lundi 19 juillet 2010

Gabrielle de Coignard et Judith

La femme du XVIe siècle comme la femme du XXIe siècle a besoin d'un modèle de femme forte pour exister ; un modèle de Powerwoman, de Superwoman, de femme d'action, de femme qui incarne la "puissance féminine", l'agir féminin, le courage au service de l'humanité, la grandeur d'âme, la force de l'esprit et du caractère et s'identifie mal au naturel à ce modèle de femme esclave que l'on cherche en permanence à lui imposer. Voir dans cette note d'Emelire * du blog "Le féminin l'emporte", l'illustration de ce modèle d'esclave féminin qui sert l'homme jusqu'à la fin des temps, "ad vitam eternam" donc, sous forme de squelettes souriant encore à un invisible, immuable et mécanique photographe de pub imaginaire.
Ce genre de modèle, aucune femme ne souhaite s'y conformer ni n'en afficherait la représentation sur son mur.

Dans un siècle où les femmes étaient réduites à l'impuissance et bien plus évincée de la vie publique qu'aujourd'hui, elles rêvaient de la puissance de Judith, imaginaient qu'un jour, peut-être, elles auraient l'occasion elles aussi, de montrer à la face du monde de quoi elle étaient capables, mais ce genre d'occasion ne se présentait pour ainsi dire jamais.

Si en Italie, le monde de la peinture s'était largement emparé de ce thème, ce n'était pas le cas en France où l'on privilégiait les lettres.
Plusieurs auteurs écrivirent des poèmes épiques en hommage à Judith, dont une femme : la toulousaine Gabrielle de Coignard (1550-1586).
Malheureusement, je ne peux obtenir des extraits de son poème : "Imitation de la victoire de Judich (sic)" que d'un ouvrage comparant le traitement de Guillaume Salluste Du Bartas à celui de Gabrielle de Coignard. Du moins c'est une comparaison rédigée par une spécialiste féminine de la Renaissance: Colette H. Winn. Elle cite par exemple la présentation des deux auteurs :

Je chante les vertus d'une vaillante veuve,

Qui pour sauver Jacob trempa le juste glaive

Dans l'infidèle sang du prince assirien

Qui tenoit assiegé le mur betulien.

Toy qui, pour garantir ton Isaac de la rage

Du peuple incirconcis, aceras le courage

De la foible Judit d'une masle vigueur...

Introduction de „La Judit“ (1574) de Guillaume Salluste du Bartas qui : „commémore le „courage viril“ de la femme d'armes fortifiée par la grâce de Dieu“ dit Colette H. Winn. Gabrielle de Coignard, elle, ne parle pas de "mâle", bien sûr, mais de "belle guerrière" :

Soubs ta saincte faveur je veux prendre carriere,

Voulant chanter le los d'une belle guerriere,

Estoille de son temps qui encore reluit

D'un esclat flamboyant sur nostre obscure nuict.

(Vv. 1-4)

Colette H. Winn écrit à ce sujet :

„A la Renaissance, la figure de la „femme forte“ prête à bien des équivoques. On peut comprendre la réticence des moralistes à donner comme modèle de vertu exemplaire celle qui transgresse le rôle passif qui lui est assigné pour accomplir un acte ordinairement réservé aux hommes. Judith est une femme du passé, dit Vivès dans le Livre de l'institution de la femme chrestienne (1542). Le passé „idéalisé“ ne semble être évoqué que pour dénoncer les faiblesses des femmes contemporaines et rappeler la nécessité de surveiller une féminité dangereuse pour l'homme:

Judith & Delbora vainquirent par armes de l'Eglise & spiritueles leurs ennemis, qui sont jeusnes, oraisons, abstinences & saincteté. L'une trencha la teste du capitaine Holofernes, c'est du diable; & l'autre comme roine, jugea le peuple d'Israel: mais telles sont de presents esvanouies.

"de présent évanouies" = il n'y en a plus. C'est fini les femmes fortes ou de pouvoir.

C'est du passé. Elles n'ont existé que dans la Bible, il veut dire.

Comme quoi revisiter le passé à la sauce sexiste a déjà énormément de bouteille !

(* sans laquelle ce blog n'existerait pas car elle m'a encouragée à en créer un et je l'en remercie énormément !)

14 commentaires:

  1. la sauce sexiste prend toujours, faut dire qu'il y a du monde pour la fabriquer ;o(

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  2. A Emelire : ouf tu as été rapide, je n'avais pas encore tout à fait achevé mon texte (il faut dire que je le publie avant de le corriger, ce qui n'est pas très orthodoxe, je le reconnais).
    Ben oui : l'homme est un loup pour la femme, en fait.

