Extrait de King Kong Théorie, Virginie Despentes, 2006 : "La maman sait ce qui est bon pour son enfant, on nous le répète sur tous les tons, elle porterait intrinsèquement en elle ce pouvoir stupéfiant. Réplique domestique de ce qui s'organise dans le collectif : l'État toujours plus surveillant sait mieux que nous ce que nous devons manger, boire, fumer, ingérer, ce que nous sommes aptes à regarder, lire, comprendre, comment nous devons nous déplacer, dépenser notre argent, nous distraire. Quand Sarkozy réclame la police dans l'école, ou Royal à l'armée dans les quartiers, ce n'est pas une figure virile de la loi qu'ils introduisent chez les enfants, mais la prolongation du pouvoir absolu de la mère. Elle seule sait punir, encadrer, tenir les enfants en état de nourrissage prolongé. Un État qui se projette en mère toute-puissante est un État fascisant. Le citoyen d'une dictature revient au stade du bébé : langé, nourri et tenu au berceau par une force omniprésente, qui sait tout, qui peut tout, a tous les droits sur lui, pour son propre bien. L'individu est débarrassé de son autonomie, de sa faculté de se tromper, de se mettre en danger. C'est ce vers quoi notre société tend, possiblement parce que notre temps de grandeur est déjà loin derrière nous, nous régressons vers des stades d'organisation collective infantilisant l'individu. Dans la tradition, les valeurs viriles sont les valeurs de l'expérimentation, de la prise de risque, de la rupture avec le foyer. Quand de toutes parts la virilité des femmes est méprisée, entravée, désignée comme néfaste, les hommes auraient tort de se réjouir, ou de se sentir protégés. C'est autant leur autonomie que la nôtre qui est remise en cause. Dans une société libérale de surveillance, l'homme est un consommateur comme un autre, et il n'est pas souhaitable qu'il ait beaucoup plus de pouvoir qu'une femme.
Le corps collectif fonctionne comme un corps individuel : si le système est névrosé, il engendre spontanément des structures autodestructrices. Quand l'inconscient collectif, à travers ces instruments de pouvoir que sont les médias et l'industrie de l'entertainment, survalorise la maternité, ce n'est ni par amour du féminin, ni par bienveillance globale. La mère investie de toutes les vertus, c'est le corps collectif qu'on prépare à la régression fasciste. Le pouvoir qu'un État malade octroie est forcément suspect.
On entend aujourd'hui des hommes se lamenter de ce que l'émancipation féministe les dévirilise. Ils regrettent un état antérieur, quand leur force prenait racine dans l'oppression féminine. Ils oublient que cet avantage politique qui leur était donné a toujours eu un coût : les corps des femmes n'appartiennent aux hommes qu'en contrepartie de ce que les corps des hommes appartiennent à la production, en temps de paix, à l'État, en temps de guerre. La confiscation du corps des femmes se produit en même temps que la confiscation du corps des hommes. Il n'y a de gagnants dans cette affaire que quelques dirigeants.
(...)
Les hommes dénoncent avec virulence injustices sociales ou raciales, mais se montrent indulgents et compréhensifs quand il s'agit de domination machiste. Ils sont nombreux à vouloir expliquer que le combat féministe est annexe, un sport de riches, sans pertinence ni urgence. Il faut être crétin, ou salement malhonnête, pour trouver une oppression insupportable et juger l'autre pleine de poésie.
De la même manière, les femmes auraient intérêt à mieux penser les avantages de l'accession des hommes à une paternité active, plutôt que profiter du pouvoir qu'on leur confère politiquement, via l'exaltation de l'instinct maternel [ ou du "care", voir note précédente de mon blog]. Le regard du père sur l'enfant constitue une révolution en puissance. Ils peuvent notamment signifier aux filles qu'elles ont une existence propre, en dehors du marché de la séduction, qu'elles sont capables de force physique, d'esprit d'entreprise et d'indépendance, et de les valoriser pour cette force, sans crainte d'une punition immanente. Ils peuvent signifier aux fils que la tradition machiste est un piège, une sévère restriction des émotions, au service de l'armée et de l'État. Car la virilité traditionnelle est une entreprise aussi mutilatrice que l'assignement à la féminité. (...) Être coupé de sa féminité, symétriquement aux femmes qui renoncent à leur virilité, non pas en fonction des besoins d'une situation ou d'un caractère mais en fonction de ce que le corps collectif exige. Afin que, toujours, les femmes donnent les enfants pour la guerre, et que les hommes acceptent d'aller se faire tuer pour sauver les intérêts de trois ou quatre crétins à vue courte.
(...). Un État tout-puissant qui nous infantilise, intervient dans toutes nos décisions, pour notre bien, qui - sous prétexte de mieux nous protéger - nous maintient dans l'enfance, l'ignorance, la peur de la sanction, de l'exclusion. Le traitement de faveur qui jusqu'alors était réservé aux femmes, avec la honte comme outil de pointe pour les tenir dans l'isolement, la passivité, l'immobilisme, pourrait s'étendre à tous. Comprendre les mécanismes de notre infériorisation, et comme nous sommes amenées à en être les meilleurs vigiles, c'est comprendre les mécaniques de contrôle de toute la population. Le capitalisme est une religion égalitariste, en ce sens qu'elle nous soumet tous, et amène chacun à se sentir piégé, comme le sont toutes les femmes".
