à la recherche des femmes perdues dans l'espace-temps et autres aventures...
vendredi 26 novembre 2010
On ne naît pas sorcière, on le devient
Ce qui faisait que l'on devenait sorcière (ou sorcier) au XVIe siècle :
Géographiquement, la sorcellerie se rencontrait surtout au Nord, en Lorraine, à l'Est, dans le Languedoc et le Sud-Ouest. Selon R. Muchembled, le contrôle royal s'appliquait très bien au centre de la France mais mal dans la périphérie du royaume. Les persécutions servirent donc à faire comprendre aux populations qui est ce qui dirigeait le pays. Devant les résistances rencontrées, la procédure démonologique aida les administrateurs à fabriquer des coupables ; la sorcière devint un bouc émissaire dont le supplice devait empêcher les adversaires du pouvoir central à persévérer dans leur indiscipline. La chasse aux sorcières permit de cristalliser sur les sectateurs du démon la notion de déviance par rapport aux normes sociales nouvelles que l'on voulait instaurer. Les élites culturelles imposèrent, par le biais des bûchers, le respect de ces normes. Les paysans se savaient coupables de pratiquer parfois des rites de guérison et de protection défendus, ainsi, pour ne pas être accusés de sorcellerie, ils s'efforcaient de se différencier des sorciers et une atmosphère de suspicion permanente pesait sur les villages.
Les persécutions concernèrent surtout les femmes : 82% des accusés dans le Nord. En tant que filles d'Eve, elles représentaient celles à cause de qui la mort était entrée au monde. Les élites de l'époque craignaient les femmes et notamment leur activité sexuelle supposée ; de ce fait les procès de sorcellerie avaient une dimension sexuelle très importante, les juges tentaient toujours de faire avouer aux suspects la copulation satanique dans ses moindres détails : le " sexe du démon était froid et faisait froid à l'intérieur".
Sur 155 cas étudiés, 105 sont des femmes dont 32 ont plus de 50 ans alors que 7 suspectes seulement ont moins de 20 ans, une enfant de 8 ans et 2 adolescentes de 13 ou 14 ans.
Les magistrats étaient hantés par l'idée de la sexualité, de la mort et de la décrépitude. La sorcellerie réunit donc les thèmes du diable, de la vieillesse féminine et du meurtre. Les vieilles femmes étaient les dépositaires privilégiés des croyances populaires, elles transmettaient les connaissances et recettes anciennes lors des veillées villageoises, ou directement aux enfants des deux sexes qui leur étaient confiés durant les premières années de leur vie. Ainsi, les chasseurs de sorcières voulaient surtout exterminer ces vieilles femmes qui pouvaient nuire au développement du christianisme épuré. Les sorcières étaient considérées par les élites culturelles et sociales comme des reliques anachroniques d'un temps païen ainsi que des freins à la diffusion de l'orthodoxie et de la morale nouvelle, et pour finir comme des concurrentes de tous ceux qui cherchaient à modifier la culture populaire traditionnelle. Le mouvement de la chasse aux sorcières venait du "haut", était entretenu par la théorie démonologique mais diffusé grâce à une partie des ruraux qui adhérait à la persécution.
Ceci est un extrait résumé de la thèse de Karine Mrugala portant sur le livre de Robert Muchembled "La sorcière au village XVe-XVIIIe siècle" (Gallimard/Juillard 1991).
Photo : statue de sorcière, peut-être dame Franchetta, à Triora en Italie. Qui est dame Franchetta ? Pour avoir plus de détail sur un cas donné (à la frontière de la Savoie), je recommande assez la lecture du travail de Floreal sur l'Inquisition à Triora sous ce lien.
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A propos de sorcières, puisqu'on en parle beaucoup sur le réseau en ce moment, je suis tombée à la librairie sur une série de BD écrites par des femmes. La collection s'appelle Sorcières et le tome 2 est consacré à Hypathie !
RépondreSupprimerhttp://www.bedetheque.com/serie-23500-BD-Sorcieres.html
"... cette bande dessinée suscite des réflexions sur la place de la femme dans nos sociétés patriarcales et atteint son objectif en nous livrant un personnage hors du commun, martyrisé par la bêtise humaine." (la bêtise humaine ... tiens, quand il s'agit de parler d'imbécilité masculine le mot "homme" qu'on nous sert à toutes les sauces disparaît pudiquement ...)
Qu'on qualifie Hypathie de "sorcière" alors qu'elle était une femme philosophe et mathématicienne, les deux disciplines se confondant à son époque, semble confirmer que la "connaissance" est suspecte chez une femme qui selon Proudhon, ce grand haineux des femmes, "en sait toujours assez pour être ménagère ou courtisane" !
RépondreSupprimer@ Héloïse : il faut que je trouve cette BD à ma librairie !
Sorcières = premières femmes savantes sans doute... souvent sage-femmes dans tous les sens du terme,et sachant certainement bcp de choses sur le corps des femmes en particulier, mais fréquentant peu l'église à ce que je sais. Tu me contesteras si je me trompe, Euterpe.
RépondreSupprimerSuspectes donc d'hérésie en permanence...
@ Euterpe
RépondreSupprimerJ'ai republié cet article que j'avais déjà édité sur mon ancien blog il y a plusieurs années après avoir lu ton article du 10 novembre où tu parles explicitement d' "Accoucheuses, guérisseuses, veilleuses de morts" parce qu'il m'a semblé en être une bonne illustration.
