lundi 9 avril 2012

La Valkyrie au bois dormant







Les poèmes eddiques : Helreið Brynhildar (le voyage de Brunehilde au séjour de Hel (la déesse des morts)) et Sigrdrífumál (où Odin pique Brunehilde de l'épine du sommeil), ainsi que la Völsunga saga (dans laquelle on trouve encore une histoire de pomme soporifique), racontent que Brynhildr est une jeune valkyrie (une vierge guerrière) qui prête serment à un roi vaillant, Agnarr. Lorsqu'une bataille oppose les rois Agnarr et Hjálmgunnarr, le dieu Odin promet la victoire à ce dernier mais Brynhildr pour être plus sûre de sa défaite, tue Hjálmgunnarr. Pour la punir de son initiative, Odin la maudit d'un sommeil magique et l'enferme dans un mur de flammes que seul un homme qui ne connaît pas la peur pourra traverser.

Après avoir tué le dragon Fáfnir, Sigurd, l'homme en question est conseillé par des oiseaux de libérer Brynhildr. Il se rend au lieu de repos de celle ci et traverse le mur de flamme avant de réveiller la valkyrie en lui coupant sa cotte de maille avec son épée.

On remarqua que La Belle au bois dormant est, à l'origine, l'histoire d'une rebelle. On est donc loin de la mièvrerie de Walt Disney que l'on doit également aux frères Grimm.
De plus la menace permanente d'une femme à la fois mauvaise et magicienne appelée "sorcière" qui plane sur l'héroine ne se retrouve guère dans les mythes d'origine où ce sont bien plus les hommes qui "punissent".

Dans la version Disney/Grimm, un détail intéressant est à relever : la "roue éternelle du temps" des contes eddiques, devient un rouet. Du coup on retrouve, comme chez Blanche-Neige, une allégorie des saisons car plusieurs siècles durant, il était interdit aux femmes de filer pendant la période de Noël, c'est dire du 12 décembre au 6 janvier environ. Chez Disney/Grimm, on brûle tous les rouets du royaume pour que l'adolescente ne se pique pas.
Or la piqûre ayant un rôle socialisant de première importance, elle DOIT se piquer.

Dans "De l’épingle à l’aiguille, l’éducation des jeunes filles au fil des contes"
de l'ethnologue Anne Monjaret, (extrait résumé :) le langage des épingles et des aiguilles est celui qui exprime au mieux l’état d’entre-deux de la pubère. Dans la société paysanne du XIXe et du début du XXe siècle, de l’enfance à l’état adulte, les filles apprennent les pratiques quotidiennes et rituelles qui préfigurent les futurs rôles à tenir. Leur socialisation passe par l’acquisition de savoir-faire autant que par l’incorporation d’attitudes corporelles que traduit un langage de l’apparence.
À leur baptême, elles peuvent recevoir de la part de leur marraine, qui est parfois leur tante, une première parure mais pas n’importe quelle parure, des boucles d’oreille qui les lient d’emblée aux objets piquants. Dès leur plus jeune âge, elles sont occupées aux travaux d’aiguille, tricot et couture; derrière ces tâches se cache une leçon de maintien corporel et de docilité. Puis vient le temps de la première communion au mois de mai de l’année de leurs douze-treize ans. Il entérine la sortie de l’enfance, une séparation qui n’est qu’une étape conduisant au statut de «fille à marier». Pour confirmer ce statut, il faut attendre que l’écart physiologique entre celles qui sont réglées et celles qui ne le sont pas, soit résorbé. Lors de la première communion, des boucles leur sont offertes. Si les oreilles ne sont pas encore percées, il faut s’empresser de le faire car la période admise pour cet acte se clôt, ce percement s’effectuant plus couramment vers l’âge des cinq ans. D'ailleurs les couturières ont pu anciennement se servir de leur aiguille pour percer le lobe des oreilles des fillettes où se portent boucles d’oreille, anneaux et pendants dits “dormeuses”». Tiens, tiens...

