jeudi 21 juillet 2011

La spiritualité du baiser au XVIe siècle


Dans un monde où la sexualité et l'amour divorcent dans un fracas qui se veut joyeux, où le sexe a largement rejoint et dépassé les autres addictions : alcool, tabac, sucre, jeux vidéo, télé, ordinateur,shopping,...parlons un peu pour faire contrepoids, de la spiritualité du baiser au seizième siècle.
L'écrivain québecois David Dorais s'exprime très bien là-dessus ici
Sur la biographie de l'auteur je copie/colle ce qu'en dit un catalogue de publications : David Dorais naît à Québec en 1975, à la croisée du bouddhisme et du christianisme, d'une mère vietnamienne et d'un père québécois. Durant les années 1990, il sillonne l'Europe, le plus souvent à pied. Il entreprend alors son noviciat dans un monastère de France, où il reste un an. Il revient ensuite au Québec, où il fonde une famille. Il vit présentement à la campagne, a deux enfants et prépare une thèse sur la poésie érotique de la Renaissance.

Ajout (finalement je transcris en (presque) résumé l'exposé de D. Dorais) :

L'une des plus grandes originalités de l'érotisme du XVIe siècle, c'est l'importance majeure que peut avoir une pratique qui, de nos jours, dans la littérature érotique est presque passé sous silence, c'est-à-dire le baiser.
Le baiser prend une place fondamentale dans l'érotisme renaissant au détriment de ce que nous pourrions considérer comme ce qui aurait de plus naturel c'est à dire l'acte génital. Dans la poésie de la Renaissance, la poésie érotique, amoureuse, le rapport sexuel est à peu près passé sous silence, tandis qu'on va insister énormément sur le baiser, à tel point qu'il va presque devenir un sous-genre littéraire. On a vraiment un type de poème qu'on appelle "Le Baiser" avec un B majuscule, et qui va devenir extrêmement populaire chez plusieurs poètes. Chez presque tous les poètes amoureux, vous allez retrouvé des pièces, des sonnets la plupart du temps, où on va s'attarder sur le baiser. On y décrit toutes les formes que peuvent prendre les baisers, avec la langue, sans la langue, en mordillant ou non, petits baisers secs ou mouillés, avec toutes sortes de métaphores et de comparaisons avec la nature, les oiseaux, les fleurs ; on va beaucoup s'attarder également sur les goûts, les parfums qu'on va retrouver à travers ces baisers.
Pourquoi parmi les états de société et les systèmes de pensée différents, pourquoi à cette époque précise, s'attarde t-on particulièrement sur le baiser ? Parce que les gens du XVIe siècle vont trouver un aspect spirituel dans cette pratique. Pour eux, l'union des corps inclue également une union des âmes ou des esprits, parce que l'érotisme se déroule toujours dans un contexte amoureux, et c'est extrêmement important à ce moment-là, et donc en échangeant des souffles à travers le baiser selon certaines mystiques, ou selon la philosophie néoplatonicienne très en vogue à la Renaissance, les amants échangent leurs âmes et chaque âme va aller trouver refuge dans la personne de l'autre, du partenaire, de l'amoureux, et chacun des amants va héberger, abriter l'âme de la personne qu'elle aime.
Cet aspect spirituel permet aux auteurs de la Renaissance de donner littéralement un nouveau souffle à l'érotisme, c'est à dire de l'amener plus loin et d'inscrire le rapport strictement corporel, physique dans un univers affectif, et même dans un univers presque religieux, avec le tranfert et la migration des âmes. C'est ce qui nous ouvre sur la pensée de la Renaissance, très différente de la nôtre, qui est la pensée analogique, où tout ce qui se déroule sur le plan terrestre va entretenir un rapport avec certains éléments de ce qu'on appelle le macrocosme, du cosmos, de l'univers.
On retrouve cette même pensée dans la vision du corps qu'on va avoir dans l'érotisme renaissant.
Nous, nous sommes habitués, dans la littérature libertine à une vision du corps très médicale, clinique, une vision anatomique du corps, divisée en parties, constitué d'un assemblage de parties.
A la Renaissance, on se situe avant cette vision classique, découpée, et c'est une vision plutôt analogique justement du corps, où les parties du corps, où les gestes vont être en lien avec la vie de la nature, avec des grands mouvements d'énergie, avec des matières que l'on va retrouver dans la nature.
Ainsi à travers le baiser et cette vision ouverte du corps, cela permet d'offrir une vision érotique très différente de ce que nous connaissons de nos jours, une vie pratique, corporelle, qui n'est, non pas refermée comme quelque chose d'uniquement organique, mais qui est ouverte sur une vie spirituelle ou cosmique.

13 commentaires:

  1. Ces réflexions sur le baiser me font revenir à la prostitution: les prostituées refusent le baiser. Probablement parce qu'il recouvre toute une série de significations qui n'ont pas lieu d'être dans la pratique prostitutionnelle et sûrement parce que, comme Dorais le rapporte, il va au-delà de la vision organique de la sexualité. Le baiser est peut-être comme l'affection: invendable.

