En 1516, Erasme dans les Annotationes Novi Testamenti critiqua la notion de sacrement lié au mariage, ce qui, du même coup, remettait en question son indissolubilité. Luther fit de même. Néanmoins ce dernier considérait le mariage comme supérieur à la virginité, aussi dénonçait-il avec force le célibat des prêtres et le monachisme.
D'un autre côté, tous les réformateurs protestants, Luther compris, reprochaient à l'Eglise d'avoir fondé la validité du mariage sur le consentement exclusif des époux, celui des parents n'étant pas requis. Tous déploraient les mariages clandestins, la bigamie et les „mésalliances" qu'entraînaient ce fait.
Au terme d'interminables discussions sur ce thème, le Concile de Trente adopte, en 1563, le célèbre décret Tametsi, qui parmi les demandes des protestants se contente d'accorder celle de frapper d'anullation les mariages clandestins. Mais catholiques et protestants se sont entendus sur un point : celui de réaffirmer par ce décret la suprématie de l'homme dans le couple (aucune femme n'étant représentée au Concile de Trente, cela va de soi).
D'autre part, un grand débat eut lieu au cours de la première moitié du XVIe siècle, qui opposa laudateurs et contempteurs du sexe féminin, et qui fut baptisé "querelle des femmes" (alors qu'il s'agissait d'une querelle d'hommes sur les femmes). La quasi-totalité des lettrés y prit part, en particulier Rabelais influencé par le De legibus connubialibus de son ami, le juriste André Tiraqueau.
Les propos peu amènes que contenait le De legibus connubialibus sur les femmes déclenchèrent une violente polémique, que Tiraqueau contribua lui-même à alimenter. Du coup, l'ouvrage s'étoffa considérablement au cours des seizes fois où il fut édité ! Ce traité en forme de « programme de vie matrimoniale ». fonde pour la première fois le principe de la subordination de la femme mariée. Il se base sur le Digeste , et en particulier sur un sénatus-consulte d'Ulpien ( Ad Senatus Consultum Velleianum , plus connu sous le nom de Velléien), interdisant aux femmes de s'engager pour autrui en raison de la " faiblesse de son sexe " (imbecillitas sexus) , pour affirmer que l'on doit considérer les femmes, par nature faibles et désarmées, comme des mineures et donc les assister et les protéger dans toute leur activité juridique.
Ainsi, à partir de la Renaissance, la femme mariée est frappée d'incapacité juridique. L'incapacité juridique de la femme mariée n'existait pas dans le droit médiéval. On observe par là, à partir du XVIe siècle, une dégradation sensible de la condition féminine.
Ainsi les juristes tiendront pour acquis l'inégalité des sexes et la supériorité de l'homme sur la femme. Parce que ceux-ci la considèrent comme un être physiologiquement et psychologiquement faible, ils estiment qu'elle doit être tenue à l'écart des affaires et
que ses fonctions domestiques doivent l'absorber entièrement.
Pour Tiraqueau, l'homme vaque au dehors à ses occupations professionnelles et sociales tandis que son épouse assume l'entretien de la maison.
Pour le reste, il défend expressément à tout homme de frapper sa femme. Mais cette défense ne se réfère pas à des considérations strictement humanitaires. Une femme maltraitée trompait volontiers son mari violent et se vengeait souvent de lui en tentant de l'empoisonner ou en l'empoisonnant pour de bon.
A l'inverse, "s'il était respectueux de son épouse, l'homme aurait tout lieu de se féliciter de l'harmonie qui règnerait dans son ménage".
Tiraqueau pense que l'homme peut solliciter, pour ses propres affaires, l'avis de sa femme (pour lui piquer ses idées?). Mais il ne doit pas pour autant se confier exagérément à elle, la femme n'étant guère de nature à conserver des secrets. Elle peut, d'après lui, révéler en rêve ce qu'elle ne dit pas éveillée !
Cependant Tiraqueau exhorte les hommes à aimer leurs femmes s'ils veulent l'être en retour. C'est au mari de montrer en premier lieu son amour et non à sa femme.
Enfin, Tiraqueau, dans la quatorzième et dernière loi du mariage, traite des relations sexuelles. Selon lui, (le mari) ne doit ni les craindre ni les désirer trop ardemment. Il convient de ne jamais se départir d'une certaine retenue et de fuir absolument les rapports trop fréquents et immodérés.
Sous l'influence conjuguée du droit romain, des Ecritures et du droit canonique, Tiraqueau fonde donc l'incapacité de l'épouse sur l'imbecillitas sexus. Mis à part qu'il la justifie autrement : par la primauté du mari au sein du couple. Dans cette optique, la dépendance de la femme est le corollaire de la puissance maritale et non de la faiblesse du sexe. A preuve, selon Tiraqueau, une femme célibataire jouit d'une capacité pleine et entière. Ainsi que la veuve.
Conclusion : voilà comment le célibat et le veuvage sont devenus supérieurs au mariage et nettement plus enviables pour les femmes qui souhaitaient leur autonomie. Autonomie OU mariage. Or, on peut constater aujourd'hui que ce choix pervers est encore pour beaucoup de femmes à travers le monde, le seul qu'elles aient à leur disposition si elles veulent jouir d'un peu de liberté !
(A lire : "Les femmes à l'époque moderne - XVIe-XVIIIe siècles" de Scarlett Beauvalet-Boutouyrie, édit. Belin, Paris).
(Photo : deux petits rôles dans le hall des figurant.e.s).