jeudi 10 novembre 2011

"anonyme" est un bâtard incestueux, certes, mais le pire est évité : ce n'est pas une femme



Je voulais publier d'autres choses (le Goncourt des lycéens communiquer par JEA ; le résultat général de mon tag, entre autres) mais je viens de voir avec une salle pleine de gens qui ont participé comme moi d'une manière modeste ou non à sa fabrication, le film de Roland Emmerich consacré à Shakespeare auquel est rattaché désormais un paquet de souvenirs et de billets de ce blog, il faut donc que j'en parle au risque de lasser.
Voir ce film m'a fait l'effet de visionner une vidéo familiale "Tiens, Jessica ! Tiens, Manfred !" retrouver des têtes connues qu'aucun spectateur/trice ne remarquera jamais, retrouver des parties de décor vus dans les coulisses, redécouvrir certains objets aperçus dont on se demandait à quelle genre de scène ils allaient bien pouvoir servir : le chariot à foin, par exemple, à l'abri duquel on est allé s'étendre en cachette et d'où l'on a surpris quelques techniciennes qui s'emparaient de paillasses pour s'allonger sous la Lune parce qu'on est venus à l'aube et que l'on sera encore là à l'aube suivante ; on découvrait enfin quelle effet avait finalement été obtenu avec certaine caméra supergéante à cou de dinosaure et tête chercheuse qui obligeait à se plier en deux à son passage, à apprendre de où à où telle scène interminable recommençée dix fois a été coupée au montage, à se souvenir des odeurs, du froid, du chaud, des sons, des incidents, des conflits, des romances, des diverses équipes techniques et bien sûr des acteurs cotoyés parce qu'excellents dans des rôles qu'ils/elles n'ont bien entendu pas choisis. Tellement bons (90% d'hommes) qu'on en oubliait qu'ils jouaient.


Esthétiquement très réussi, ce film m'a surtout donné envie d'en faire un moi-même mais avec nettement moins d'hommes en vedette.
Un film avec plein de femmes et d'animaux.
Car dans "Anonymous" les animaux vivants sont des véhicules (chevaux), des obstacles (poules qui entravent la fuite de quelq'un) et les animaux morts, comme dans le bureau du soi-disant vrai Shakespeare, sont des trophées au mur (un demi-zèbre, par ex.), des cadavres en bocaux, ou seulement apparemment empaillé comme le faucon aveuglé par un masque (qu'il aurait normalement du porter uniquement à la chasse) afin d'effrayer le visiteur et le/la spectateur/trice.
Voilà qui ressemble à notre époque et non au XIVe siècle !
En attendant pour ce qui est de la théorie selon laquelle l'oeuvre de Shakespeare aurait été écrite par Edouard de Vere, comte d'Oxford, qui aurait en même temps été le fils caché de la reine Elisabeth avec lequel elle aurait ensuite eu un autre fils caché (oui, vous avez bien lu, Roland Emmerich qui par ailleurs est un grand cinéaste vient de surpasser Patrice Chéreau sur la question du cliché de l'inceste au XVIe siècle), elle est juste ÉNORME.

Voilà ce qu'en dit d'ailleurs le Zeit-online (extrait) :

" (...) Ce qui est bête c'est que de Vere est mort en 1604 et que dix pièces ont été écrites après cette date. Macbeth, La Tempête font allusion à des événements qui se sont produits après sa mort. D'après Anonymous de Vere aurait écrit Le songe d'une nuit d'été, un nouveau genre du théâtre elisabéthain, 40 ans avant la première – il aurait donc eu 9 ans. C'est comme si Buddy Holly, le plus grand musicien de rock de tous les temps avait composé Peggy Sue en 1945 ; sauf qu'à l'époque il y n'avait juste pas de rock ’n’ roll du tout. (...)
La question que l'on se demande alors, c'est "qui ment?". Mais les films se préoccupent rarement de vérité historique ; il s'agit de raconter une bonne histoire qui aurait pu éventuellement se passer. Le problème avec Anonymous est malheureusement plus aigu, il pénètre au coeur de la créature postmoderne qui par principe ne fait pas de cas particulier de la vérité parce qu'elle ne serait qu'une »construction«. Tu as ta version et j'ai la mienne – qui sera en mesure de dire laquelle est juste ?"

