samedi 24 juillet 2010

Mireille Huchon, une universitaire de papier

Mireille Huchon n'existe pas. C'est une sorte de poupée inventée par un groupe de masculinistes bien décidés à dégommer Louise Labé entrée pour la première fois, quatre siècles et demi après la parution de son oeuvre, au programme du concours de l'Agrégation de Lettres Moderne en 2005. C'était l'élévation suprême de la poétesse à l'honneur de l'autel littéraire à côté des plus grands noms, presque tous masculins.

Mais cet avènement ne devait pas durer plus longtemps. Une année, ce fut déjà trop. Dès l'année suivante une certaine Mireille Huchon édite à Genève un essai soutenant la théorie de l'inexistence de Louise Labé !

Louise Labé, une créature de papier" ne craint-elle pas et contre toute évidence, d'intituler l'ovni.

Quel éditeur s'est-il empressé d'imprimer un livre en forme d'enterrement de poétesse dont l'existence n'avait jusqu'alors posé problème à personne ? Remontons dans le temps.

En 1555, Louis Labé obtient le Privilège du Roy pour l'impression et la vente de son livre contenant ses poèmes. Le 12 août 1555 le livre est achevé d'imprimer.

Louise Labé est vraisemblablement comblée d'honneur, puisqu'elle réunit alors assez d'argent pour s'acheter une maison et dispenser des dons à l'intention des filles à marier pauvres afin qu'elles ne finissent ni prostituées ni dans un couvent.

Elle était donc reconnue comme une grande poétesse de son vivant et l'entreprise de diffamation l'aura éparnée jusqu'à son dernier souffle. Il faut dire qu'elle n'est pas morte bien vieille.

7 ans après sa mort, son nom est citée à propos de l'Histoire de Lyon par le chanoine (lyonnais) Paradin qui en fait un éloge appuyé. Mais, un rival, un jeune avocat bien décidé à prendre la place du vieil homme et qui n'a pas connu Louise, se sert d'elle pour évincer le gêneur. Il prétend que chacun sait que cette poétesse ne mérite pas les éloges que Paradin en fait, n'ayant été de son vivant rien autre qu'une courtisane impudique, une catin, quoi.

La polémique est enclenchée et se perpétue jusqu'au XVIIe siècle. Paradin ne cesse d'en prendre pour son grade, bientôt c'est une autre poétesse contemporaine, lyonnaise et collègue en quelque sorte de Louise, Pernette du Guillet qui est soudain assimilée à une traînée, puis une autre lyonnaise de la même veine, Jeanne Flore se transforme en homme, un prétendu Jehan Flore voulant se faire passer pour une femme, etc...

En 1790, en pleine Révolution, le vent tourne et Louise Labé devient le symbole de la liberté et du patriotisme. Voilà les vers qui figurent sur un drapeau de la garde nationale :

Tu prédis nos destins, Charly*, belle Cordière,

Car pour briser nos fers tu volas la première.

En 1824, en pleine ferveur romantique, les „Evvres“ de Louise Labé sont rééditées. Marceline Desbordes-Valmore et plus tard Sainte-Beuve la célèbrent l'une par un poème, l'autre par une Étude.

Dans les années 1960 où le roman historique à l'eau de rose fleurit, des spéculations démarrent quant à ses liaisons sentimentales, Elles servent d'ingrédients littéraires. On attribue soudain à Louise une liaison avec Clément Marot.

A partir des années 1970, Louise Labé devient une icône du féminisme : c'est la femme audacieuse qui a écrit et publié, non seulement une précise déclaration de parité entre les sexes (dans la Dédicace), mais surtout une Canzoniere, où la femme est le sujet qui exprime une position active dans le rapport amoureux, où elle avoue ouvertement sa sensualité, et un Débat qui thématise les rapports compliqués entre l'amour et le désir, l'harmonie et l'invention, la règle et l'inspiration, dans le discours littéraire, comme dans la musique et dans les arts.

Louise Labé remonte positivement à la surface. Ce n'est plus la courtisane licencieuse que l'on voyait en elle au XVIIe siècle, mais une progressiste, une sorte de Simone de Beauvoir avant l'heure.

