De Proserpine à Blanche-Neige, il s'est écoulé beaucoup de temps pour arriver à l'image kitsch que l'on connaît de Disney et qui fait de ce personnage féminin une "babiole sans valeur" (définition du kitsch) à l'allure de vieux bébé potelé aux couleurs criardes et à la texture de matière plastique.
Il a fallu que le monde change grandement.
A l'origine lorsque l'espèce humaine avait encore une occupation essentiellement agricole, la déesse Proserpine était vénérée comme divinité mystérieuse de la fécondation de la terre et l'on ne commençait les semailles qu'après lui avoir fait des offrandes. On disait qu'elle passait six moix sous la terre (auprès du dieu des Enfers) et six mois au dessus (auprès de sa mère, la déesse Déméter). Les grecs ont inventé un récit de rapt pour expliquer ce phénomène du retour des saisons qu'incarne Proserpine (Perséphone pour les grecs). Puis les romains ont repris le mythe.
Les contes de fées sont d'anciens mythes qui ont perdu leur caractère sacré et n'ont plus été que racontés avec une certaine distance ironique aux enfants, ceux-ci étant considéré comme seuls encore capables de croire en ces histoires devenues fariboles à mesure que se sont développés le commerce et l'expansion des cités. Avec, entre autres, le brassage des populations, divers cultes ont perdu de leur sens. Les histoires qui leur étaient attachés également.
A l'époque du christianisme, elles étaient cependant encore assez vivaces pour que les chrétiens soient obligées de les ingérer puis de les modifier à leur convenance. Ainsi Proserpine qui mange le fruit défendu (elle doit rester en enfer si elle touche aux fruits du jardin des morts (ce qu'elle fait)) ne tarde pas à se tranformer en notre Eve bien connue, symbole du péché originel, qui elle, ne sera jamais une déesse vénérée entre toutes les déesses puisque le féminin sacré va disparaître complètement des nouvelles formes de cultes. Cultes qui coïncident directement avec les nouvelles activités humaines beaucoup plus tournées vers le commerce. Ils coïncident également avec le début du pillage des ressources naturelles. Le monde souterrain cessera d'être sacré à partir du moment où l'on y creusera des mines.
Parallèlement aux nouvelles religions dont le féminin sacré fera les frais, se développent les contes pour enfants.
Ils rassemblent ces inspirations diverses (mythes et légendes) et sont reliés aux préoccupations des époques nouvelles. En ces temps nouveaux, les filles sont essentiellement vues comme encombrantes car elles doivent apporter une dot en mariage. Ainsi, dans les contes, elles se marient à des princes et dépassent le problème de la dot. Elles sont si belles que le prétendant, déjà assez riche, n'en demande pas plus. C'est aussi ce que l'on attend des filles et c'est pourquoi on leur raconte ce type d'histoire : un mythe de Prosperine recyclé pour une usage adapté aux circonstances, avec pour message premier : soigne en tout point ton apparence et fais-toi aimer d'un homme riche, ainsi tu ne coûteras rien à la communauté.
Aujourd'hui on ne verse plus de dot au mari pour l'entretien de sa femme. Mais le diktat n'a pas changé, la fille reste une entité qui n'a pas une place déterminée ou alors uniquement décorative/reproductive ce qui ne fait d'ailleurs pas d'elle un être de valeur.
Ce qui prouve que la dot était bien un faux prétexte pour donner aux filles l'impression d'être un fardeau.
Autre notion inculquée à la petite fille : la femme adulte n'est pas là pour la guider mais pour la poursuivre de sa jalousie.
Dans l'histoire de Blanche-Neige, on retrouve certains thèmes du mythe de Proserpine. En particulier sa fuite chez des créatures (des "élémentaux" selon la mythologie scandinave) de la terre qui travaillent dans des mines souterraines. De plus son nom évoque la période hivernale.
(Ill. : Blanche-Neige selon Disney / Proserpine selon Rossetti)
Le kitsch colle à notre époque où l'infantile est maintenant recherché et adulé. Le conte pour enfants n'est plus pour enfant mais pour nous tous qui sommes assimilés à des enfants. C'est comme si l'éloignement de l'humain à la terre nous empêchait de devenir adulte et nous maintenait dans un diktat de consommation (comme le bébé qui ne fait rien d'autre que de manger et dormir). D'ailleurs la pop américaine incarné par Mickey a engendré une nouvelle forme d'art qui va plus loin encore : le kawaii (infantilisation des corps) et superflat (un univers sans profondeur ni perspective) véhiculés par la pop japonaise issue de Mickey. Un bon article sur le kawaii et superflat ici.
Conclusion : l'économie néo-libéral ne peut qu'entraîner toujours plus de machisme et donc d'infantilisation (car l'homme qui ne se préoccupe pas de l'éducation des enfants et le délègue entièrement à la femme reste lui-même un enfant). L'infantilisation à plus ou moins long terme conduit à la disparition totale de notre espèce.
Bravo Euterpe pour cette brillante démonstration . La dernière phrase est même terrifiante !
RépondreSupprimerJe pense en effet comme vous , que tout est fait pour que nous restions des enfants.
D'ailleurs nous avons actuellement à la tête de notre état un digne spécimen de ce que vous décrivez !
Un petit aparté : mon pseudo que je trouve déplacé chez vous va changer et le nouveau sera facilement reconnaissable , il existe déjà chez Tania et Colo .Bonne journée
Ouh là là! c'est saisissant toute ces informations qui m'arrivent ce soir! ( à relire tranquillement...)Je repense au nain qui chante "siffler en travaillant"... je n'avais pas bien réalisé que ces nains étaient des mineurs! cette très belle image de Proserpine avec sa grenade, me plait beaucoup! Pour les naturalistes, la Proserpine c'est aussi un très beau papillon qui se reproduit sur l'Aristoloche, mais il n'est pas très courant; je l'ai vu en Ardèche...