Bon OK, l'article ne parle ni d'Elisabeth, ni d'inceste, ni du fait que Shakespeare aurait pu être une femme. Il est question de la vérité historique et d'hommes. Et dans le film et dans les critiques et dans les exemples pour étayer ces critiques.
Les hommes, les hommes, les hommes. Seuls sexes autorisés à montrer toutes les facettes de l'être humain.
Dans ce film, les femmes sont ou des quémandeuses de mariage et de dot, ou des prostituées ou une reine qui se préoccupe surtout de ses plaisirs et qui est gouvernée en sous-main par un homme (je n'ai pas retenu le nom de personnage).


Et les bandes-annonces précédant le film ce sont révélées pire encore. Aucun blockbuster à voir dans l'avenir ne répond à l'un des critères du test de Bechdel qui en compte trois.

Ici l'enfance d'Elisabeth pour les anglophones. Fille d'un second lit avec un père qui tua sa mère, abusée sexuellement dans son enfance, soucieuse de ne pas se laisser voler le pouvoir par un homme, voilà une femme qui n'eut certainement pas la sexualité débridée que lui prête Emmerich. D'ailleurs une autre théorie existe qui accorde directement la maternité de l'oeuvre de Shakespeare à sa personne...

6 commentaires:

  1. Ah, j'imagine comme d'avoir participé au tournage modifie le regard a posteriori - et la curiosité, le plaisir de découvrir ce que ça donne finalement !
    "Le problème avec Anonymous est malheureusement plus aigu, il pénètre au coeur de la créature postmoderne qui par principe ne fait pas de cas particulier de la vérité parce qu'elle ne serait qu'une »construction«. Tu as ta version et j'ai la mienne – qui sera en mesure de dire laquelle est juste ?" Voilà qui est bien dit, Euterpe.

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  2. A Tania : oui ce tournage a été particulièrement mémorable et c'était beaucoup lié non seulement au fait qu'il s'est étalé sur plusieurs mois mais aussi en raison de l'époque représentée. On a palpé l'époque rien que par le vêtement, les objets manipulés, le décor. Avec une metteuse en scène d'opéra qui faisait aussi de la figuration dans ce film et par la suite dans "Hotel Lux", nous avons comparé notre ressenti de ces époques et nous étions d'accord pour dire que les rapports humains ne pouvaient être que plus froids au XXe siècle rien que du fait des habits (et des coiffures) plus raccourcis et étroits et à cause de l'intrusion des machines.
    On a été subjugué.e.s à d'autres niveaux, bien sûr. Parce qu'Emmerich est un cinéaste de superproduction et donc il y a des moyens incroyables qui sont déployés pour un tel film et puis il y a les studios Babelsberg qui sont une planète à part entre Berlin et Potsdam.
    Ce film est presque un album souvenir ! :)

    Oui chacun.e a sa version de la vérité, c'est vrai, mais aux uns on va prêté 30 millions de dollars pour en faire la propagande (c'est cela le cinéma quoi que l'on en dise), quant aux autres elles sont tenues de la garder pour elles ! :)

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  3. "Dans ce film, les femmes sont ou des quémandeuses de mariage et de dot, ou des prostituées ou une reine qui se préoccupe surtout de ses plaisirs et qui est gouvernée en sous-main par un homme..." : le cinéma américain est à 99 % un hymne à la virilité où les femmes ne sont que des faire-valoir. Même chez les plus grands cinéastes. Pénible. Le dernier que j'ai vu, une copie restaurée de Badlands de Terrence Malick (chef-d'oeuvre panthéiste avec des plans incroyables sur la nature pelée et plate du Montana et sur des animaux sauvages à tomber raide et à se relever la nuit) montre un mec sociopathe qui tue tout le monde. Il est accompagné tout du long par une fille-femme idiote, soumise et suiveuse sans états d'âme, en un mot, castrée psychiquement. C'est tiré d'un fait "divers" réel. Mais même aux USA, il doit bien y avoir quelques femmes qui en ont dans le chou ! Il suffit juste de vouloir les montrer au cinéma.

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  4. A Hypathie : oui il y a ce film "la dernière piste" de la réalisatrice Kelly Reichardt dont a parlé Sandrine et que je suis allée voir quand j'étais à Marseille lors de mon dernier passage en France : http://sandrine70.wordpress.com/2011/07/11/la-derniere-piste/ mais ce n'est pas un blockbuster.
    Qui donnera à une femme les moyens de réaliser une superproduction ? Il ne faut pas oublier que ceux qui les financent ne sont pas non plus des femmes.

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  5. ça sort mercredi prochain en France, j'irai le voir et j'essaierai de t'y apercevoir ;))

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  6. A lucia mel : OK alors suis attentivement le personnage nommé Francesco. Tu finiras par m'apercevoir à ses côtés :)

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