Je copie/colle ici l'article paru sur Agoravox à propos de le censure du livre d'Anne Larue en 2010, car je le trouve fort instructif pour ce qui concerne la difficulté croissante de faire entendre une voix féministe dans le tintamarre machiste ambiant.
Trop féministe ou trop radicalement opposée aux orientations actuelles du ministère de l’Éducation ? Trop peu portée à la complaisance envers une « intelligentsia » qui, de Luc Ferry à Bernard-Henri Levy, donne le « la » dans les médias, l’édition, voire les coulisses des ministères et organismes qui apportent des soutiens à l’édition universitaire ? On ne saura sans doute jamais pourquoi le livre d’Anne Larue, chercheuse universitaire, enseignante à Paris-xiii, a été retiré des ventes par les Classiques Garnier aux lendemains même de sa parution…
L’affaire, venue fortuitement à la connaissance d’Anne Larue,
chercheuse universitaire maintes fois publiée, est-elle l’exception qui
révèle la règle ? Soit celle de choix éditoriaux qui font qu’un Noam
Chomsky français ne serait plus publié aujourd’hui par Fayard, mais,
comme ses derniers ouvrages, par des maisons de moindre renom (Agone,
Lux éd.) ? Dans l’édition, la censure s’exerce en amont, au stade d’un
comité de lecture qui refuse la publication, ou suggère des coupes et
corrections consenties par les auteur·e·s. Pour Fiction, féminisme et postmodernité – Les voies subversives du roman contemporain à grand succès, d’Anne Larue,
la censure s’est exercée a postériori, car dès que ses dix exemplaires
d’auteure lui ont été acheminés, le livre a été retiré des ventes.
Détaillé par Come4News, qui publie des extraits significatifs de l’ouvrage et le témoignage d’Anne Larue
sur la manière dont elle a été incidemment informée du retrait des
ventes de son titre (tiré à 650 ex.), le sort de ce livre, accepté par
le comité de lecture des éditions Classiques Garnier, reste plus
qu’incertain. « Réécriture des pages qui fâchent ? Plutôt crever, car c’est de la censure pure et simple… », a considéré Anne Larue
après demande d’explications à Véronique Gély, Bernard Franco et Claude
Blum, des éditions Classiques Garnier. Sont explicitement en cause des
passages d’un avant-propos qui « cadrent » l’étude de son sujet, soit le
mouvement spiritualiste wicca, les courants de pensée voisins, et leur influence sur les fictions populaires actuelles (dont Harry Potter, les Dan Brown, Les Dames du Lac,
et leurs produits dérivés…) particulièrement goûtées par un public
féminin. L’avant-propos est une critique acerbe nominative de ceux (dont
Luc Ferry) qui remettent en cause, en les travestissant, les mouvements
de mai 1968, de la protestation estudiantine américaine et des
tendances radicales du New Age, et les tenants d’un mouvement
« revanchard » caricaturant les luttes féministes. « Nous vivons une époque de grand retour en arrière, de revanche masculine sur le féminisme – backlash, » considère Anne Larue. Mais elle s’en prend aussi, plus globalement, à « une tranquille historiographie, qui va paissant, si paisible, dans toutes les contrées de l’art, [et] nous
apparaît soudain pour ce qu’elle est : une attaque d’une violence
inouïe, implacable, criminelle et globalement anonyme contre des pans
entiers de culture jetés au bûcher. L’optique féministe dépasse
largement la question des femmes elles-mêmes, largement la question des
groupes opprimés ou marginaux, et même largement la question de
l’humanité (…). C’est toute la culture, toute l’histoire, la
représentation même du monde qui, avec une optique féministe, se
trouvent remises en question. ».
Annoncé à la presse par le Bulletin trimestriel nº 1 de 2010 des éditions Classiques Garnier, l’ouvrage y est sobrement décrit : « Cet
essai traite de l’influence, dans la fiction populaire à grande
diffusion, de certains fantasmes féministes liés à la magie et au retour
à la nature. À travers les représentations que se donne, sur différents
supports qui vont du livre au numérique, la wicca nord-américaine, “ religion ”
à connotation ludique et fictionnelle, on se pose la question
suivante : dans quelle mesure le best-seller fait-il, sous des
apparences de distraction immédiate, acte de résistance contre le backlash, revanche antiféministe de nos sociétés occidentales aujourd’hui ? ».
