jeudi 13 septembre 2012

Encore une poétesse française

ANTOINETTE DE LOYNE.

Antoinette de Loyne a vécu entre 1520 et 1580, dirais-je. Elle épousa en première noce un certain d'Allier dont elle eut une fille qui épousa Jean Mercier, spécialiste de langue hébraique. Devenue veuve elle se maria ensuite avec un gentilhomme provencal du nom de Jean de Morel, qui était lié à Erasme et le vit même mourir. Le couple eut trois filles très brillantes surnommées "les trois perles" : Camille, Lucrèce et Diane de Morel.
Antoinette de Loyne traduisait Pythagore du grec en latin et correspondait avec Michel de l'Hospital.
Jean Maledent un savant limousin dit d'elle dans l'une de ses lettres dans laquelle il parle de poètes, entre autres de Dorat et de Ronsard : Antonia de Loina, quae mulier, meo judicio, in eo genere, viris nihil concedit. (Antoinette de Loyne est une femme qui selon moi de ne le concède en rien aux hommes par le talent). Il la met donc au même niveau que Ronsard lui-même.

Quelques-uns des cent distiques* de la poétesse sur la mort de la reine de Navarre.


En ce sainct lieu sont enclos
Et les cendres et les os
De la royne Marguerite :
O lieu sacré qui comprend
Un corps mort/toutes fois grand,
En terre par trop petite.

              *    *   *

 Combien que le corps soit mort
Sa gloire n*est pas esteinte :
Qui plus est , la mort ne mord
En sa poesie saincte.

              *    *   *

Elle est au ciel désormais,
 Et rien n'en reste , sinon
Que rentier et hault renom
Qui ne mourra jamais.

              *    *   *

 Avec sainct Pol je dirai
Et croirai
 Que la royne ici sommeille ;
 Et que son corps, n'est point mort,
Ains' qu'il dort
 Jusqu'au jour qu'il se reveille.

              *    *   * 

Vous, médecins, s'il vous plaist,
Ne travaillez plus pour elle :
Par son médecin elle est
Maintenant toute immortelle.

              *    *   * 

La royne entrant à la fin 
C'est lors qu'ell' commence à vivre
Elle meurt au monde affin
Qu'avec Dieu puisse revivre.

              *    *   * 
 Que veit-elle en ces bas lieux
Qu'une tristesse aspre et dure ?
Que voit-elle là hault aux cieux ,
Qu'un plaisir qui tousjours dure ?

              *    *   * 
Elle est morte, mais à Christ,
Et morte estant,
Son esprit vit à Christ de mort délivre.
Tel mourir comme est escript ,
N'est sinon qu'à toy Christ vivre.

              *    *   *

Si le monde doit fâcher
Oh tant de malheur abonde,
Moy donc fille de la chair
Qui m'arreste encor au monde?

              *    *   *

Si le vivre m'est mourir,
Et le mourir ce m'est vie :
Que crains-je? en toy je me fie,
O Christ! Viens me secourir.

              *    *   *

La chair qui fut tant contraire
A l'esprit, luy a (?).
Contencieux fut l'affaire,
Or, paix y a succédé.

              *    *   * 
 Mon corps est refaict tout beau
Et belle est la forme mienne ,
Ayant despouillé ma peau
Comme le serpent la sienne.

(Antoinette de Loynes fait parler la reine de Navarre morte)

              *    *   *

Christ seul à qui je servois
Eut et mon coeur et mon âme
Dont je suys et royne et dame ,
Plus grand' que quand je vivois.

(idem)

              *    *   *

Qui a fait qu'en ces bas lieux
De vivre n'eut onc envie?
La mort lui a faict aux cieux
Chemin de meilleure vie.


              *    *   * 

 Faisaint de ma vie eschange
A la mort qui m'a ravie
Dieu au ciel soudain me range
De mort en seconde vie.

              *    *   *

Le peintre , de son pinceau,
 L'engraveur, de son cyseau ,
Rendront-ils sa forme feinte
 En leur ouvrage parfaict,
 Si bien que sa plume a faict
 Quand soy-mesme elle s'est peinte?

              *    *   * 

Mille, non un argument,
Si mille aucun en demande :
Monstrent qu'ores pleinement;
La royne est heureuse et grande.
D'une infinite de sainctz
 Ta saincte ame est toute ceincte
Et sainctement tu te ceinctz
D'une aultre infinite saincte.

