Dans les contes revisités par Disney, un industriel capitaliste dont la réussite phénoménale s'est inscrite dans un système auquel la consommation de produits industriels sert d'unique credo, les femmes s'affrontent par deux : l'une jeune, belle et possédant toutes les qualités les plus sublimes pour une fille selon l'idéologie machiste doit triompher de l'autre qui est vieille, laide et témoigne d'un grand désir + pouvoir de nuisance.
La vieille est l'ennemie de la jeune qui manque de ressources pour se défendre parce qu'il faudrait être aussi mauvaise que celle qui attaque pour vaincre, c'est à dire perverse et violente comme l'est la vieille et une vraie jeune fille n'est ni perverse ni violente.
Ces deux sortes de femmes, prisonnières de leurs rivalités, ont besoin d'un arbitre.
On remarquera que dans le patriarcat qui est en réalité un viriarcat, les hommes n'assumant pas leur rôle de père puisqu'ils sont occupés à imposer partout leur pouvoir à l'extérieur de la sphère familiale, les vieux hommes ne sont que des potiches sans grand intérêt. Ils font de la figuration, passent pour foncièrement gentils mais aussi incapables, donc irresponsables (à l'exception de Jaffar "pour Aladin", car on est dans un conte oriental et que l'orient ne comporte que des femmes soumises, paraît-il).
C'est donc un beau jeune homme qui met d'accord ces femmes et comme il a le droit d'être violent, lui, c'est même à cela que l'on reconnaît un homme dans cette société viriarcale, il se sert de la violence contre les vieilles.
Grâce à son entremise la jeune fille l'emporte sur la vieille. Sans lui, ce serait l'inverse. Car le jeune homme n'a pas plus besoin que la jeune fille de la sagesse d'une vieille femme. Le jeune homme n'a besoin que d'un cheval et d'une épée (d'une voiture et d'un portable). On est dans un monde où la technique est tout et où la jeunesse doit venir à bout de la vieillesse. Non dans un monde de solidarité entre les générations. C'est donc la jeunesse qui triomphe.
(Il n'y a pratiquement jamais de jeunes ennemis dans ces histoires où règne la gérontogynéphobie).
Blanche-Neige triomphe de sa méchante belle-mère grâce au beau prince.
La Belle au bois dormant triomphe de sa méchante marraine grâce au beau prince.
Jasmine triomphe de deux vieux (Jaffar et son père) grâce à un beau jeune homme du peuple et son génie (deux vieux se battent contre deux jeunes pour une fille incapable de s'en sortir elle-même).
Arielle triomphe de sa condition en se faisant avoir par Ursula la sorcière des mers pour la conquête d'un jeune homme qui aime les muettes.
La Belle doit apprivoiser seule un monstre auquel elle est livrée sans aucune protection, ces deux vieux parents étant incapables de la lui assurer.
Cendrillon triomphe de sa méchante belle-mère grâce au riche prince.
(Image extrait du film parodique Die 7 Zwerge de Blanche-Neige et les sept nains avec Cosma Shiva Hagen dans le rôle d'une Blanche-Neige infantile jouant aux poupées Barbie. (Elle n'a pas de modèle transmis par sa mère, juste des modèles transmis par l'industrie moderne)).
Cette jeune fille (Blanche-Neige, La Belle au bois Dormant, etc...) n'a pas d'individualité propre, elle n'est que l'objet d'un combat entre l'avenir du patriarcat incarné par un jeune homme et le passé d'un certain matriarcat ou d'une forme de société non patriarcale (avec des vieilles femmes comme guides sociales) incarnée par une personne féminine âgée diabolisée.
Cette jeune fille a pour mission de S'ÉVERTUER À ÊTRE UN OBJET.
Comme dirait Shulamith Firestone, la féministe radicale canadienne qui vient de mourir à l'âge de 67 ans :
Son identité entière [de la jeune fille] est dans la balance de sa vie amoureuse ; il lui est permis de s'aimer elle-même uniquement si un homme la trouve digne d'amour".
Et pour qu'un homme la trouve digne d'amour elle doit tuer en elle tout ce qu'elle pourrait avoir hérité en sagesse et en savoir d'une ou plusieurs ancêtres féminines. Elle doit avoir fait le ménage et n'avoir laissé de place que pour la technoscience masculine pour laquelle elle devra montrer une admiration sans borne.