En 1981, paraît à Genève L'édition critique d'Enzo Giudici qui met l'accent sur tout ce qu'il y a de génial dans l'écriture de Louise Labé, ouvrage qui va sans doute la consacrer. Il démontre avec quelle brio et originalité Louise Labé, Pernette du Guillet et Maurice Scève, entre autres, s'inspirent de la poésie du quatrocento, c'est-à dire de Pétrarque et de Tullia d'Aragona, pour ne citer qu'eux.

Et voilà que ce même éditeur 24 ans plus tard, publie un ouvrage censé signer l'arrêt de non existence de Louise Labé : Louise Labé n'a jamais existé prétend cet ouvrage ! Est-il pire arrêt de mort que la négation complète de l'existence d'un être ? Un membre de l'Académie francaise prend immédiatement parti pour cette publication largement controversée. Il sera le seul et unique soutien de l'essai révisionniste parmi tous les spécialistes de la littérature du XVIe siècle. Les autres ne doutent pas un instant de l'absurdité de la théorie Huchon. Mais voilà : cet unique monsieur siège à l'Académie francoise. C'est pas rien. Ainsi les deux pantins : Huchon et son académicien de service ont fait du beau travail et j'espère qu'ils mourront satisfaits de leur "oeuvre" commune.

Louise Labé va t-elle rester au programme du concours de l'Agrégation de Lettres dans ces conditions ?

Vraisemblablement....pas. Et le tour est joué.

Mais attendez !..2006, 2006...n'est ce pas la veille de 2007 ? L'année de l'avénement de l'ordre nouveau en forme de gouvernement d'extrême-droite déguisé en gouvernement postgaulliste édulcoré d'une "ouverture" à gauche ?

Travail, famille, patrie ? Les femmes aux fourneaux, les hommes au front, et la retraite à 62 ans ?

Le terrain se devait donc d'être préparé, sans doute. Que fiche une poétesse du XVIe siècle qui plus est icône du féminisme des années 1970 dans un programme d'agreg ! Par ici la sortie, s'il vous plaît !

Et pour obtenir cet admirable régression, heureusement, qu'il y a des femmes qui se disent telles et même qui croient exister en dehors du papier qu'elles noircissent si laborieusement de ce genre d'obscénité, afin de servir leur propre servitude.

* le vrai nom de Louise est : PERRIN, (Louise, Charly, Dame) dite Labé

(Merci à Paolo Budini pour sa Notice sur Louise La dont j'ai extrait ce résumé et merci à Héloise qui m'a inspiré cette note).

12 commentaires:

  1. "Mireille Huchon n'existe pas. C'est une sorte de poupée inventée par un groupe de masculinistes bien décidés à dégommer Louise Labé"

    Je n'ai pas bien saisi, c'est de l'ironie ou bien elle n'a réellement jamais existé cette Mireille Huchon ??? Je suis perdue !!!

    En tout cas, un grand merci (cynique) à elle (virtuelle ou pas)d'avoir fait disparaître du programme de l'agreg une des rares femmes poètesses dont il nous restait un vague écho. Comme tu le dis très justement, si elle existe, elle fait partie de celles qui nourissent leur propre servitude: contre un petit profit individualiste à court terme (un livre à sensations) elle sacrifie le bien-être collectif et à long terme des femmes, dont elle est.

    PS: tu connais le nom de l'académicien collabo ?

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  2. Hélas Mireille Huchon existe bien ...
    Une des meilleures réponses qui lui aient été apportées est cet article :
    http://www.lefigaro.fr/litteraire/20060309.LIT000000246_je_vous_salue_louise.html
    L'auteur de l'article démonte tous les "arguments" de Mme Huchon, dont la théorie ne repose en effet que sur des élucubrations personnelles. J'aime particulièrement ce passage :
    "Par-dessus tout, ce qui est incroyable c'est que des poètes tels que Maurice Scève et ses copains, estimables rimeurs certes, se soient transcendés tout à coup pour produire une oeuvre courte mais intense. Que n'écrivaient-ils aussi bien pour eux-mêmes, ces «hommes facétieux», au lieu de ne devenir géniaux par enchantement, tous ensemble par-dessus le marché, que le temps de cette «oeuvre mystificatrice» ?"

