Pendant que j'en suis aux Mémoires de grandes dames de l'ancien Régime, parlons de celles de Jeanne d'Albret :
(ce livre n'est pas celui des mémoires de Jeanne mais la couverture de cette bio est plus attrayante)
Dans ses Mémoires, Jeanne parle à plusieurs reprises de sa crainte d'un massacre général des protestants tel celui qui eut lieu à la Saint-Barthélémy. Or on ne peut la soupconner d'avoir à postériori feint cette prévision puisqu'elle mourra un peu avant. Je n'ai pourtant jamais entendu les historiens se référer aux multiples prédictions de Jeanne d'Albret à propos de ces événements (sauf Berdou d'Aas ci-dessus mais, normal, il écrit une biographie de Jeanne!). Ah ben oui, "c'est une femme qui parle" (selon la formule consacrée) !
(Explication de l'extrait ci-dessous : Jeanne est barricadée au château-fort de Nérac, l'un de ses principaux fiefs, pour se prémunir de l'enlèvement de son fils (le futur Henri IV) car elle a appris qu'un certain de Losses du parti catholique le projetait. Monluc, cité ici, est un général d'armée qui servit trois rois et sema la terreur chez les huguenots par de nombreux attaques, pillages et massacres dans leur camp.
"Ses Majestés" sont Charles IX et Catherine de Médicis qui souhaitent une tolérance réciproque des deux camps religieux mais son cernés par les conspirateurs. Quand Jeanne parle des séditieux qui ne respectent ni le roi ni les édits, elle fait allusion à l'édit de pacification qui vient d'être promulgué. Le cardinal de Lorraine et autres cardinaux dépêchés de Rome à cet effet veillent à ce que le parti huguenot soit tenu en échec et peut-être incitent ses "Majestés" et les nobles à les exterminer. Mais écoutons Jeanne qui semblent trouver la situation très alarmante. (Nous sommes le 8.8.1568, la Saint-Barthélémy aura lieu quatre ans et seize jours plus tard).
"Je demeurais donc audit Nérac et non sans peine. Et Monluc sait combien de fois j'ai empêché que les nôtres ne s'assemblassent les premiers. J'en ai renvoyé plusieurs qui, effrayés tant des nouvelles de l'entreprise du ravissement de mon fils par le dit sieur de Losses que de menaces des papistes, me venaient trouver. A la fin, voyant tous ces sinistres présages de guerre, et même considérant les réponses que m'avait apportées Voupillières, forgées en la boutique du cardinal, je cogneu et à mon regret que les affaires de ce royaume penchaient du côté de la ruine, puisqu'en lieu de les étayer par bons et promptes remèdes, selon l'avis qu'en avaient tous les jours leurs Majestés par leurs plus fidèles sujets et serviteurs, l'on mettait la sappe au pied par une connivence des crimes et violences faites, même au Roi en ses édits, et qui s'augmentaient avec un tel débordement, que je fus plus que contrainte de laisser à penser à mes affaires particulières pour discourir à part moi, et puis avec mes amis et serviteurs, de l'évènement de tous ces orages, et quelle fin ils pouvaient tirer après eux, ramenant les troubles passés ; et par quelle violence et contrainte ceux de la Religion réformée avaient été plus que forcés de s'armer et défendre, et que, pour une des occasions qui les contraignaient à cela, il y en avait dix en ce temps ici.
Je fais ma conclusion ainsi : qu'il fallait de deux choses l'une, à savoir ; que leurs Majestés pour retrancher le cours à ce fleuve impétueux de misères, donnant lieu aux conseils et avis de ceux qui, avec pitié et zèle à leurs services, les avertissant tous les jours du mal, lui en disaient quant et quant le remède, il leur plut les croire et approchés de leurs Majestés ; ou que, s'ils s'endurcissent au mal, quittant le timon de ce pauvre royaume et l'abandonnant aux vents et flots de l'adversité par la malice des faux et traîtres pilotes d'icelui, auxquels ils se fient trop, qu'il était nécessaire par nécessité forcée que les princes du sang, comme étant astreints à un plus particulier devoir, et après la Noblesse et le peuple, missent la main vertueusement à l'oeuvre, s'opposant par tous moyens, comme fidèles sujets et serviteurs, à telle ruine dudit royaume. Et que cette opposition serait cause que le cardinal de Lorraine, pour pêcher en eau trouble, n'entreprendrait rien moins pour s'ôter cet empêchement de nous faire tous mourir, comme la lettre du cardinal de Créqui, de laquelle, pour être ci-dessous imprimée, je ne parle d'avantage, lui enlève le masque ; (...). "
ô ô ô mon pays qui apparait dans le blog d'Euterpe... ;+)
RépondreSupprimerEtonnante Jeanne. Et tous ces silences de l'histoire !
RépondreSupprimerà jfsadys : oui, Nérac ! Dire qu'il y avait un si gros château et qu'il n'en reste qu'un tout petit vestige ! En tout cas, c'est un endroit assez paradisiaque !
RépondreSupprimerà Tania : et encore je me retiens de ne pas en citer plus ! Elle était très clairvoyante sur tout ce qui se passait alors que les temps où elle a vécu étaient vraiment très difficiles. Pour démêler le vrai du faux, il ne fallait assurément pas être dans les nuages. Je ne trouve pas étonnant qu'elle ait tellement souffert de maux de tête !