J'avoue que tu n'as pas tort et que tu laisses ici une piste très intéressante de la réflexion, en n'oubliant pas que ces contes sont passés à la moulinette de la visée américaine patriarcale, les contes originaux sont moins machistes.
RépondreSupprimerEffectivement, beaucoup de jeunes filles amies de ma petite puce de fille sont dans ce cas-là.
Je ne sais pas si elle s'est inspirée de ton article ou si c'est une coïncidence (certains esprits se rencontrent)
SupprimerMais j'ai trouvé cet article sur Télos
http://www.telos-eu.com/fr/rebelle-princesse-de-disney.html
Tu me diras ce que tu en penses
Les très jeunes filles sont les cibles privilégiées des grands groupes industriels. Car sans sexisme point de capitalisme. En tant que parents, il est presque impossible de protéger sa fille de cela. C'est dramatique.
SupprimerTon article est extrêmement intéressant, merci beaucoup !
Pour l'admiration sans borne, voir Virginia Woolf dans "Une chambre à soi" :
RépondreSupprimer"Les femmes ont pendant des siècles servi aux hommes de miroirs, elles possédaient le pouvoir magique et délicieux de réfléchir une image de l'homme deux fois plus grande que nature. Sans ce pouvoir la terre serait probablement encore marécage et jungle. Les gloires de nos guerres seraient inconnues. Nous en serions encore à graver sur des os de mouton de maladroites silhouettes de cerfs et à troquer des morceaux de silex contre des peaux de brebis ou contre quelques ornement simple qui satisferait notre goût encore vierge. Les surhommes et les Doigts du Destin n'auraient jamais porté de couronnes, ou ne les auraient jamais perdus. Les miroirs peuvent avoir de multiples visages dans les sociétés civilisées ; ils sont en tout cas indispensables à qui veut agir avec violence ou héroïsme. C'est pourquoi Napoléon et Mussolini insistent tous deux avec tant de force sur l'infériorité des femmes ; car si elles n'étaient pas inférieures, elles cesseraient d'être des miroirs grossissants. Et voilà pourquoi les femmes sont souvent si nécessaires aux hommes. Et cela explique aussi pourquoi la critique féminine inquiète tant les hommes, pourquoi il est impossible aux femmes de dire aux hommes que tel livre est mauvais, que tel tableau est faible ou quoi que ce soit du même ordre, sans faire souffrir d'avantage et éveiller plus de colère que ne le ferait un homme dans le même cas. Si une femme, en effet, se met à dire la vérité, la forme dans le miroir se rétrécit, son aptitude à la vie s'en trouve diminuée. Comment un homme continuerait-il de dicter des sentences, de civiliser des indigènes, de faire des lois, d'écrire des livres, de se parer, de pérorer dans les banquets, s'il ne pouvait se voir pendant ses deux repas principaux d'une taille pour le moins double de ce qu'elle est en vérité. Ainsi pensais-je, émiettant mon pain, remuant mon café et de temps à autre regardant les gens dans la rue." (extrait copié-collé à partir de Biblioblog, merci Dédale : http://www.biblioblog.fr/post/2009/01/09/Une-chambre-a-soi-Virginia-Woolf )
Extraordinaire, ce texte ! Merci Tania !
SupprimerJe vais peut-être réussir à lire Virginia Woolf un jour grâce à toi !
Cela me rappelle que dimanche dernier j'ai explosé à table à exactement à cause de cela à propos du four à micro-ondes. Nous étions deux femmes et deux hommes et je savais que je n'avais pas le droit d'évoquer la nocivité du micro-ondes parce que ces messieurs partent du principe qu'ils sont les seuls détenteurs des connaissances scientifiques et techniques de l'univers et que tout ce que je pourrais dire moi en tant que femme ne serait que des "bêtises". J'ai laissé libre cours à ma colère et ces messieurs n'ont pas trop osé insister. Cette soi-disant supériorité est inadmissible. D'autant qu'il ne s'agit pour eux que de défendre tout nouveau joujou de leur stupide invention. Peu avant, l'un des deux m'avait déjà énervé à propos de l'i-book qui allait "forcément" s'imposer.
