mardi 4 septembre 2012

La Femme-loup

Psychanalyste et conteuse, Clarissa Pinkola Estés dans son livre "Femmes qui courent avec les loups" (Women Who Run With the Wolves: Myths and Stories of the Wild Woman Archetype (Ballantine 1992/ 1996, USA) (en allemand "Die Wolffrau (= la femme-loup)), nous propose sa réflexion sur  l’identité féminine.
http://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/thumb/0/0a/Dore_ridinghood.jpg/200px-Dore_ridinghood.jpg
(et si le chaperon rouge et le loup n'étaient qu'une seule et même personne qui se nourrirait du savoir de la grand-mère pour devenir "femme" ?) 
Cette autrice américaine spécialiste des maladies post-traumatiques, présente les contes et les mythes très différemment de Walt Disney avec ses orientations idéologiques hyperpatriarcales.


Dans le conte de la Princesse Grenouille, par exemple, Clarissa Pinkola Estés met en lumière la part dans les contes qui dit l'importance pour l'homme d'intégrer les valeurs féminines sans lesquelles les valeurs masculines sont nuisibles à l'humanité. Dans ce conte, un roi, préoccupé par sa succession, demande à ses trois fils de tirer chacun une flèche dans une direction différente : ils devront alors épouser les femmes qui ramasseront leur flèche. Le premier épouse la fille d'un général, le second la fille d'un riche marchand, la flèche du 3e, le plus jeune, (le plus "viril", qui a tiré plus loin que les autres) tombe dans un marais et voilà l'archer obligé d'épouser la grenouille qui a trouvé sa flèche. Mais, la bestiole est en réalité une jeune magicienne du nom de Vassilissa, "la très belle". Frappée par un sort jeté par son père, elle a l'apparence d'une grenouille. Son jeune époux ayant découvert qu'elle était en réalité une princesse qui plus est dépassant de loin en intelligence et en habileté les femmes de ses frères, décide de détruire une nuit sa peau de grenouille qu'elle retire parfois afin qu'elle ne l'endosse jamais plus. Mais une fois sa peau détruite, Vassilissa disparaît. Pour la retrouver, le jeune Ivan devra accomplir toutes sortes d'épreuves "féminisantes" : dérouler une pelote comme le lui conseille un vieillard qui lui reproche d'avoir détruit quelque chose qui ne lui appartenait pas, résister à la tentation de tuer un ours et épargner également un faucon ainsi qu'un brochet, écouter la Babayaga (sorcière russe) qui lui annonce que le père de Vassilissa est un squelette dénommé Kochtei l'invincible, qu'il tient sa fille prisonnière et qu'il se trouve dans le châs d'une aiguille, elle-même enfouie à l'intérieur d'un oeuf qui se trouve dans le ventre d'un canard qui lui-même se trouve dans le ventre d'un lièvre qui dort dans une cage d'or accrochée aux branches d'un chêne géant. 
L'épreuve paraît insurmontable mais les animaux qu'Ivan a épargnés l'aide alors à délivrer Vassilissa en même temps que meurt Kochtei le père squelette, père qui représente la domination suprême de l'homme ayant rejeté toutes valeurs féminines et qui oppriment la féminité à commencer par celle de sa fille née plus intelligente que lui.
Le trop viril Ivan abdique un peu de sa virilité et permet la destruction de "l'invincible" et hyperviril Kochtei vaincu par un homme qui a intégré sa propre féminité.

On voit par ce conte que les valeurs féminines sont liées au respect de la vie des animaux, à l'humilité (suivre une pelote de laine) et à l'écoute des personnes âgées. Mais l'analyse de Clarissa Pinkola Estés est plus subtile encore que ce résumé succinct et d'autres contes et mythes sont interprétés aussi brillamment par elle dans cet ouvrage.

QUATRIÈME DE COUVERTURE DU LIVRE :
"Chaque femme porte en elle une force naturelle riche de dons créateurs, de bons instincts et d'un savoir immémorial. Chaque femme a en elle la Femme Sauvage. Mais la Femme Sauvage, comme la nature sauvage, comme l'animal sauvage, est victime de la civilisation. La société, la culture la traquent, la capturent, la musellent, afin qu'elle entre dans le moule réducteur des rôles qui lui sont assignés et ne puisse entendre la voix généreuse issue de son âme profonde. Pourtant, si éloignées que nous soyons de la Femme Sauvage, notre nature instinctuelle, nous sentons sa présence. Nous la rencontrons dans nos rêves, dans notre psyché. Nous entendons son appel. C'est à nous d'y répondre, de retourner vers elle dont nous avons, au fond de nous-mêmes, tant envie et tant besoin.