Dans les langues germaniques, la Belle au bois dormant s'appelle "Rose épineuse" nom qui évoque plus la vierge (rose) guerrière (armée d'une grosse épine : sa lance) qu'une endormie (belle de surcroît) !


A propos du sommeil : l’histoire de La Belle au Bois Dormant pourrait mettre en lumière l’une des préoccupations majeures des parents d’une petite fille : freiner l’éclosion de sa maturité, figurée par le sommeil. L’incident de la piqûre est alors perçut comme une punition pour empêcher la jeune fille, pas encore femme, d’avoir accès au désir sexuel, en la plongeant dans un profond sommeil narcissique. (On est loin de l'excision mais on y pense quelque peu).


Ici un extrait du blog "La mélancolie d'une otaku" : Femme, sois belle et le bonheur te tombera tout cuit dans le bec. Voilà c’est tout ! Blanche-Neige est jolie, elle se contente de faire une tarte aux prunes et de temps en temps elle passe le balai : elle récupère le prince charmant à la fin. Cendrillon est jolie, elle fait le ménage et va pleurnicher sur les genoux de sa marraine : elle récupère le prince à la fin. Aurore est jolie, elle danse avec un hibou dans la forêt et elle roupille en attendant que quelqu’un vienne lui apprenne à se servir d’une aiguille à coudre : elle récupère le prince à la fin. Toi, fille ordinaire, sois jolie, soigne ton apparence (tiens, exactement comme le font les méchantes sœurs des contes originels) et attends : tu récupéreras le prince à la fin. Crois juste en tes rêves et ne fais jamais rien pour les réaliser. Quel message paradoxal ! Sous les dorures de ces magnifiques dessins-animés, on gratte à peine et on trouve déjà le germe d’une morale d’autant plus dangereuse qu’elle se grave en nous sans qu’on n’y fasse attention (c’est la magie du conte).



Aussi suis-je consternée encore aujourd’hui lorsque je rencontre des filles qui ont pour modèle plus ou moins inconscient cet idéal « disneylien » parce qu’au fond elles se rendent malheureuses elles-mêmes en espérant quelque chose d’impossible, en essayant de satisfaire des exigences trop hautes. J’en ai connu et je me rappelle nettement les avoir choqué en soulignant le fait que le prince de Blanche-Neige est, sans nul doute, un nécrophile (ou alors un type louche), comme si je brisais un doux rêve.

« Il y a quelqu’un pour moi quelque part, je l’attends sous mon cercueil de verre. Il y a quelqu’un rien que pour moi, quelqu’un à qui je suis nécessaire, il me cherche dans les plaines, dans les forêts, en haut des montagnes, au fond des gouffres. Il y a quelqu’un qui va venir me chercher, il m’emmènera dans son château, dans cette bulle d’amour que rien ne brisera. Il y a quelqu’un pour moi, j’étouffe d’attendre sous mon cercueil de verre. »

2 commentaires:

  1. Rigolo ton explication des boucles d'oreilles (et non pas clips, car effectivement on perçait !) pour la première communion vers 7 ans. Mes camarades de classe en ont toutes eu, c'étaient soit des petites créoles en or ou, tu as raison, des dormeuses (en majorité) ! Je me demande encore comment j'y ai échappé.

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  2. A Hypathie : oui ! Moi aussi j'y ai échappé ! Je me souviens de la peur que j'ai eu en découvrant à l'école maternelle (déjà) toutes ces petites filles qui avaient les oreilles percées ! Je ne voulais pas que l'on me perce quoi que ce soit, à moi ! J'avais très peur que cela m'arive aussi. Par chance j'ai eu une ma mère qui trouvait que c'était une coutume arriérée et réservé aux gens incultes. Ouf ! Mais en fait, cela se fait toujours. Toujours.

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