La grande, l'immense Marguerite de Navarre dont j'ai déjà parlé ici et qu'Hélisenne de Crenne donne en exemple à la fin de son énumération de personnages féminins tirées de la Bible bien qu'elle soit un personnage contemporain, fut, si je peux me permettre cette comparaison, la Marguerite Yourcenar du XVIe siècle et bien plus encore. Elle couvre de son ombre majestueuse la vie intellectuelle de l'époque, les grands hommes de toute l'Europe ne cessent de lui exprimer leur admiration et de lui rendre hommage, Rabelais lui dédie son oeuvre, elle est l'amie d'Erasme, de Calvin, du pape Paul III et d'autres encore, quant au poète Clément Marot, il est son valet.
Tout cela ne l'empêche pas de s'excuser d'écrire, afin de se prémunir des attaques misogynes et préface l'une de ses oeuvres ainsi :
Si vous lisez ceste oeuvre toute entiere
Arrestez vous , sans plus, à la matiere,
En excusant le rhythme et le langage
Voyant que c'est d'une femme l'ouvrage
Marguerite de Navarre
Rebonjour !
RépondreSupprimerdécidément, j'aime votre site qui parle de grandes dames !
cependant, je ne suis pas d'accord sur votre titre : après tout, ce genre de "précautions" est plutôt, je pense, une figure littéraire utilisée par tous les auteurs, sur le mode "oh je sais bien c'est pas terrible, mais j'écris quand même", un peu de fausse modestie en somme :)
En revanche, la prétention philosophique de Marguerite de Navarre est bien réelle et plutôt hors du commun pour son temps - encore que dans la très haute noblesse, nombreuses étaient les grandes dames cultivées !
A Artémise : ce n'est pas de la fausse modestie chez elle. Ce n'est pas son genre. J'ai lu un très intéressant travail sur les préfaces à la Renaissance ici :
RépondreSupprimerhttp://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/caief_0571-5865_1990_num_42_1_1733
Extraits : „Il n'est guère étonnant d'assister à la mise en place de dispositifs stratégiques propres aux femmes écrivains lorsque, pour présenter leurs écrits, celles-ci doivent aller au devant des idées recues et rassurer un public par natures méfiant au sujet de leur propre moralité (...) au XVIe siècle (…) le rôle traditionnel de la femme oblige encore celle-ci à limiter sa sphère d'action au domaine privé (…) c'est pourquoi l'idée de mettre ses sentiments par écrit n'est pas nécesssairement suspecte, l'envie de les publier – „de les mettre en lumière“ est plus souvent considéré comme un dangereux signe de débauche. En „se rendant publique“ la femme court le risque de passer pour une „fille publique“
Voici un texte de la poétesse Louise Labbé choisit par son éditeur pour préfacer à son oeuvre :
„Quant à moi, tant en ecrivant premièrement ces jeunesses que en les revoyant depuis, je n'y cherchais autre chose qu'un honnête passe temps et moyen de fuir l'oisiveté ; et n'avais point intention que personne que moi les dut jamais voir. Mais depuis que quelques uns de mes amis ont trouvé moyen de les lire sans que je n'en susse rien et que (comme aisément nous croyons ceux qui nous louent) ils m'ont fait croire que les devais mettre en lumière, je ne les ai osé éconduire, les menacant ce pendant de leur faire boire la moitié de la honte qui en proviendrait.
Préface de l'oeuvre posthume de Louise Labbé par Antoine du Moulin.
Si ce ne sont pas des précautions, ca y ressemble fort !
> Merci Euterpe !
RépondreSupprimerJ'avais lu l'article aussi mais je persiste à croire que l'interprétation de ce genre de phrase, vu l'abondance des occurences en littérature, est sujet à caution - comme ce qu'on peut prendre pour de l'ironie et qui en fait n'en est pas, alors que ce qui n'en a pas l'air en est... ou pas :)
A Emelire : on a vu que plus tard des femmes ont pris des noms d'hommes (et pas seulement en France) pour avoir la paix et ne plus devoir se justifier mais avant cela elles recouraient à ce genre de préface ou alors on intégrait leurs écrits dans un ouvrage masculin. Ainsi dans les oeuvres de Marot et de Du Bellay, par exemple, on ne le remarque jamais mais il y a des oeuvres féminines.
RépondreSupprimerA Artémise : tu es peut-être influencé sans t'en rendre compte par le portrait. Elle y arbore un sourire ironique mais si tu lis ses oeuvres, tu y trouveras beaucoup de prudence d'autant qu'on a essayé de la détruire et il est arrivé que son mari la batte (sa fille le raconte dans ses mémoires). L'ironie est possible quand on se sent relativement libre de l'exercer. Ce n'était pas son cas.