Il n'est guère possible d'expliquer en quelques lignes le massacre de la Saint-Barthélémy mais j'aimerais en présenter une autre version simplifiée par mes soins d'après les plus récentes biographies de Charles IX et de Catherine de Médicis que je connaisse.
Charles IX ne rêvait que d'exploits guerriers. Comme tous ces contemporains masculins il avait été formé à la virilité par les exemples tirés de "La vie des hommes illustres" de Plutarque, tous de grands militaires. On le comprend bien : il aurait voulu en être un. Manque de bol, il était roi. Ce qui ressemble plus à un boulot de fonctionnaire si on y regarde de près.
Catherine de Médicis, comme toutes les femmes mêlées au pouvoir, ne rêvait que de paix. Eléonore de Habsbourg la précédente reine, Louise de Savoie sa belle grand-mère, Marguerite de Navarre, sa belle-tante, toutes ces prédécesseresses avaient oeuvré comme elle, et comme elles pouvaient, pour la paix. Catherine faisait de son mieux pour réconcilier catholiques et protestants mais la tâche était d'autant plus ardue que son autorité parce qu'elle était femme, était en permanence contestée par toutes les factions.
En premier lieu, par les huguenots, l'amiral de Coligny en tête, qui, comme Charles IX, rêvait de guerre et aussi de calviniser toute l'Europe. L'occasion était bonne. Les "Gueux" des Pays-Bas, une conjuration de nobles qui voulaient renverser le joug espagnol avaient, selon lui, besoin d'aide. On s'y rendrait et en chassant les espagnols, on calviniserait les Pays-Bas qui n'attendaient que cela, d'après lui.
Les Valois, cette famille trop tiédasse pour la cause protestante qui fâchait également le pape parce qu'elle ne prenait pas non plus fermement parti pour les catholiques, allait devoir suivre bon gré mal gré le mouvement, on trouverait le levier, il n'y avait qu'à chercher.
En effet, la famille royale était quelque peu malmenée par tous les partis et on songea un temps à déposer le roi. On l'enleva même ainsi que sa mère, ce fut toute une histoire, puis on les relâcha ; bref, la couronne de Charles IX vacillait quelque peu.
Dans la tourmente générale et même sans elle, Charles IX ne savait à qui se raccrocher. Coligny se présenta alors à lui en grand chef de guerre digne des héros de Plutarque. Charles IX avait enfin trouvé un père. Coligny son levier.
Mais Catherine s'empressa d'expliquer à Charles que ce n'était pas le moment de se chercher un père en la personne d'un individu qui s'apprêtait à mettre non seulement la France mais probablement l'Europe entière à feu et à sang. En effet, l'Espagne n'allait certainement pas observer le manège de Coligny les bras croisés.
Mais Coligny profita du mariage de Marguerite de Valois avec Henri de Navarre pour se rapprocher un peu plus du roi et contrer ainsi l'influence de sa mère, des Guise et des nonces du pape.
Catherine s'affola. On commencait à donner des ordres pour déplacer des troupes aux frontières des Pays-Bas.
Impuissante à convaincre le roi, elle résolut (ou ils résolurent à plusieurs) de faire assassiner Coligny en douce, peut-être avec la complicité d'Anne d'Este, ou du moins de Henri de Guise. D'après Dumas avec la complicité du roi lui-même qui n'osa pas faire arrêter celui qu'il appelait "mon père".
Malheureusement l'attentat échoua. S'il avait réussi, il n'y aurait jamais eu le massacre qui s'en suivit.
Le blessé et surtout ses compagnons firent un terrible scandale, clamèrent que les Valois avaient signé leur arrêt de mort. On menacait ni plus ni moins de les assassiner à leur tour.
Puis après avoir crié au meurtre et à la vengeance, les chefs protestants suggérèrent à l'amiral de quitter Paris sur le champ de peur d'être assassinés eux-même. Bref, l'air sentait déjà le sang. Mais Coligny qui aurait perdu en s'éloignant de Paris son ascendant sur le roi alors qu'il était si proche d'obtenir ce qu'il briguait, refusa.