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  3. Bel article qui ne peut que nous éclairer (quant à moi j'y ai appris plein de choses). Pas étonnant qu'on essaie de faire disparaître le talent de la femme... on a longtemps soupçonné Vieira da Silva (la peintre) d'avoir usurpé le talent de son mari... Arpad Szenes. Heureusement, il n'en est pas de même de Paula Rego (à part en France où elle est quasi méconnue) peintre portugaise de grande renommée vivant à Londres.

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  4. A Héloise : ben pourquoi Mireille Huchon existerait-elle si Louise Labé n'existe pas ?:) Oui, je la parodie, en fait. Et je souhaite montrer que n'importe qui peut affirmer l'inexistence de quelqu'un. J'aimerais qu'elle en ressente et subisse l'impact si du moins quelque chose de ce blog arrive un jour jusqu'à elle !
    Quant à l'académicien, il se nomme Marc Fumaroli. Il a également publié chez Droz, l'éditeur genévois qui assène douche chaude et douche froide à Louise Labé. Que soutient-il exactement à travers Huchon ? Je ne crois pas que ce soit sa théorie sur L.L. qui le motive.

    A Isabelle : oui, merci, c'est un très bon article. Il existe aussi en PDF une critique de Daniel Martin qui démonte tous les arguments de Huchon. Il démontre que même dans l'affaire Rubys/Paradin (Rubys est le nom de l'avocat qui attaque le livre d'histoire du chanoine Paradin) Rubys ne remet jamais en question le fait que Louise Labé ait été une poétesse. Il s'attaque à sa chasteté ainsi qu'à celle de Pernette du Guillet. Et j'ajoute que d'une part ce Rubys n'avait pas connu Louise, au contraire de Paradin. De plus Tullia d'Aragona, qui est une des inspiratrices de Louise, est également connue comme ayant été une courtisane. Ce n'est pas pour autant que l'on nie sa production et son talent littéraire !

    A lucia mel : eh voilà ! encore une femme qui a eu une renommée internationale de son temps (j'ai lu la bio de Vieira da Silva sur Wiki parce que je n'ai jamais entendu parler d'elle, c'est un comble !) et que l'on ne commémore jamais, donc qui a disparu du paysage. On ne commémore QUE les hommes et de loin en loin une femme toujours la même, pour faire semblant.

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  5. Euterpe, si l'on inscrit dans Google "Mireille Huchon Universitaire", on tombe directement sur ton blog !!!

    Bon, "Mireille Huchon" tout court ne marche pas (pour le moment ?).

    Peut-être qu'un jour, elle tombera sur ton article ...

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  6. Mazette! Une universitaire kamikase, un complot, votre article est passionnant!
    Gageons que la magnifique Louise Labé se marre et que, faute de preuves, le bon sens triomphera; l'éliminer des programmes scolaires et autres serait une telle abérration!

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  7. A Héloise : on peut toujours espérer ! Et quand je pense au travail de démente qu'elle a fourni pour démolir L.L. ! Tout le temps qu'elle a passé à décortiquer des poèmes à la recherche de preuves tirées par les cheveux...je trouve qu'elle devrait se recycler dans la fabrication de preuves bidons dans des affaires louches (non, je ne l'aime vraiment pas).

    A colo : bon, bien sûr, je ne crois pas vraiment à un complot organisé mais à une conjugaison entre narcissisme, complaisance, rivalité, air du temps particulièrement favorable à des scoops mesquins et on en arrive quand même à un bien sale tour joué à Louise Labé. J'espère moi aussi que cet essai opportuniste va laisser le moins de traces possibles !

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  8. C'est hallucinant... Le XVIeme, c'est pourtant pas la haute antiquité, on doit en avoir à la pelle, des témoignages de l'existence de Louise Labé - sur Wiki, je lis qu'elle avait des propriétés, des jardins, qu'elle montait, donc qu'elle avait des chevaux, qu'elle a imprimé de son vivant... C'est pas les preuves qui manquent, donc.