Seize ans plus tard, nous y sommes.
Actualisation: Virginie Despentes n'est pas ma gouroute. D'abord la moitié et plus de ce qu'elle écrit caresse avec insistance le patriarcat dans le sens du poil parce que c'est le geste obligé pour y devenir starlette médiatisable. Et cela ne s'arrange apparemment pas, si j'en crois la twitteuse @OhOceane qui commente la nouvelle production de celle qu'elle nomme familièrement Vivi dans son thread. Les écrivain-e-s établi-e-s fabriquent très vite de la prose consensuelle jusqu'à l'écoeurement avec insupportable emballage pseudo-rebelle. Ensuite parce que "Vivi" aime clamer partout que se prostituer est un métier comme un autre et le pratiquer rempli plus vite le compte en banque qu'en rangeant des rayons de supermarché. Et cerise sur le gâteau, elle éprouve une certaine compassion pour les pauvres prostitueurs si touchants (vite, une larme) + fustige les vilaines abolitionnistes qui ne seraient que des bourgeoises en mal de combat féministe, alors qu'elle, la vraie prolote, défend les vraies prolotes comme elle (prière de ne pas rire). Bref, elle nous pond volontiers du féminisme de classe en se donnant le beau rôle de la seule-à-comprendre-la-misère-du-bas-peuple-féminin, surtout depuis qu'elle traîne ses haillons haut de gamme dans le gotha qui la chérit tant.
Par contre, elle est très lucide sur la sorte de gens qui possèdent le pouvoir en ce monde et sait exactement comment ils le voient, ce monde. La complainte du trader "Kiko" dans Vernon Subutex I, est incontournable à lire et à relire et si VD fait semblant de ne pas avoir compris que depuis 2020 un génocide est en cours doublé d'une installation du crédit social à la chinoise plus de l'entrée forcée dans le transhumanisme rêvé par la clique de Davos, c'est qu'elle ne veut pas perdre son fond de commerce.
Euterpe oleracea, également nommé açaï du Brésil, est une espèce de palmiers de la famille des Arecaceae, originaire d'Amérique du Sud. Sa petite baie noire a des propriétés tout à fait fantastiques pour aider à la bonne santé .
RépondreSupprimercheers up
eto, c'est lez, aussi .
Merci pour l'info! Très heureuse d'apprendre que mon nom est aussi celui d'une plante, bénéfique de surcroît!
SupprimerHeureusement que ma mère n’avait rien en commun avec celles décrites par Virginie Despentes. Elle avait fort à faire avec ses grossesses et à essayer de mettre la marmaille que son ventre avait mis au monde dans les meilleurs dispositions pour affronter ce qui arrivait. En matière d’éducation, des principes basiques : Dieu, la Vierge et le respect d’autrui. Ce deal était rompu dès lors qu’il n’était pas payé de retour. Combien de fois l’ai-je vue, s’en prenant comme une furie, à Dieu et au Diable parce que justice faisait défaut !
RépondreSupprimerJe ne sais pas si ma mère savait ce qui était « bon pour nous », dans la mesure où elle n’avait jamais eu l’opportunité d’approcher le bonheur autrement que dans la presse people qu’elle parcourait, pour les images, parce qu’elle ne savait pas lire. Quand un sujet l’attirait, par l’image, elle demandait à la voisine de le lui lire. Alors, elle fermait les yeux et je crois que là elle rêvait comme dans un conte de fées.
Heureusement, pour nous, elle n’avait d’autre pouvoir et d’autre poids à porter que ceux de sa passivité. Et de sa frustration, bien sûr. Elle était sans doute frustrée, mais pas malade à la façon d’un Sarko ou d’une Ségolène dont elle aurait rêvé la vie et les idées.
Cela étant, le monde qui vient est bien plus terrifiant que les déclarations velléitaires de ces marionnettes de la politique qui ne sont là que pour la parade, en bons soldats qu’ils sont.
Mais voilà que je m’égare. Les mille pardons et la bonne journée.
La mère décrite par Virginie Despentes est une sorte d'archétype complètement frelaté que les médias essaient de nous vendre pour nous infantiliser. La preuve, en Allemagne, Merkel était surnommée "Mutti" ! Et maintenant on a sa pouliche von der Leyen à la tête de l'UE. Des hypnotiseuses, en fait. Rien à voir avec une vraie mère comme la tienne qui a dû être une gentille maman aimante comme on rêve d'en avoir et non une de ces "Génitrix" hypercontrôlantes comme le personnage du roman de Mauriac auquel ressemble assez la description de Despentes. La bonne journée à toi aussi et merci beaucoup pour tes passionnants commentaires!
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