne, elle a dessus la place
Las ! las ses beautez laissé cheoir !
Ô vrayment marastre Nature,
Puis qu'une telle fleur ne dure
Que du matin jusques au soir !
Donc, si vous me croyez, mignonne,
Tandis que vostre âge fleuronne
En sa plus verte nouveauté,
Cueillez, cueillez vostre jeunesse :
Comme à ceste fleur la vieillesse
Fera ternir vostre beauté.
*** Fin de l'intermède poétique ***
(faut avouer que mon mec savait y faire...)
Cet été-là, j'ai fait mon pélerinage à Talcy et au prieuré de St Cosmes (dernière demeure de Ronsard), priant pour qu'on m'écrive des vers, à moi aussi.
Et quinze après, j'y retournerais volontiers...
Merci à la délicieuse Asphodèle, grâce à qui j'ai retrouvé avec bonheur mes vieilles amours...
Et en bonus, mon rosier et mon château:
(où ma descendante Diane fut la muse d'Agrippa d'Aubigné, s'il vous plaît)
(et oué, on a le gène du poète dans la famille)
(en plus de toutes nos autres vertus telles que la beauté, la douceur, la tempérance, l'intelligence, la sagesse..)
(ok j'arrête)