    Il me semble que tant qu'à remettre en cause les monuments de la littérature, François Villon fait un candidat bien plus sérieux : après tout, voila quelqu'un qui nait on ne sait trop quand, qui est éduqué par un gentil bienfaiteur ecclesiastique, qui fait des études à la Sorbonne dont il n'évoque jamais que le coté licencieux et paillard, le désordre urbain et non l'enseignement, pour ensuite mener une improbable vie de brigand avant de se repentir et de sauver sa peau par quelques poèmes splendide... Sans déconner, en creusant et en approfondissant un peu, je peux démontrer que François Villon est un prête-nom pour permettre à CHarles d'Orléans de publier quelques oeuvres plus enlevées que sa production de court, tout en dénonçant au passage la vie et les moeurs dissolues de l'université donc l'incapacité des pouvoirs bourgeois et écclesiastiques à ordonner les masses juvéniles et turbulentes. Quand à la Légende Villon, il s'agit d'une construction littéraire rennaissance : une illustration de la déchéance d'un jeune clerc sombrant dans le péché suite à de mauvaises rencontre et s'en rependant amèrement une fois âgé, à laquelle se greffe une seconde lecture, plus sombre et torturée durant l'époque romantique.
    Soyons sérieux, six procès verbaux, quelques traces administratives, rarement sous le même patronyme, ça ne suffit pas à démontrer l'authenticité d'un poète !

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  9. A Lledelwin : bien vu ! Seulement Villon est un homme, alors voilà...N'empêche que c'est parfois dur de voir qu'une femme puisse avoir si peu de fiance dans le génie de son sexe pour peu qu'il s'agisse d'un exemplaire de l'ancien temps, trop convaincue qu'elle est que seules les femmes d'aujourd'hui sont capables de quelque chose de puissant, sans s'apercevoir que cette idée est due à un conditionnement puisque que l'on ne célèbre jamais nos "prédécesseresses" (comme dirait Brantôme)). Et arrive facilement à se persuader elle-même qu'une écriture aussi proprement originale ne peut émaner en fin de compte que d'un homme voire de plusieurs.
    Cela dit tout de suite après la femme qui serait à priori une incapable, il y a l'extraction sociale, L.L. étant issue du peuple. Et à ce niveau, on peut encore s'attendre à du révisionnisme sur Villon, puisqu'un film va bientôt sortir qui défend la théorie comme quoi Shakespeare (un homme du peuple) n'a jamais écrit ses pièces.
    Il existe donc deux formes de discrimination sur lesquelles se bâtissent les théories "négationnisantes", et qui chez L.L. s'additionnent : le sexe et les origines sociales.

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  10. Et de fait, on ne parle pas souvent de Phillis Wheatley, qui a du démontrer devant la justice qu'elle était bien l'autrice du poème pour G. Washington (femme, noire, esclave de première génération et écrivain ? y a un bug, forcément !)

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  11. A Lledelwin : merci d'en parler, je ne la connaissais pas du tout !

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  12. Que Louise Labé existe ou non, bien loin de moi l'idée de trancher cette question...
    Mais par contre,je voudrais revenir sur l'accusation d'anti-féminisme.
    Beaucoup de commentateurs ont valorisé chez Louise Labé un "style très féminin", l'expression vraie de la souffrance féminine, la femme qui parle de ses amours, etc... La démarche de Mme Huchon consiste à montrer qu'elle est en fait une figure créée par un groupe de poètes masculins du XVIe. Ce qui signifie que ce qu'on a pu lire chez Louise Labé comme étant l'expression de la féminité pure a en fait été écrit par...des hommes. Il semble que la conclusion a en tirer est que nous avons une tendance irrationnelle à attribuer un genre à tel discours ou à telle qualité. Les sonnets de Louise Labé ne sont pas des sonnets "féminins", mais des sonnets tout court.
    Une telle démarche ne me semble ni plus ni moins féministe que celle qui semble être défendue dans l'article ci-dessus.

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