Catherine et Charles en entendant les menaces contre eux qui couraient par les rue, prirent peur. Charles n'ayant pas d'idée, Catherine et d'autres peut-être suggèrent d'éliminer les chefs protestants qui se trouvaient au Louvre. Il fallait selon elle (et eux) couper les têtes de l'hydre. On établit une liste et Charles IX donna son accord, bien qu'à contre coeur, il s'agissait quand même de grands militaires. C'est là qu'il aurait dit (puisque c'est comme ça) "Tuer les tous". Il était question des chefs de la liste et non de tous les protestants du royaume.
Avec cette exécution secrète, qui, il faut le dire, n'était pas totalement inhabituelle pour l'époque, l'assassinat passant pour un acte politique de dernière extrémité, Catherine eut certes sérieusement du sang sur les mains mais elle ne fut pas la seule et ses (leurs) motivations n'ont rien à voir avec celles qu'on lui (leur) prête. Quand à la catastrophe qui s'en suivit, nul ne l'avait prévu. Que la foule fut prise d'une folie de carnage, on ne peut en imputer la responsabilité directe ni à Catherine ni à Charles IX. La tension avait atteint le point culminant. Ce fut la ruée contre les huguenots.
Catherine et Charles furent dépassés par ce qui se passa alors, et la légende racontant que Charles aurait tiré sur ses sujets depuis les fenêtres du Louvre est fausse.
Le pape qui ne mesura pas tout de suite l'ampleur des dégâts avait déjà envoyé un émissaire avec une lettre de félicitations au roi pour avoir éliminer les principaux chefs protestants mais il rappela en catastrophe son émissaire quand il en apprit les "dommages collatéraux".
Voilà grosso modo comment en cherchant à tout prix à sauver la paix du royaume et aussi quelque peu son trône, un.e puissant.e peut provoquer une bavure de très grande envergure.
Seulement voilà : les femmes sont souvent sollicitées et écoutées quand il est déjà trop tard, que le mal est fait et que plus rien ne peut arrêter le cours des choses, à moins d'une solution catastrophique.
Voilà de quelle manière certains hommes de pouvoir inconséquents se retrouvent acculer à d'épouvantables extrémités et comment ils conservent leur candeur aux yeux du monde en reportant le discrédit sur autrui. Une femme de préférence.
Catherine a belle et bien évité une guerre autrement plus sanglante entre la France et l'Espagne prolongée des Pays-Bas à laquelle se seraient peut-être joints d'autres pays comme l'Anglelerre et les principautés allemandes, guerre aux conséquences incalculables. Elle a évité la guerre peut-être mais par la violence alors qu'elle voulait la paix et au prix de sa réputation dont, il est vrai, Catherine se souciait comme d'une guigne.
Ajout de 20.04 : une bio hurluberlue de Cathy trouvée en farfouillant sur google.
@euterpe
RépondreSupprimerMerci pour cet exposé
ça me semble très plausible comme hypothèse historique cette présentation. je ne connais pas bien tout ça. mais ça me semble réaliste psychologiquement et politiquement.
d'une part les motivations des personnages
d'autre part le dérapage social d'une population versant dans le crime collectif sur cette occasion. qui là aussi peut être expliquée psychologiquement dans bien des cas rencontrés dans l'histoire humaine.
l'histoire du bouc-émissaire est une vieille recette de comportement social : on reporte brusquement toutes les tensions déstabilisatrices d'une société sur une cible, une fausse solution. ça semble évacuer le problème initial. en fait ça brise toutes les tensions sur le moment. et devant l'horreur du mensonge pratiqué tout le monde se tait et passe à autre chose pour oublier. et se réaccorder sur l'oublie collectif du mensonge ou du sacrifice du bouc-émissaire.
alors pour la saint barthélémie je ne sais pas exactement. mais bon, le peu que vous me laissez entrevoir me fait penser à ça.
A paul : malheureusement je viens d'apprendre que mes connaissances sont dépassées dans le domaine et que Catherine de Médicis pourrait ne pas avoir la moindre goutte de sang sur les mains !
RépondreSupprimerCela m'apprendra à aller rechercher de vieux ouvrages périmés ! A la fin, je ne fais pas beaucoup mieux que Teulé alors que je voulais m'en démarquer justement !
Je vais donc revenir sur ce billet.
Néanmoins pour ce qui est de la dynamique du massacre, c'est la même à toutes les époques et sur toutes les latitudes comme vous le faites remarquer très justement dans votre commentaire.
Mis à part que je dirais peut-être plutôt "victime expiatoire" que "bouc émissaire".