dimanche 22 mai 2022

Maria Renata Singer von Mossau, féminicidée

 Dernière victime d'une horrifique chasse aux sorcières dans la commune allemande de Würzburg en Franconie, Maria Renata (Marie-Renée) Singer von Mossau, née en 1679 et morte en 1749, était sous-prieure d'une abbaye de l'ordre des chanoines de Prémontré, un ordre canonial catholique créé au début du XIIe siècle qui s'évertua assez rapidement d'en évacuer les femmes parce qu'il s'agissait de femmes chantant dans des chorales où se trouvaient également des hommes et les choeurs sans distinction de sexe avaient été interdits par le 2e concile de Latran en avril 1139.

                                                                        


Néanmoins un certain nombre de cloîtres de femmes prémontréennes subsistèrent en Allemagne jusqu'à la Réforme (protestante) puis après celle-ci mais en moindre quantité.  

Maria Renata fut placée, à vingt ans, par sa mère, dans le cloître d'Unterzell qui se trouve à Zell sur le Main près de Würzburg. Remarquée pour sa conduite exemplaire, elle fut élevée d'abord au rang de sacristaine (féminin de "sacristain") puis de sous-prieure.

Mais en 1738, l'ambiance changea dans le prieuré et elle fut soudain l'objet de jalousie de la part d'autres nonnes. On lui retira ses chats et on se mit à la rendre responsable d'événements malheureux survenus dans la commune de Zell. Lorqu'en 1744, il fut question de 6 cas de personnes possédées par le démon, on chercha la responsabilité de son côté. Elle aurait rendu ces personnes malades au moyen de potions magiques à base de plantes et de racines (ah les plantes, ces ennemies des psychopathes !) et aurait aussi envoyé à certaines camarades de couvent des esprits infernaux pour leur faire endurer de grandes souffrances. 

Elle aurait été atteinte de somnambulisme, ce que se dit en allemand: "droguée de la Lune" ou "lunatique", ce qui l'aurait rendue encore plus suspecte, la Lune étant elle-même un astre très suspect pour la religion. D'autant qu'une nuit, lors d'une crise, elle aurait frappée une nonne au visage avec une "discipline" (sorte de fouet). En résumé : potions à base de plantes et violence en état de somnambulisme furent très vite suffisants pour faire de la femme qui dérangeait, l'objet d'un procès en sorcellerie. Ces procès-là ayant pullulé à l'époque.

En 1749, elle avoue devant un tribunal de nonnes être une sorcière. Après quoi, elle est déférée devant un tribunal séculier où elle avoue encore être coupable de :

- participation à des réunions avec le Diable 

- pratique de la Magie Noire

- participation à des sabbats de sorcières

- copulation avec Satan

- profanation de l'hostie

- faire apparaître des souris (oui, c'était soi-disant un pouvoir typique de sorcières)




Après quoi, elle est encore entendue par des ecclésiastiques appuyés par des experts de la Faculté de  Médecine. Comme quoi la médecine officielle est toujours l'alliée du pouvoir.

Elle est enfermée dans la forteresse de Marienberg, sur l'emplacement d'une ancienne abbaye fondée en l'an 700 par un père pour sa fille Immina. Maria Renata est condamnée au bûcher mais le nouveau prince-évêque de Würzburg qui n'approuvait pas ce genre d'exécution extrêmement douloureuse pratiquée par son prédécesseur (voir plus bas) fait commuer sa peine. Elle sera donc décapitée et son corps brûlé. 

Sa tête est plantée sur un piquet sur les remparts de la ville de Würzbug pour effrayer habitants et visiteurs. Comme quoi, la peur a toujours été le meilleur outil du pouvoir.

Le dramaturge contemporain Erich Kunkel (né en 1962) en fit une pièce de théâtre intitulée "Maria Renata" qui fut jouée à Würzburg en 2004. 

Avant l'exécution de Maria Renata Singer von Mossau, la plus furieuse des chasses aux sorcières d'Europe a sévi à Würzburg, conduite par le sanglant contre-réformateur et chasseur de sorcières de triste mémoire, le prince-évêque Philippe-Adolf von Ehrenberg (1583-1631). Rien que dans la ville de Würzburg, il fit brûler pas moins de 200 soi-disant sorcières en 4 ans.


                                               (Le corps de Maria Renata sur le bûcher) 


Le mausolée du féminicidaire P-A von Ehrenberg, érigé dans la cathédrale de Würzburg, ne fait pas moins de 2,6 m de hauteur. Comme quoi les assassins surtout féminicidaires continuent à être honorés dans toute l'Europe en "grands hommes". 

Dans les pages de son procès, on peut lire qu'enfant, Maria Renata accompagna son officier de père, dans ses campagnes militaires contre les Turcs (cf. la guerre austro-turque de 1683-1699) en Autriche et en Serbie. Elle a pour ainsi dire été élevée au milieu des camps de soldats qui ont du se faire un malin plaisir de lui raconter toutes sortes d'histoires effrayantes à base de superstitions. Après quoi, à 13 ans, à la mort de son père, elle fut prise en charge par sa mère, devenue veuve, qui entreprit de la reciviliser et de lui apprendre les bonnes manières. Mais, en grandissant, elle se serait mise à fréquenter clandestinement un jeune homme et, avec lui, aurait rendu régulièrement visite à une vieille tzigane qui vivait à l'orée de la forêt. Elle leur aurait montré toutes sortes de remèdes à base de plantes. Un jour, Maria Renata aurait retrouvé la femme morte dans sa cabane, probablement après s'être elle-même empoisonnée avec l'une de ses potions. Ses visites chez cette femme malfamée avec son amoureux secret furent éventées et sa mère fit alors entrer la jeune Maria Renata au couvent des Prémontré pour, encore et toujours, lui apprendre les bonnes manières, je suppose. Elle qui avait, avant cela, un vécu hors du commun, devait se sentir bien marginale au milieu de toutes ces filles cloîtrées, souvent depuis l'enfance, sans avoir jamais seulement un tout petit peu voyagé ni être entrées si peu que ce soit en contact avec la diversité des cultures. Comme quoi il ne fait pas bon être mêlée à des personnes surprotégées ayant une vision extrêmement étroite du monde. Elles ne vous pardonnent pas le champ élargi de votre conscience.