              *    *   *
Que dirois-tu , ô heureuse Minerve ,
Si du hault ciel tu descendois pour voir, ,
De ces trois seurs le tant, divin Savoir
Par qui l'honneur de ton loz se conserve?
L'une meintient que tu as rendu serve
La chair, afin que I'esprit pût prévoir
Par vive foy le but de son debvoir
Et les grans biens que Dieu aux siens réserve.

Les autres deux poursuivant le propos,
Louent la mort qui t'a mise en repos :
Diras-tu pas, oyant leur mélodie

Tant doctement célébrer ton grand bien,
Mes seurs il faut que ce mot je vous die :
Christ est mon tout, sans luy je n'estois rien.


In : le Tombeau de la reine de Navarre, Paris, Fezandat, 1551, in-8.

*en fait il s'agit pour la plupart de quatrains mais je les ai trouvés sous l'appelation "distique". Peut-être découvrirais-je le pot aux roses un jour ou l'autre).

"Dès la fin des années 1540, la famille de Jean de Morel accueillait dans sa maison de la rue Pavée à Paris les poètes et les humanistes les plus éminents de la capitale: Nicolas Bourbon, Jean Salmon Macrin, Jean Dorat parmi les néo-latins; Joachim Du Bellay, Ronsard, Jean-Antoine de Baïf, pour ne citer que quelques-uns des poètes de langue vulgaire. Or, la femme de Morel, Antoinette de Loynes, et ses trois filles, Camille, Lucrèce et Diane, avaient toutes les quatre reçu une éducation humaniste, leur permettant non seulement de participer aux activités littéraires et humanistes de ce que l'on a appelé le premier salon en France, mais encore d'attirer l'admiration du monde cultivé de l'époque. En examinant la correspondance des membres de la famille ainsi que certains ouvrages imprimés, cet article se propose d'illustrer les relations que les membres de la famille ont entretenues avec les visiteurs du salon ainsi que les changements d'attitude qui ont eu lieu au cours du XVIe siècle à l'égard de l'éducation des jeunes filles."

Introduction d'un PDF en anglais sur le salon des Morel.
(Les recherches sur les grandes figures féminines francaises de la Renaissance sont plus importantes en Amérique et en Allemagne qu'en france).

4 commentaires:

  1. Au sujet de ta dernière phrase : nulle n'est prophétesse en son pays (voir par exemple comme les français ignorent Monique Wittig) et puis nous sommes le pays de l'universalisme (sexiste, opinion personnelle) ! On ne va pas se mettre à distinguer entre mecs et nanas, ce serait du communautarisme, voyons !

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    1. En effet.
      Néanmmoins sur un blogueur monarcho-militaro-masculino-raciste (pardon : "culturaliste" comme il se définit) qui a repéré mon article sur la gynilité et a tenu à le signaler à ses troupes (il s'est donné le titre d'amiral) afin de leur rappeler l'une des nombreuses choses qu'il faut combattre dans ce monde entre les "khmers verts" et le "non-culturalisme" (à savoir l'antiracisme), entre autres) un commentateur cite Monique Wittig. Apparemment ses pires ennemis la connaissent très bien par contre.

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  2. J'ignorais même le nom d'Antoinette de Loyne ! Dans le "Dictionnaire portatif des femmes célèbres" (Jean François de Lacroix), que tu as sans doute repéré en ligne, elle est citée comme "savante Parisienne" dont on a "plusieurs petits poèmes imprimés dans le Tombeau de la reine de Navarre". Ses filles écrivaient aussi : "elles savaient le grec et le latin, et composèrent de beaux vers dans l'une et l'autre de ces langues. Camille était la plus savante. Elle possédait encore parfaitement l'italien et l'espagnol. Elle donna au public plusieurs poèmes; et l'on admira, entre autres pièces, une épigramme en grec qu'elle fit sur la mort de son père."
    http://books.google.be/books?id=UhMkcnGuApMC&pg=PA433&lpg=PA433&dq=Antoinette+de+Loyne&source=bl&ots=JkRxqt0y5i&sig=fW2hgnL-OlPZssAIkw2_B4EGBP8&hl=fr#v=onepage&q=Antoinette%20de%20Loyne&f=false
    Bon week-end, Euterpe.

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  3. Merci beaucoup Tania pour le lien car je ne l'ai pas repéré en fait. Je m'escrime à déchiffrer des vieux livres à peine lisibles ou pire, je vais sur www.archives.org où tout a été retranscrit avec des ii ou des U à la place de ll, des §amp; à la place de â, etc...sans doute à partir d'un Mac ou je ne sais quoi.
    Je vais allé le lire.
    Bon week-end à toi aussi :)

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