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  3. je n'ai jamais compris cette image de la femme fragile, faible et soumise... en effet, autour de moi (mère, tantes, cousines, amies...) ce ne sont que femmes solides, fortes, courageuses, combattives. Alors, est-ce parce que "nous" voulons nous convaincre qu'elles sont "victimes" et assujetties ? nous convaincre, et les convaincre aussi, que leur place est d'être dominées. Femmes, que nenni, vous avez, toujours et de tous temps, été des guerrières, des porteuses de lumière... (tout autant que les hommes). Relevez la tête et croyez-y.

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  4. Notre monde n'a pas plus besoin de guerriers qu'il n'a besoin de guerrières.
    La guerre sous toutes ses formes je n'y crois pas. Elle n'est pas nécessaire.
    Sans le savoir, notre monde a une immense soif de Miséricorde. Les hommes comme les femmes sont capables de la transmettre, après l'avoir quémandée.
    Homme ou femme, il te faudra l'implorer jusqu'aux larmes pour trouver enfin la paix intérieure et la juste relation avec le sexe opposé.
    C'est la seule conviction forte que je possède.
    Mon expérience de la vie me l'a prouvé souvent.
    Certes, il reste des nuques raides...et des coeurs endurcis.
    fa#

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  5. Oh comme c'est mignon tout ça, anonyme.La guerre, se sont les hommes qui la font aux femmes, et depuis toujours, pas le contraire. Les femmes ne font que se défendre, quand elles le peuvent, comme elles le peuvent et quand elles l'osent, pour survivre, et se défendre est légitime. Et pour pouvoir se défendre un tant soit peu efficacement, il faut lutter, il faut combattre.

    Ce sont les femmes qui plient la nuque, c'est à elles qu'on demande de la mansuétude, de la douceur, de l'abnégation, l'oubli de soi au profit des autres à commencer par l'homme. Et pour quoi exactement? Pour avoir quoi, en échange? Pour représenter 80% des personnes pauvres? Et puis il faudrait peut-être aussi qu'elles ailles implorer miséricorde, parce que si elles sont maltraitées, c'est de leur faute?

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  6. A lucia mel : je crains que nous ne soyons toutes très fortes et combatives tout en nous maintenant dans un domaine subalterne dont nous nous contentons en raison du barrage machiste. L'effort qu'exige la démolition de ce barrage demande plus de force encore. Une force surhumaine à mon avis (un peu comme celle requise pour couper la tête de quelqu'un. Moi, je ne pourrais pas !).

    A fa# : vous êtes une personne très sensible, une artiste, une poète et surtout une musicienne hors pair. Vous êtes trop contemplative pour adhérer à l'idée de guerre, c'est compréhensible. Cependant, je pense que nous sommes tous privés de ce que vos dons auraient pu produire comme oeuvres musicales féminines si, peut-être, je n'affirme rien, vous n'aviez pas préféré adopter une activité plus "féminine". Personnellement, je déplore l'absence de musique féminine dans le paysage musical. Et pourtant, des compositrices il y en a quand même, mais personne ne les connaît et leurs oeuvres ne sont pas jouées. Comment peuvent-elles en vivre ? Et n'est-ce pas une perte pour l'humanité ?

    A Floréal : avec Blogger , quand on n'a pas d'adresse URL, on est contraint de cliquer sur anonyme mais fa# n'est pas une anonyme pour moi.
    La guerre, en effet, ce n'est pas nous qui la faisons, nous la subissons en permanence, par contre. Elle est partout y compris sur la blogosphère. Il n'y a qu'à voir comment certains blogonistes (suivez mon regard) tiennent plusieurs blogs, y entrent des notes jour et nuit pour dévorer tout l'espace, trôner au dessus des states et repousser les gêneuses éventuelles. Ils peuvent se le permettre, madame assurant l'intendance à l'arrière. Tandis qu'aucune femme ne peut agir comme cela, ni n'a même cette idée d'envahir litteralement la toile genre Attila à l'assaut de l'Europe.

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  7. A Simon Gaetan : merci beaucoup et bienvenu !

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  8. Les hommes ont besoin d'être aimés. J'en connais tant qui sont en état de manque réel, même sous les beaux costumes et au sommet des échelons. Pour un oeil exercé d'infirmière il y a des choses qui se voient tout de suite.

    Parfois je laisse courir ma modeste plume et ose écrire mes fantasmes jusqu'au bout de mes désirs inassouvis et de mes impressions réellement ressenties. Certains se régaleraient en me lisant et accoureraient haletants.