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  2. Le baiser est la plus sûre façon de se taire en disant tout.
    [Guy de Maupassant]

    (Source: http://www.evene.fr/citations/theme/baiser-bisous-amour.php)

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  3. oh, c'est très inspirant et carrément passionnant cette histoire du baiser ;)),et fort joliment raconté, dommage d'ailleurs que le verbe ait dû pour remplacer "foutre" (jugé trop vulgaire) perdu sa valeur initiale de donner un baiser.

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  4. oui, c'est effectivement plein d'une certaine délicatesse.
    ça me correspond d'ailleurs assez bien cet etat d'esprit là...
    j'aime pas du tout la copulation...
    mais les lèvres et les bras de l'autre...
    bon j'avais écrit un truc là dessus... sans sexe évidemment...
    (je mets très peu de sel dans ma cuisine aussi d'ailleurs)

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  5. Bien sûr, le véritable amour ne va pas sans la communion des âmes. L'expression trouver "l'âme soeur" n'est pas un vain mot. Tant de nos contemporains se débattent dans des situations amoureuses tellement emberlificotées qu'on en vient à se demander s'ils ont conscience d'avoir un corps habité par une âme.....Peut-être l'ignorent-ils ?

    Fa#

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  6. Ca me fait penser au vers de Rostand dans Cyrano : "Qu'est-ce à tout prendre un baiser ? C'est un souffle de l'âme" (à peu près).

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  7. Quelle délicatesse! Le souffle, l'âme qui passent de l'un à l'autre, une en une sorte de communion,; ça me plaît beaucoup.
    J'ai retrouvé cette phrase de Balzac copiée dans un carnet il y a longtemps (j'ignore où je l'avais lue): "Les baisers d'une femme sincère ont un miel divin qui semble mettre dans cette caresse une âme, un feu subtil par lequel le coeur est pénétré."

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  8. lire:"qui passe de l'un à l'autre en une sorte..." bien sûr.
    Ton illustration est superbe, aérienne...comme un baiser?

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  9. Je vais détonner.
    Un baiser c'est la jonction de deux tubes digestifs.
    Maintenant je reviens dans le chemin du ciel: il faut pouvoir dépasser cela et y mettre du symbole pour l'effectuer ET y trouver plaisir (physique et sentimental)
    Itou pour la copulation en somme.
    Meb, poétesse à ses heures.

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  10. http://au-cabaret-du-bon-dieu.blogs.la-croix.com/les-chansons-du-carmel-1-amina-alaoui-met-en-musique-un-poeme-mystique-de-therese-d%E2%80%99avila/non-classe/2011/07/22/

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  11. A Hélo : ce qui a mon avis prouve que cette dimension cosmique existe et que c'est le seul lien avec le grand Tout qui reste à la prosti-tuée. Un lien ténu mais qu'elle arrive à défendre. Renforcer ces femmes seraient de les motiver à renouer/défendre les autres liens, moins forts, mais qui les déconnectent autant des individus-filles-du-cosmos qu'elles sont (idée de projet anti-prostitution à creuser peut-être ?).

    A jfsadys : jolie citation, merci !

    2e intervention : je ne connaissais pas Amina Alaoui. Je l'écoute sur youtube. Ah l'Andalousie ! (Et la langue espagnol (soupir)!).

    A lucia mel : étonnant ce que tu écris car "foutre" ne voulait pas dire "donner un baiser" mais se rapportait au coït à ce que j'en sais ! Quelles sont tes sources ?

    2e intervention : c'est ce que Dorais dénonce, le fait de voir le corps en terme de tube digestif, etc... c'est notre mentalité qui nous fait nous percevoir en termes de pièces de machines : tubes, boulons, écrous, orifices,...c'est moche, non ?

    A paul : moi je suis connue pour oublier le sel dans tous mes plats mais au moins je ne souffre pas d'hypertension !

    A fa# : l'idéologie consommatrice dominante, en effet, fait se voir et voir l'autre comme un produit consommable ou pas. Du coup, cela demande une forte volonté personnelle de s'en distancer assez pour retrouver la place perdue de l'âme.

    (Maintenant que vous avez un blog, quand vous répondez à un commentaire, vous pouvez opter pour la case Nom/URL. Vous mettez "Fa#" dans "nom" et l'adresse de votre blog :(blogfadiese.wordpress.com/) dans "URL" et vous n'apparaissez plus sous le nom "Anonyme" :)).

    A Hypathie : encore une jolie citation, merci beaucoup !

    A Colo : Balzac est étonnant de finesse. Il est aussi l'un des rares hommes à avoir dénoncé en son temps la bibeloïsation des femmes.Merci pour la citation que je ne connaissais pas. Je l'en aime encore plus !

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  12. A colo encore (à propos de l'illustration) : oui un duo d'anges (comme deux âmes) qui tiendraient un voile blanc (le lien doux et pur qui les relierait par le baiser) voilure qui leur ferait prendre de la hauteur (= rejoindre le cosmos situé "en haut") = en effet l'idée d'aérienneté (si je puis dire) du baiser est entièrement contenue dans cette image associée.

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