De par sa double tradition de psychanalyste et de conteuse, Clarissa Pinkola Estés nous aide à entreprendre la démarche grâce à cet ouvrage unique, parcouru par le souffle d'une immense générosité. A travers les " fouilles psycho-archéologiques " des ruines de l'inconscient féminin qu'elle effectue depuis plus de vingt ans, elle nous montre la route en faisant appel aux mythes universels et aux contes de toutes les cultures, de la Vierge Marie à Vénus, de Barbe-Bleue à la Petite Marchande d'allumettes.

La femme qui récupère sa nature sauvage est comme les loups. Elle court, danse, hurle avec eux. Elle est débordante de vitalité, de créativité, bien dans son corps, vibrante d'âme, donneuse de vie. Il ne tient qu'à nous d'être cette femme-là."



"Within every woman there is a wild and natural creature, a powerful force, filled with good instincts, passionate creativity, and ageless knowing. Her name is Wild Woman, but she is an endangered species. Though the gifts of the wildish nature come to us at birth, society's attempt to "civilize" us into rigid roles has plundered this treasure, and muffled the deep, life-giving messages of our own souls. Without Wild Woman, we become over-domesticated, fearful, uncreative, trapped." -Clarissa Pinkola Estes


Et pour ceux et celles qui l'ont déjà lu, vos réflexions sont les bienvenues...

15 commentaires:

  1. Bon, bin ça fait deux livres à acheter : Isis, objet d'un précédent billet, et celui-ci ! Les commentaires des lectrices/teurs d'Amazon sont dithyrambiques en tous cas !
    http://www.amazon.fr/product-reviews/2253147850/ref=cm_cr_pr_btm_link_1?ie=UTF8&showViewpoints=0&sortBy=bySubmissionDateDescending

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    1. Ah oui, en effet, dithyrambiques les commentaires sur amazon ! À moi aussi c'est un livre que l'on a prêté (dans les années 90) et que j'ai rendu avec un certain déchirement. Je n'arrive pas à ne pas rendre un livre mais j'avoue que la tentation de le garder était puissante.
      Je ne l'ai pas encore racheté parce que je ne sais pas si je veux le relire en allemand, langue dans laquelle je l'ai lu et langue de la psychanalyse, ou dans ma langue, ce livre n'étant pas toujours d'un abord facile. . Aux vues des commentaires, on dirait que l'allemand est plus clair mais ce n'est pas sûr.
      En tout cas, il change la vie d'une femme.

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  2. Pour moi, c'est un livre qui fait du bien. Je le recommande vivement.

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    1. Merci, Anonyme, de ce témoignage ! C'est le genre de livre qui est peu vanté par les médias (et pour cause !) et qui doit son succès essentiellement à ses lecteurs/trices.

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  3. Lu il y a longtemps, m'a laissé un impression curieuse d'à la fois empowerment sympathique de la force des femmes et d'essentialisme mal venu.
    Mais bon, mon souvenir date un peu.
    C'est à lire de toute façon.

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    1. On me l'a prêté parce que j'ai travaillé sur les mythes et les contes et que dans ce travail on ne connaît que Bettelheim alors que ses interprétations sont d'une pauvreté à pleurer. " La petite fille dans la forêt des contes" de Pierre Péju est 1000 fois plus passionnant. C'est alors qu'une allemande m'a mis "Die Wolffrau" dans les mains.
      J'ai fort regretté que ce livre n'avait pas paru plus tôt.
      Moi non plus je ne suis pas d'accord avec tout et je vois ce que tu veux dire à propos d'essentialisme mal venu mais l'ensemble est assez génial.
      J'ai repensé à ce livre parce qu'une petite fille de 4 ans que je connais m'a raconté samedi qu'elle avait fait un cauchemar dans lequel elle s'est vue grande entourée de loups. Par la suite elle m'a demandée de lui faire écouter la chanson "Loup y es-tu ?".
      Même si le rapport n'est pas évident, je n'ai pas pu m'empêcher de penser à ce livre.

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  4. Ah oui, c'est un sacré livre ! Un livre de confiance, qui dit qu'être femme n'est pas un pis-aller, et que nous avons le droit d'être douées sans singer les hommes, et qu'il est en notre pouvoir d'affirmer ce droit...Et bien d'autres choses encore... Un livre d'émancipation.

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    1. Merci beaucoup pour ce précieux témoignage qui me convainc de le relire car en dehors de l'analyse du conte de la princesse grenouille qui m'a spécialement emballée (j'ai aussitôt acheté le conte pour ma fille),il ne me reste qu'une impression hyper enthousiasmante sans le contenu qui y est attachée.

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  5. Lu il il y a longtemps. Un livre extraordinaire, une somme de connaissances, une quasi révélation. son oeuvre majeure, son chef.d''oeuvre.
    Cependant assez d'accord avec elihah. Lu depuis son dernier bouquin "The Dancing Grandmothers", assez décevant.
    Je ne sais pas en France, mais en Italie ça a été repris par un tas de sites new-agisants, tout un fatras vaguement neo-paganisants-femministoïde où des nénettes ont pris des pseudo genre "fay bidule", "fata machin", "fée truc" style "you-you je danse à poil sous la lune dans les clairières", bref, pas très concluant.