    Quémander la Miséricorde comme on quémande la guérison impossible d'un époux aimé, paralysé par une maladie sordide incurable.

    S'abandonner et se laisser inonder de paix.

    Parler avec les yeux parce-que la parole n'est plus possible. Son dernier regard comme au premier jour, rien n'avait été altéré. L'amour est plus fort que la mort. L'amour est indestructible.

    Cette épreuve cruelle vécue très jeune, fut d'une violence extrême. (je ne parle pas du sujet d'Euterpe, mais de ma propre vie )

    Humble et discret Saint Joseph, prie pour moi. Ton bienheureux silence m'accompagne chaque jour.

    J'aimerais tant que nos contemporains comprennent tout cela au lieu de se haïr sans cesse.

    Le visage serein d'Holopherne décapité semble dire "Ah, je suis enfin débarrassé de ce mauvais rôle qui me colle à la peau. Vais-je pouvoir avoir accès à la lumière ?"

    fa#

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  9. rr.. rr..
    Je cours et accours pour ôter cette troisième syllabe erronée, inutile et fautive du verbe accourir qui se conjugue comme le verbe courir au conditionnel; donc accourraient (2r)

    Pour ce qui est de la musique, je vous donne raison Euterpe. J'ose à peine avouer que je ne travaille pas assez.

    Au plaisir de vous lire, d'écrire de réfléchir, de décrypter et d'essayer de comprendre.
    Peinture ou écriture, tout n'est que langage et littérature, ne pensez-vous pas ?

    Merci pour ces échanges; grâce à vous je viens de prendre le temps de relire entièrement le livre de Judith en pensant que c'était un joli conte, un peu sanglant tout de même.
    fa#

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  10. @ fa

    Désolée pour les fautes d'orthographe (je ne me relis pas toujours et j'écris vite, surtout les posts). Vous êtes croyante, ce qui est tout à fait respectable, mais vous devez comprendre qu'on puisse ne pas l'être et c'est mon cas.

    Je peux comprendre ce que vous appelez "miséricorde", appliqué aux choses terrestres face au désespoir, mais ça s'arrête là.

    "Les hommes ont besoin d'être aimés", dites-vous, oui sans doutes mais les femmes aussi, elles ne sont pas des machines à aimer sur demande, et je me fiche éperdument que des types en costard au sommet des échelons en aient besoin quand pour y arriver ils ont dû en manquer singulièrement pour leurs subalternes, qui sont majoritairement des femmes. Quant à la sérénité d'Holopherne, je m'en contrefiche. Artémisia Gentileschi qui est celle qui a le mieux représenté le sujet à dépeint l'allégorie de la justice qu'elle rend à son violeur, qu'il aille au diable, si je puis dire.

    Sincèrement, je n'aime pas qu'on vienne parler de "nuque raide" et de "cœurs durs" à des gens qui ont subi plus de mal qu'ils n'en ont fait subir, et c'est souvent le cas des femmes.

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  11. La tragédie de notre époque c'est l'immense ignorance en matière de spiritualité chrétienne.
    Les expressions "nuques raides" et " coeurs endurcis" s'adressent bien évidemment aux deux sexes et font référence à l'orgueil et au blocus mental masculin ET féminin. C'est une invite à ouvrir son intelligence et son coeur à la grâce divine pour raisonner plus large en tournant son ou ses points de vue sous tous les angles. Mais pour les incroyants cela est devenu absolument incompréhensible.
    Quelle immense tristesse et quelle grande ignorance.
    Cela dit les recherches d'Euterpe sont intéressantes.
    fa#

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  12. @fa
    Pour connaitre plutot bien l'histoire et m'y intéresser certainement davantage que la moyenne des gens, il me semble que la chrétienté s'est vautrée dans des massacres en tous genres sur deux millénaires, pour ne pas parler de celui, spécifiquement misogyne, perpétré par l'Inquisition, et pour lequel l'église n'a JAMAIS demandé pardon. Elle s'est excusée pour Galilée, Giordano Bruno, la colonisation, ceci cela, pour les femmes torturées et brulées sut les buchers, jamais.

    Il me semble vraiment qu'il y ait sur la face de la terre tragédies pires que l'ignorance en matière de spiritualité chrétienne.

    Enfin je trouve que parler de l"ignorance" des incroyants est d'un incommensurable orgueil, surtout provenant de personnes qui prechent l'humilité depuis 2000 ans.

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  13. Sans poursuivre la querelle que je ne recherche nullement , il n'empêche que l'ignorance des agnostiques est réelle, mais peut-être ont-ils raison ... (Je veux dire que l'on peut connaître, sans adhérer )
    fa#

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