En revanche, dans le corps de l’étude elle-même, qui
traite du genre fantasy au sens large, et de ses dérivés tels les jeux
vidéo, l’engouement pour le néomédiéval, les jeux GN (Grandeur nature),
deux cibles sont aussi visées. Il s’agit d’une part de l’influence des
religions dites révélées. « L’ennemi est le catholicisme, ordonnateur de ce “ bras séculier ” auquel
ont été livrées des milliers d’innocentes. Le capitalisme est son
sbire : c’est lui qui conduit le développement urbain, celui du crédit
et celui de l’armée. Capitalisme et catholicisme, unis main dans la
main, forment la base du patriarcat, c’est-à-dire de la domination
masculine sur la planète. Telle est, en substance, la leçon
politico-religieuse de la wicca, qui plonge ses racines dans le New Age,
l’ère du Verseau, le culte de la nature, l’écologie, le féminisme,
l’altermondialisme et… la fantasy. ». Mais d’autre part, c’est aux orientations de l’enseignement scolaire et universitaire qu’Anne Larue s’en prend frontalement. « Le mot “ scientifique
”, au lieu de désigner la science elle-même, a été détourné de son sens
premier. Il renvoie à un dispositif de censure pour les humanités,
auxquelles il inflige, pour commencer, l’entorse dénaturante d’un nom
qui ne convient pas. Scientifique signifie ici, en réalité, si on ôte tous les masques : “ approuvé par les censeurs de la pensée ”. L’absurdité qui contraint les lettres à devoir-être-scientifiques, et leur étude à être menée d’une manière “ scientifique ” est une violence faite à leur nature. »
Le livre est sorti des presses vers le 10 mai 2010, mais dès le 26, Anne Larue
obtient confirmation que sa diffusion est bloquée. Il faudra cependant
attendre tout début juin pour qu’il disparaisse du site des éditions
Classiques Garnier. Depuis, une pétition « Non à la censure
antiféministe » a recueilli, à ce jour, plus de 250 signatures, Anne Larue
a pris une avocate et envoyé une mise en demeure aux éditions, et des
sites féministes, mais aussi liés à l’univers de la fantasy ou de la SF,
ou encore de celui du BDSM dont Anne Larue
a étudié les représentations en littérature, ont repris l’information.
Les éditions Classiques Garnier, distinctes de GF-Flammarion
(ex-Garnier-Flammarion), auraient fait valoir à Anne Larue
que la collection siglant l’ouvrage serait « débutante et fragile » et
ne pouvant se permettre un « impair ». Ce à quoi elle rétorque qu’il
s’agit d’une « maison institutionnelle (…) profitant largement de la base et des fichiers clients des éditions Champion. ».
Au-delà de l’incident, la question beaucoup plus
large de ce qui est devenu recevable et publiable dans les grandes
maisons d’édition est soulevée. Le débat porte sur les raisons réelles,
officielles mais surtout tues, de la relégation des ouvrages dérangeants
– pour qui, au juste ? – dans le domaine des petites maisons, de
l’autoédition. « La question de l’Autre Monde est surtout
celle de savoir qui tient les clés de ce monde ci-présent. Spinoza
lui-même aurait apprécié une telle quête, lui qui rappelait, dans son Traité théologico-politique, le
rapport étroit qui existe entre le gouvernement des souverains et
l’idéologie religieuse dont ils font leur arme pour asservir un peuple
encore trop dénué de raison, » relève Anne Larue
dans son étude des fictions campant un monde fantastique
parallèle. Effectivement : qui détient les clefs de l’édition et des
médias à présent ?
et donc, aucun moyen de se procurer ce bouquin?
RépondreSupprimerCe livre a été remis en vente en Juillet 2010 . On peut même le trouver sur des sites en ligne bien connus. Mais après en avoir lu quelques extraits j'ai bien peur qu'il soit d'un niveau trop élevé pour moi..je viens juste de comprendre ce que "fantasy" veut dire. j'attendrais donc d'être un peu plus savant :)
RépondreSupprimerCela veut-il dire que je dois faire un billet sur le genre "fantasy" ? ;)
SupprimerOui ,oui, SVP :) Si j'ai compris le sens global de ce livre, en revanche il y a des tas de subtilités qui m'échappent .
SupprimerIl y a d'ailleurs d'autres termes comme "la wicca" et beaucoup que je n'ai pas notés dans les extraits que j'ai lus. Il y a bien évidemment Wikipédia mais expliqué par vous c'est tellement plus instructif (sans ironie aucune, bien au contraire) ! Je n'ai pas lu non plus le "traité théologico-politique de Spinoza" ,etc...Il y a des bases que je n'ai pas (pas le temps, pas le courage, d'autres centres d'intérêts , etc....)
Mais peut-être ne pouvez-vous rien pour moi, il y a des jours où je me sens tellement "nul", juste envie d'apprendre (c'est déjà ça) :):)
Ok mais ne soyez pas trop pressé. Il faut que chaque sujet rentre dans le contexte d'un billet. Néanmoins, je garde en mémoire tout ce que vous souhaitez connaître. Moi, j'aime bien illustrer les propos avec des images plutôt que de rester cantonner dans des explications techniques. C'est peut-être ce qui vous apparaît comme plus plaisant ! En tout cas, je suis flattée d'apprendre que vous aimez mon style ! :)
SupprimerVu et trouvé. (en même temps si j'avais cherché au lieu de mettre un comm idiot...)
RépondreSupprimerIl ne te reste plus qu'à le lire et à nous dire ce que tu en penses ! ;) (Au fait, il faut aussi que j'achète le livre de Jean Markale, moi !).
SupprimerJe m'y plonge dès que j'ai la tête libre (reçu ce midi)
RépondreSupprimerMiam miam !!
Super !! ;¬)
RépondreSupprimerLu en début de semaine, passionnant, aucune idée du pourquoi d'une censure, à part que c'est féministe.
RépondreSupprimerBcp de choses à en dire, mais trop épuisée pour le faire, pour le moment.