RépondreSupprimerMerci coup de grisou ! Votre pseudo évoque pourtant les mines dont je parle dans ce billet :)
RépondreSupprimerEn effet, un petit tyran immature à la tête du pays, c'est légitimer tous les petits tyrans à tous les échelons.
A claire felloni : ah oui ! J'ai vu ce papillon dans mon enfance quand il y avait encore de jolies prés à côté de chez moi. En allemand, il s'appelle directement le papillon de l'aristoloche "Osterluzeifalter" (de "Osterluzei", aristoloche et "Falter", papillon) ! Je me demande pourquoi il s'appelle "Proserpine" en francais...peut-être que l'aristoloche est une plante infernale ?
D'un mythe à l'autre on nous mite la cervelle en tout temps.
RépondreSupprimerQuel contraste entre la gravité du visage de Proserpine et la crucherie de celui de Blanche-Neige ! Une très bonne idée de faire se cotoyer ces deux représentations.
RépondreSupprimerConcernant les contes de "fées" (je voulais en parler sur ton post précédent mais n'en ai pas eu le temps), leur fonction normative/politique et les conséquences de ce formatage abusif sont vraiment trop négligées au regard des dégâts occasionnés.
J'ai toujours eu un faible pour Perséphone-Proserpine, et ce tableau est fort beau. Par contre La Blanchette comme neige...passons.
RépondreSupprimerEn cherchant la référence du livre de Propp sur les contes de fées que tu dois connaître, je suis tombée sur un blog fort intéressant, du moins le billet qui s'appelle "De la princesse de conte de fée à la reine de Pologne" http://slavica.revues.org/159
Joli travail Euterpe.
Ah, je voulais aussi signaler que j'ai toujours été frappée par ceci:les hommes de tous âges ici s'occupent vraiment beaucoup de leurs/ des enfants.
A Fa# : bien dit ! :)
RépondreSupprimerA Héloïse : absolument, c'est pourquoi j'ai décidé de creuser le problème. Et plus je le creuse plus je suis effarée.
A Colo : en Allemagne aussi et c'est très agréable à observer. Le problème n'est malheureusement pas pour autant résolu parce qu'ils transmettent gentiment la séparation sexiste. Ils apprennent aux garcons à distinguer les marques de voiture et surtout pas les arbres (par exemple), quant aux filles elles sont moyennement subtilement orientées vers l'apparence et sytématiquement habillées en rose des pieds à la tête (+ cartable rose et vélo rose). C'est affligeant.
Merci pour le lien, je vais le lire attentivement (il y a beaucoup à lire !:)).
Comme toujours, j'aime beaucoup ton article, mais pour la première fois, j'ai trouvé quelque chose qui me chiffonne (oui d'habitude je lis béatement, comme une gamine devant un Disney... On fait ce qu'on peut) : tu dis que le pillage des ressources à commencé avec le christianisme, mais les romains ont été de grands pollueurs, notamment de cuivre et de plomb. Ces perturbations sont connues quand on fait la géologie du bassin méditerranéen.
RépondreSupprimerM'enfin, ça se trouve ça ne change rien à la logique de ton propos et c'est moi qui chipote =)
Jake
A Jake : oui, tu as raison. Cela n'a pas vraiment commencé avec le christianisme même que Pline L'Ancien et Ovide se plaignaient déjà de l'extraction forcenée de minerais. En fait, ce pillage a progressé mollement mais quand on est arrivé au règne de Charles Quint on a pu voir que quelqu'un qui se pensait comme le représentant du christianisme universel n'a rien trouvé de mieux à faire que d'envoyer ces conquistadors en Amérique chercher de l'or, de l'argent et des pierres précieuses, entre autres avec l'exploitation humaine que cela représente, et a donc étendu le pillage sur le plan international. Dans l'Allemagne catholique l'extraction des minerais de fer et d'airain sommeillait quelque peu et s'est mise à la même époque à tourner à plein régime. L'activité minière s'est considérablement développée, étendue et généralisée dans le monde entier.
RépondreSupprimerDepuis cela ne s'arrête plus. On n'arrêtera pas avant que la terre soit totalement épuisée si on n'est pas mort avant. A moins que cette folie s'arrête autrement...
Mais en fait ce n'est pas tant le christianisme qui pose problème que l'évacuation du féminin sacré, c'est à dire la disparition de l'idée de femme ayant une valeur égale à l'homme donc déifiable comme lui. Cependant chez les polythéistes régnaient également un machisme épouvantable, il est vrai, surtout chez les Romains. Les chrétiens ont juste institutionalisé l'infériorisation de la femme qui régnait déjà à Rome, l'ont définie noir sur blanc, on détruit les temples d'Isis et de Minerve. Aujourd'hui nous continuons à fonctionner selon leurs codes.
Or les femmes ont en elles des capacités inexploitées qui manquent à la société et qui freineraient peut-être cette stupide destruction.
Merci pour ces précisions. Je ne suis pas du tout familière de l'histoire de cette époque (à part ce qu'on en apprend à l'école, donc sans aucune femme ni critique du colonialisme romain notamment (il me semble qu'ils s'en sont donné à coeur joie avec les celtes)). Je suis malheureusement d'accord avec toi en ce qui concerne l'exploitation jusqu'à épuisement des ressources... Et d'accord aussi sur le reste.
RépondreSupprimerJake