lundi 22 octobre 2012

Art et subversion ou le monde d'Ernst Volland

Puisqu'elle n'a pas manqué d'intriguer et que l'une de mes commentatrices bien-aimées m'a judicieusement fait remarquer que l'on jouait avec l'opposition jeunesse/vieillesse, je vais aussi parler de la partie inversée de l'affiche thématisée dans le billet précédent. On y distingue sur fond rouge une oeuvre de l'artiste Ernst Volland, autre spécialiste allemand en montages photographiques "provocateurs". Mis à part que contrairement à ceux de Klaus Staeck, ses montages sont vraiment dirigés contre l'ordre établi.
Non seulement ils sont provocateurs mais complètement subversifs.
Ce qui explique sans doute qu'E.V. soit présenté sur la tête (j'ai retourné l'affiche) obligeant au torticolis pour le voir et le lire, et qu'il n'a obtenu ni médaille de l'ordre du mérite allemand ni n'est aujourd'hui directeur de l'Académie des Arts de Berlin comme son collègue Staek, car, apparemment, dans cette société machiste, montrer des gages de sexisme, c'est à dire donner des preuves de sa foi chrétienne en la supériorité masculine sur la femme, est un tremplin assuré vers la réussite sociale, pour l'homme..........(ET malheureusement aussi pour la femme).
Si Ernst Volland se sert d'une image féminine, lui, ce n'est pas comme Staeck afin d'humilier une femme en fin de vie portraituré par un fils qui, sans doute intuitif comme tous les artistes, avait voulu saisir une dernière fois les traits de sa mère chérie vivante, Ernst Volland a, quant à lui, eu comme louable but de chercher à protéger à travers l'image d'une fillette, tous les êtres en devenir.
E.V. n'est peut-être pas pour autant pro-féministe, je n'en sais rien.

Néanmoins, l'affiche qui a été retenue pour la rétrospective actuelle de ce second graphiste, représente une petite fille de cinq ans tenant un verre et une bouteille d'alcool avec la mention "Je bois Jägermeister parce que mon dealer est en prison".
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Cette provocation et une autre, pire encore peut-être, qui orna une couverture du magazine "Pardon" représentant un bébé allaité par sa mère avec la légende : "Je bois Jägermeister parce que ma maman s'est saoûlée avec" lui valurent un procès avec la firme de liqueur alcoolisée "Jägermeister" + les foudres de la censure allemande.

En fait, Ernst Volland souhaitait qu'un débat soit ouvert en Allemagne sur les publicités pour l'alcool et leur impact sur la société allemande, en particulier sur les enfants.
La firme Jägermeister omniprésente dans la presse et qui pratiquait une offensive publicitaire particulièrement agressive fut clouée au pilori par ces affiches. Jägermeister intentera un procès à E.V. puis, malgré sa victoire et sans attendre le résultat de l'appel, retirera sa plainte + paiera le coût du procès


Les affiches d'Ernst Volland sont réellement percutantes et dérangeantes. Ici une galerie de quelques unes d'entre elles :
Un bouquet pour l'Allemagne 1979

montagen-1-gross



 Est-ce cela l'avenir de nos enfants ?

Les images parlent pour elle-même et sont pour la plupart d'entre elles encore plus actuelles aujourd'hui qu'hier.
Leur auteur a donc eu droit à quelques procès ainsi qu'à des oeuvres à lui confisquées voire entièrement détruites par la police berlinoise comme lors d'une exposition en 1981 à la galerie subversive dite la "Nouvelle Société des Arts Plastiques" (NGBK, Oranienstrasse Berlin-Kreuzberg).

Père de deux filles, Ernst Volland a aussi écrit et publié des livres pour enfants.

Cherchons des artistes de ce genre aujourd'hui dans les grands médias artistiques....où sont-ils/elles ? Et si certain.e.s existent en marge, il n'est pas question qu'ils/elles fassent un jour l'objet d'une rétrospective dans un temple consacré à l'Art. Car le montage politique est considéré aujourd'hui comme non-artistique. Depuis la chute du Mur et ce que certain.e.s considèrent comme le triomphe du capitalisme, les critères de l'establishment ont changé pour éviter toute publicité faite à la contestation.

C'est un peu comme si Charlie mensuel ou le magazine "Actuel" existaient encore et faisaient leurs Unes avec des montages photographiques d'Emelire,
tel celui-ci, ci-contre.
Aurait-elle alors droit à un procès médiatisé de l'afficheur Avenir (groupe JC Decaux), et, pour avoir secoué l'establishment, une consécration en tant qu'artiste provocatrice dans un musée d'art officiel ?.........................


Il ne faut pas rêver. 

En matière d'art, ne saurait être élevé au rang de "provocation" une dénonciation du sexisme ambiant que l'on fera toujours juste mine de nier et d'ignorer.
Et pourtant comme Volland, Emelire s'en prend bien à la pub et à ses méfaits !!!!!!!
 (cela dit, Charlie-Hebdo pourrait quand même publier les dessins de notre graphiste féministe blogosphérique, ce ne serait pas du luxe !

6 commentaires:

  1. Retournement d'affiche très intéressant, merci pour les explications sur ces détournements d'images percutants ! (Quasi rien sur Ernst Volland en français sur internet, deux photos proposées sur un site d'art aux enchères.)
    L'affiche Staek/Volland est un drôle de patchwork dont la finalité m'échappe encore : de qui, le montage de l'affiche et dans quel but ? une expo ? (Bon, j'arrête avec mes questions ;-)

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    1. Oui c'est une expo (dont je reviens à l'instant) sur les oeuvres de ces deux graphistes politiques. Elle a lieu en ce moment au Willy-Brandt-Haus, à savoir la maison du SPD. Le rez-de-chaussée est consacré à Staeck et le 2e étage à Volland. Je suis un peu déçue parce que j'espérais ne voir que des collages politiques. Au lieu de cela. il y avait un peu de tout, ce qui faisait un peu trop bric-à-brac, et ça manquait d'explications.
      Ces deux hommes ne sont pas connus en France car ils sont vraiment trop berlino-berlinois. Néanmoins certaines oeuvres de Volland sont vraiment fortes. Mais je ne suis pas sûre qu'il en est conscience.

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  2. J'aime bien ces affiches, surtout les trois Shell, le sandwich avec saucisse de Francfort et l'enfant japonais. Elles sont très expressives et les messages sont forts.

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    1. Oui, moi aussi, ces affiches (dont les originaux sont de tous petits collages astucieusement organisés) m'impressionnent beaucoup.

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  3. Merci Euterpe, de l'honneur que tu me fais ;o) J'ai toujours aimé les détournements, ceux que tu présentes sont bourrés de sens, j'en connaissais au moins 2. Je consultais bcp le journal Graphis étant ado, à la bibliothèque... le graphisme, les images, le sens...

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    1. C'est totalement mérité :) Il faudrait organiser une expo de tes travaux un jour à Paris ! (Et sinon à Berlin, avec des traducs).
      Génial que tu connaisses Volland ! Mais il est vrai que les "Jägermeister" ont du être relayés par les magazines d'art graphique du monde entier. Et au moins aussi le collage sur la Shell. Très dommage que leur auteur fait du Gerard Richter maintenant.

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