mercredi 24 novembre 2010

La Grande P.


« (...) Et je vis cette femme ivre du sang des saints et du sang des témoins de Jésus. Et, en la voyant, je fus saisi d'un grand étonnement. Et l'ange me dit: Pourquoi t'étonnes-tu? Je te dirai le mystère de la femme et de la bête qui la porte, qui a les sept têtes et les dix cornes. »

Cette enluminure est de l'écrivaine et illustratrice du 12e siècle Herrade de Landsberg, abbesse du couvent qui se trouvait en ce temps sur le mont Sainte-Odile dans les Vosges, et autrice de l'Hortus Deliciarum ou "Jardin des Délices".

J'aimerais faire ici une petite mise au point : je ne présente pas dans ce blog des femmes "puissantes" ou "victimes". Une compositrice rentre t-elle d'ailleurs dans cette catégorie binaire ? Je rend compte dans la mesure où ce médium me le permet, de l'existence des femmes, de leurs créations, de leur parcours, de l'image que l'on a propagé d'elles, que l'on propage encore, de ce qu'elles furent et vécurent, de ce que sont devenue les femmes dans la mentalité contemporaine à force que l'on n'en montre qu'une facette, toujours la même, à force des les renvoyer toujours et encore à l'anonymat. Je cherche ici à désanonymer les femmes. Je réexhume des personnalités qui n'ont jamais droit à aucune commémoration parce que les femmes n'ont plus droit aux commémorations au-delà du cinquentenaire. Jamais on ne commémore les 500, 450, 300, 350, 250, 200 ans de la naissance d'une femme dans un médium grand public. Et on ne portera pas George Sand au Panthéon. On ne parle pas de Herrade de Landsberg, non plus, dont on continue à imprimer les images. On ne nomme nulle part là où la majorité des gens se rassemblent pour lire, voir et écouter, des femmes qui ont apporté leur contribution à la culture et à l'humanité, sauf une ou deux toujours les mêmes, comme alibi. Soit elles ne figurent pas dans les livres d'Histoire soit elles en disparaissent. Alors je leur redonne leur nom et un peu d'existence. Maintenant si cela en met mal à l'aise, je suis désolée pour ces personnes mais qu'elles réfléchissent à ce que je viens d'écrire.

Et si l'on ne comprend pas ce qu'est la femme occidentale dans l'imaginaire collectif, pourquoi il faut la ligoter et la dénuder sur les affiches de pub aujourd'hui, et cela non pas de moins en moins mais de plus en plus : regardons et imprégnons nous de ces images bibliques qui ont construit cette civilisation : la grande prostituée de Babylone jetée au feu par des anges, par exemple. Pour les un.e.s c'est une allégorie et (les femmes servent un peu beaucoup (trop) d'allégorie), pour les autres ceci est tout bonnement à prendre au pied de la lettre.

10 commentaires:

  1. "L'oppression de l'Eros, la femme réifiée et dégradée en marchandise ou en spectacle" ? Belle gravure en tous cas.

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  2. merci pour tes recherches, si utiles et si précieuses. Je découvre, grâce à toi, mille choses et mille femmes... Ton oeuvre est utile. Petite remarque : je préfère auteure (qui maintenant est assez courant) à autrice... mais ton point de vue sur cette question m'intéresse aussi (car, je suppose que tu n'as pas choisi "autrice" par hasard)

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  3. Comme Lucia Mel je découvre avec grand intérêt tant de femmes, merci.
    La gravure est superbe. Quel peut bien être mystère de la bête aux sept têtes et dix cornes?
    Bon weekend Euterpe.

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  4. Bonjour,

    Encore un article plein de nuances qui nous apprend à mieux nous imprégner des cultues féminines.

    A bientôt

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  5. A Hypathie : Oui c'est à la fois la femme puissante (réfiée) et la femme victime (dégradée), en effet. Il paraît (d'ap. M.-F. Hirigoyen) que les pervers narcissiques délirent sur une omniscience ou une omnipotence de leur propre femme (ou mère ou fille). Cela les rendrait destructifs envers elles. La prostituée de Babylone qui doit être purifier par le feu me fait un peu penser à ce délire.

    A lucia mel : je suis contente si le peu que je sais peut apporter qqchose aux autres mais c'est aussi réciproque parce que j'apprends également de mes commentateurs/trices, c'est ce qui me réjouit !
    Autrice ? Oui je ne sais pas pourquoi on n'utilise pas systématiquement la forme naturelle du féminin et que l'on recherche des terminaisons spéciales dès que l'activité désignée sort des classiques "coiffeur/coiffeuse", "acteur/actrice". En allemand, la forme du féminin ne varie jamais "Kanzler/Kanzlerin", cela ne pose problème à personne.

    A Colo : il paraît que les sept têtes signifient sept empereurs romains (d'après l'apôtre Jean) en tout cas il nous prédit l'Apocalypse. Toute notre civilisation est bâtie sur l'idée d'Apocalypse. Génial, non ? Bon weekend aussi...en l'attendant! :)

    A karine : écrit comme cela sans le faire exprès, c'est le culte qui tue. Et bien...tout à fait d'accord !

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  6. Et c'est bien ce qui me plaît sur ce blogue, le fait que l'on y parle des femmes dans l'histoire, petites ou grandes (qu'est-ce que cela peut bien vouloir dire?). Surtout le fait qu'elles ne tomberont pas dans un total oubli... ce serait trop facile...

    Quand on pense qu'il y a autant de femmes que d'hommes, sinon plus, ce serait bien le boutte de les occulter! (excusez mes québécismes, mais je sens que je m'emporte!)

    Bravo Euterpe pour tout ce travail!

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  7. Merci Lucrecia Bloggia, ton appréciation me fait très plaisir ! Quant aux québécismes : j'adore !

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  8. bonjour Euterpe,

    merci de ta visite sur mon blog
    et bravo, et merci, pour tout le travail que tu fais pour redonner aux femmes la place qu'elles méritent largement

    j'ai un arbre généalogique assez complet du côté de ma mère, mais avec de grands blancs correspondant aux femmes et aux lignées dont elles sont issues, c'est effarant ! et frustrant... j'ai deux aïeules mystérieuses qui semblent avoir voulu être elles-mêmes plus que seulement "fille de", "épouse de" et "mère de" ; eh bien elles ont disparu mystérieusement, on ne sait rien d'elles, de ce qu'elles sont devenues, alors que les hommes de la lignée, on sait tout d'eux

    il y a encore bien du travail ; merci à toi !

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  9. A alouette : c'est terrible de voir comment on efface notre histoire à nous les femmes. Ce que tu écris là est bouleversant. Il ne faut pas se laisser faire ! C'est pourquoi je fais ce blog.
    En fait, j'aimerais mieux parler de nature mais j'ai envie de reexhumer les femmes perdues dans cet univers hostile. Et pour me faire plaisir je viens sur ton blog y retrouver les petites créatures ailées ou à pattes que j'aime autant que toi je crois, qui sont si réjouissantes et que tu photographies avec une tendresse extraordinaire.

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  10. A Emelire : merci à toi, mais ne m'en veux pas si je critique ta formulation "société des hommes " que je modifierais volontiers par : "ce que la société humaine ignore" parce que, selon moi, sans un changement des habitudes de langage, on ne peut pas s'en sortir !

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