Par rapport à ce que dit Bettina, pas exactement. Nous sommes au XVIème siècle dans une Europe désormais officiellement christianisée. Les femmes vont donc comme les hommes aux offices religieux y compris dans les campagnes, pour le moins pour les occurrences les plus importantes dans les campagnes les plus reculées, ou officie souvent un sacristain délégué; les lointaines paroisses ne disposant pas toujours d'un curé à demeure et à plein temps.
Ce qu'on leur reproche n'est donc pas de ne pas les fréquenter, mais on les suspecte de mener parallèlement des activités païennes, qui vont de paire avec la naissance et la mort.
Dans pratiquement tous les procès en sorcellerie, les accusées sont majoritairement des "herboristes", c'est à dire des guérisseuses, des pratiquantes de la médecine traditionnelle dépositaires d'une pharmacopée venue de la nuit des temps, et formules magiques à part, probablement plus efficaces que les connaissances médicales du temps pour nombre d'affections. Et des sages-femmes, des accoucheuses.
Dans les campagnes, malgré leur savoir, la mortalité infantile (ainsi que celle des accouchées) dès la naissance est énorme. Partout. Les nouveaux nés n'ont donc pas toujours le temps d'être baptisés avant le décès. La coutume est donc que les sages-femmes les baptisent elles-mêmes quand elles voient qu'ils ne survivront pas, avant d'aller les enterrer dans la terre battue du parvis devant l'église. De là la légende des sorcières tuant les nouveaux-nés.
Dans le cas précis de Triora, une accusation récurrente sera l'infanticide. Mais les études menées à notre époque ont démontré que, durant cette affaire et immédiatement avant, les registres paroissiaux n'enregistrent statistiquement aucune augmentation particulière de la mortalité infantile.
A Héloise : oui, très bien vu le coup de la bêtise dite "humaine" alors qu'elle est surtout masculine. Mis à part bien sûr les collabos actives qui me tapent aussi gravement sur le système (: la nouvelle ministre allemande de la Famille, par exemple, qui veut "en finir avec le féminisme")!
RépondreSupprimerJe ne vois pas de rapport entre Hypathie et une sorcière mais j'attendrais la lecture d'Hypathie, alors !
A Hypathie : j'ai fait tout un travail de recherche sur Hypathie, il y a quelques années, et lu le roman d'Arnulf Zitelmann sur elle et, en effet, je bondis aussi en apprenant que l'on puisse la nommer "sorcière" !
A Bettina : ne pas fréquenter l'église semble moins criminel envers la religion que d'être regardée par ces concitoyens comme une personne possédant un savoir supérieur. Je crois que Floreal à raison sur le sujet. Concernant d'ailleurs les herboristes, c'est tellement vrai que si tu tapes "herboriste" sur google puis dans "images" tu as droit à des images de "sorcières". De plus dans les langues germaniques, il y a un terme qui signifie "cueilleuse de simples" et que les francais traduisent par "sorcière". Donc, même aujourd'hui, on est vite une sorcière !
A Floreal : très intéressante cette explication sur l'accusation d'infanticide. Je sais par ailleurs que la mort d'un enfant avant son baptême était considérée comme gravissime à l'époque. Sans baptême, il n'allait pas au paradis mais était condamné à errer dans un monde intermédiaire. Beaucoup de gens souffrait de cette idée. Mais, en effet, les sages-femmes en s'appropriant un ministère religieux (le baptême) que l'Église ne voulait pas voir et ne veut toujours pas voir exercer par des femmes, ont du la rendre folle enragée (l'Église) !
Excellent titre. Coïncidence, j'ai retrouvé des sorcières en déménageant ma bibliothèque, et je renverrai chez vous, Euterpe, à coup sûr, dans le billet que je prépare à leur sujet.
RépondreSupprimerA Tania : merci beaucoup pour le compliment ! J'attends le billet avec impatience alors, car je suis très curieuse de savoir ce que vous avez dans votre bibliothèque au sujet des sorcières !
RépondreSupprimerBonsoir,
RépondreSupprimerC'est très intéressant car celà permet de démontrer que c'est la mécanique de quête du pouvoir qui conduit aux pires persécutions.
Je vais tenter de lire le dernier Ken Follet ( mon amie a adoré ) et je te conseille si tu as le temps et l'envie la lecture de : Affinités de Sarah Waters à l'époque victorienne dont l'auteure est spécialiste. On y conçoit aussi que la manipulation, la cruauté mentale n'est pas l'apanage des hommes. La fin fait froid dans le dos !
A bientôt
A Karine : J'aime les romans historiques à condition qu'ils ne soient pas trop trash : je veux pouvoir dormir la nuit! Mais tu as raison : des femmes qui pratiquent la manipulation et la cruauté mentale j'en connais alors je ne peux qu'approuver.
RépondreSupprimerKen Follet, je ne connaissais pas mais je viens de lire qui c'est sur Wiki et je suis tentée,je crois. Merci pour l'info :)
Il y a un chapitre sur ce sujet (les sorcières) avec une tentative d'explication très différente dans un bouquin de Todd et Le Bras (l'invention de la France).
RépondreSupprimerJe vous en recommande la lecture, cela vous apportera sans doute des explications sur la localisation géographique du phénomène.