Pas facile, vraiment !
Maintenir l'antagonisme entre femmes, diviser pour régner, bref, conserver le pouvoir, tel est le dessein de ces contes destinés à maintenir leur ordre social. J'aime bien ton titre. Merci pour le lien. Évidemment, dans une société en pleine régression par rapport aux luttes féministes des années 70, S. Firestone est morte dans le dénuement et l'oubli. Quelques blogs américains, italiens et français relaient quand même sa disparition.
RépondreSupprimerMon titre marche surtout bien avec l'image. On n'associe pas d'habitude cette phrase à ces figures de poupées aux poses mélangées de sexytude pseudo-naive et de timidité bébéesque le tout emballées dans des couleurs acidulées :)
SupprimerOui, mais ce sont les derniers sursauts de la bête qui meurt. Parce que le capitalisme est bientôt mort et enterré. Alors ces femmes comme S.Firestone prendront la place qu'on ne leur a pas encore donnée. Du moins, j'espère.
Quand je vois une femme jeune et dénudée se trémousser à la télé pour vendre un parfum ou même une serviette hygiénique , j'ai honte pour elle mais aussi et surtout pour l'homme que je suis.
RépondreSupprimerCar elle est tombée dans ce piège grossier tendu par des hommes qui sous prétexte de la mettre en valeur ne font que la rendre esclave des fantasmes et des desiderata de ces messieurs. Le "repos du guerrier" en quelque sorte .Car sans tous ces artifices elles ne seraient donc plus rien ? Une vieille femme est donc forcément laide et inintéressante ?
Le monde de Disney comme celui de la publicité ont les mêmes mécanismes de pensée fantasmagoriques et les mêmes réflexes machistes qui consistent à mettre en valeur la puissance et la force d'un homme ( jeune de préférence) par sa capacité à posséder une belle et grosse..bagnole et à attirer à lui tous les canons de ce qu'il appelle la beauté.
Bel article Euterpe loin de ceux destinés à "la volaille qui fait l'opinion" ( Souchon)
Merci beaucoup coup de grisou !:) Moi aussi la vue quotidienne des filles manipulées par la propagande permanente et omniprésente à laquelle il est quasiment impossible d'échapper et qui les fait ressembler à ce qu'elles ne sont pas, me fait très très mal.
RépondreSupprimerJ'ai moi-même été engluée dans ces pièges et cela reste toujours et encore difficile de trouver son identité avec ces messages absorbés dès le plus jeune âge. Je cherche encore chaque jour pour moi-même ce qu'est véritablement une femme.
voir à ce sujet le site "le cinéma est politique", des articles souvent passionnants, notamment sur la lecture que Dysney donne du monde
RépondreSupprimerAh oui ! Merci dandan, je ne connaissais absolument pas ce site. En effet, l'analyse en particulier de "Rebelle" confirme ce que j'évoque à propos des relations mères/filles belles-mères/filles et plus généralement intergénérationnelles entre femmes selon la vision Disney!
SupprimerSalut! Je passe de temps en temps par ici, j'ai trouvé votre article et l'analyse très intéressant!
RépondreSupprimerCependant j'ai une question concernant la fin du texte: Que voulez vous dire par "technoscience masculine"? et pourriez vous développer ou donner un exemple pour "pour laquelle elle devra montrer une admiration sans borne" ?
Merci à vous!
Bonjour Camille, je vais essayer de répondre à ta question de manière succinte : par technoscience masculine, je veux parler de ces expérimentations que font les hommes dès qu'ils ont découvert quelque chose dans le domaine scientifique, par exemple avec la scission nucléaire, la recherche du boson de higgs, les nanoparticules, etc.., quand ils veulent immédiatement en faire une technique sans se poser plus de questions et quitte à tuer toute vie sur Terre comme de véritables apprentis sorciers.
SupprimerMais il est non seulement interdit de dire qu'il pourrait y avoir danger, parce qu'eux savent mieux ce qu'il en est puisqu'ils sont des hommes (ils pensent que la science est un domaine masculin) mais, en plus, ils attendent de nous autres femmes des compliments et de l'admiration.
D'accord merci pour la réponse, je comprends mieux maintenant :)
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