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    1. Je rappelle que je présente ici un livre d'analyse de contes de fées qui nous sort du phallocentrisme gerbant de Walt Disney et Bettelheim, entre autres.
      Si des femmes ont besoin de danser nues sous la Lune après avoir lu un livre de cette autrice et que cela ne fait de mal à personne, je ne vois ni le rapport ni le problème.
      Cela dit à propos de femmes qui dansent nues la nuit dans les clairières, je viens de lire "Moi, Jeanne d’Arc" la BD de Valérie Mangin et Jeanne Puchol aux éditions Des ronds dans l’O et, désolée, mais j'ai bien aimé.

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  6. Je ne l'ai jamais fait mais à choisir danser nue sous la Lune me paraît toujours moins débile que de s'empiffrer de junk food en regardant des talk-show navrants au fond d'un sofa ikéa tout en déprimant. Peut-être devrais-tu essayer ? :)

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    1. Non, ce n'est pas un problème, pas plus que les bains de minuit, à condition d'avoir un bon entrainement physique de self-defense, parce que le grand méchant loup peut fort bien se cacher derrière les buissons et ce n'est pas Clarissa Pinkola Estès qui dirait le contraire.

      Le problème est davantage qu'apparemment le résultat conduit davantage à tout un fatras wiccan de pseudo-connaissances du monde numineux, où se situe précisément la frontière entre la psychologie des profondeurs junguienne et la mélasse wiccanante. Si c'est pour se retrouver avec des cohortes de fées truc lisant l'avenir dans les fond de soupières, je ne vois pas trop l'intérêt pour les revendications d'égalité des sexes qui sont tout de même la pierre angulaire du féminisme.

      Mais je tâcherai de me procurer la BD signalée à mon prochain séjour à Paris, que je ne trouverai certainement pas ici.

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    2. Tu caricatures tellement que l'on se demande si tu ne veux pas absolument dégoûter qui que ce soit de lire ce livre.

      Il y a toujours et partout des gens qui délirent sur ceci ou sur cela. Comme je l'ai déjà dit cela nuit certainement moins que le délire officiel technoscientifique qui nous a valu Fukushima, un accident qui signe peut-être la fin de notre humanité vu que l'on ne sait toujours pas comment cela va finir avec l'avarie non réparée.

      Franchement je m'en fiche que des gens s'exaltent de manière démesurée à la lecture de ce livre ou d'un autre.
      Ce n'est absolument une raison pour démolir un travail d'une valeur indéniable et unique.
      La cause du féminisme ne s'en porte pas plus mal pour autant. D'ailleurs il n'est écrit nulle part que cette autrice est féministe. Une chose est sûre c'est qu'elle veut atteindre les femmes qui souffrent.
      Alors garde tes sarcasmes déplacés pour toi car si c'est la seule chose qui te soulage, c'est bien triste.
      Je préfère encore les liseuses d'avenir dans les soupières. Elles sont drôles, elles au moins !

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  7. Je l'ai lu il y a quelques années et j'ai beaucoup aimé l'empowerment qu'il induit. Mais comme il est évoqué plus haut, le côté essentialiste m'a un peu gênée. J'ai été cependant surprise qu'une psychanaliste ne soit pas dans les schémas réducteurs dans lesquels la discipline circonscrit en général les femmes: maternité, etc.

    Juste un petit truc par rapport au conte que tu évoques: pour moi, ce ne sont pas les valeurs masculines qui sont néfastes et destructrices, ce sont les valeurs viriles. Parmi les premières, il y a la confiance en soi, l'estime de soi, le pragmatisme, par exemple, qui sont des valeurs louables et nécessaires. Les valeurs viriles sont à mes yeux le dévoiement de celles-ci: complexe de supériorité, égoïsme, autisme relationnel, etc. Je voulais juste apporter cette nuance sémantique personnelle car sur le fond, je suis archi-d'accord avec elle et avec ton analyse !

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    1. Oui, tu as raison d'introduire la nuance. J'ai un peu tendance à voir dans l'adjectif "masculin" un synonyme de "viril" alors que ce n'est sans doute pas le cas. C'est du assez au fait qu'au XVIe siècle on attribuait aux femmes affirmées et pragmatiques une "nature" dite "virile" bien qu'il n'y ait rien de "viril" dans l'affirmation de soi, en effet.
      Mais je me demande quand même si le pragmatisme ne serait pas plus ou moins inné sans distinction de genre et l'estime de soi acquis par l'éducation. Par contre pour les valeurs viriles je suis assez d'accord avec toi, ce sont des comportements d'enfants sur-gâtés ne connaissant pas de limites et auxquels on a mis très jeunes des esclaves à leur disposition : les femmes.

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