lundi 28 octobre 2013

La misogynie est la base même de l'expression artistique

La femme à la Sorbonne à la fin du XXe siècle

   Imaginons une étudiante lambda qui s'intéresse aux "femmes" et qui fait ses études de lettres dites "modernes" à la Sorbonne (Paris, France) au début des années 1980. Sous la direction d'un mâle professeur, elle rédige son mémoire de maîtrise sur la "représentation de la femme". Parler des femmes, si on y tient vraiment, c'est donc parler de leur représentation par et dans la littérature ipso facto masculine. Notre étudiante traite dès lors de la "femme de la Décadence", entendons : la fin du XIXe siècle, période également nommée, entre pairs, "tournant du siècle". Elle étudie, mettons, la "femme bretteuse". Bretteuse, cela veut dire que cette femme manie l'épée pour impressionner l'écrivain, qui la désire d'autant plus que c'est elle qui tient l'épée : ciel, quelle transgression !
  L'étudiante assimile rapidement tout ce jargon spécifique (décadence, tournant du siècle, bretteuse) et s'approprie, avec la bénédiction de la Sorbonne, un point de vue réputé universel, en réalité essentiellement masculin. Personne n'y trouve à redire, elle pas plus que les autres. Son rôle, en tant que "critique", est en effet de mettre en relief  le "point de vue de l'auteur". Le "corpus" c'est-à-dire l'ensemble des oeuvres étudiées et vénérées (encore un mot de jargon vite appris) est majoritairement masculin. Tout roule.
   Défilent alors, dans la mémoire de l'étudiante, Salomé la coupeuse de tête, Hélène sur les remparts de Troie, Clara du Jardin des supplices, Raoule de Vénérande, qui dans le roman de Rachilde, La marquise de Sade, exige très fermement d'être vénérée. Autant de figures de la femme fatale, qui danse avec l'homme masochiste un éternel pas de deux sur son tempo à lui. Voilà pour la représentation de la femme : sadique, désirable, méchante, dominée sous ses airs de dominatrice, tout un programme pour les honnêtes citoyennes. Des armées de filles, sous la direction de mâle professeur, tiennent elles-mêmes la plume qui les stigmatise. Mais déjà quelques-unes osent glisser dans leurs textes que tous ces fantasmes fin-de-siècle ne sauraient masquer l'existence réelle de Louise Michel, Flora Tristan ou Lou Andrea-Salomé, pour ne citer que quelques-unes des plus célèbres. "Jamais la misogynie n'est apparue aussi nettement comme la base même de l'expression artistique" écrit Mireille Dottin-Orsini, une ancienne de l'écurie, dans Cette femme qu'ils disent fatale, Textes et images de la misogynie fin-de-siècle (p.23).
     Louise Michel n'aura sans doute jamais lu une ligne d'un roman "décadent". A la fin du XXe siècle, on ne lit pas davantage les Mémoires de Louise Michel à la Sorbonne car "ce n'est pas de la littérature". Et pourtant, l'autobiographie est désormais un genre reconnu. Saint-Augustin ou Rousseau, d'accord ! Mais pas Louise Michel, qui écrit dans ses Mémoires :

Peut-être aussi dans ce beau pays de France, la mode d'attribuer à un cas pathologique tout caractère de femme un peu viril est-elle complètement établie ; il serait à souhaiter que ces cas pathologiques se manifestassent en grand nombre chez les petits crevés et autres catégories du sexe fort (1976 : 192).

De quoi balayer la "représentation de la femme". De quoi ruiner le fonds de commerce masculiniste de l'Université....

(extrait de Dis Papa, c'était quoi le patriarcat ?, Anne Larue, éditions iXe)


Oui, la misogynie est le socle sur lequel repose notre culture dans son intégralité et "l'existence réelle des femmes" est une notion qui n'intéresse que les féministes.
Télérama, par exemple, ne connaît pas d'écrivaines. Pour la culture masculiniste (pléonasme) il n'y a d'écrivains que masculin (ne suivez donc pas d'écrivaines sur twitter car ce ne sont pas des écrivains "RÉELS").


Encore à propos de littérature et pour en revenir à nos suffragettes, la dramaturge britannique Cicely Hamilton fonda la Woman Writer's Suffrage Society réunissant des femmes et des hommes de plume favorables au vote des femmes pour faire campagne par l'écriture. Elle rédigea elle-même plusieurs oeuvres dont des pièces de théâtre ayant pour thème le suffrage féminin. Apparemment des livres plein d'humour et de grâce mais malheureusement ne bénéficiant d'aucune pub et absolument pas traduit en français.  

22 commentaires:

  1. Dans l'article de Télérama, Joyce Carol Oates est une femme.

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    1. Merci, cependant je crois qu'il faut considérer à partir de maintenant que LA femme alibi ne compte plus. S'il n'y a qu'une seule femme dans un lot, c'est qu'elle est juste là pour l'alibi. Elle est la représentation MINORITAIRE.
      Avec cette idée, qu'ils veulent imposer contre la réalité même, que les femmes seraient une minorité.
      (De raconter toujours et encore ce même mensonge ne les dérange pas le moins du monde).

      Il faut désormais apprendre à penser qu'une seule écrivaine pour 9 écrivains = zéro femme.

      Regardez cette page : http://www.magazine-litteraire.com/ si vous y voyez une femme signalez-le moi.
      Il s'agit du Magazine littéraire en ligne.Le même qui a réussi il y a quelques mois à consacrer un article à Joyce Carol Oates dans un numéro intitulé anonymement "les romancières américaines" avec Auster sur la couverture (oui, Paul) et une peinture de Hopper. Je le raconte là : http://lesaventuresdeuterpe.blogspot.de/2013/06/dans-la-litterature-les-femmes-se.html
      Il n'a jamais été jusqu'à lui consacrer une couverture (faut pas pousser).
      Là voilà placée parmi les "grands". Quel honneur ! Cela veut surtout dire qu'ils ne la voient pas comme femme mais comme exception. Un genre d'erreur de la nature.
      (En gros).

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    2. Je suis d'accord avec vous, et c'est probablement pour éviter la critique qu'elle a été incluse (et parce qu'elle a écrit un livre récemment). Elle reste néanmoins écrivaine et il serait plus juste de la traiter d'alibi que de non-existente.
      Je suis votre blog avec beaucoup de plaisir, et j'avais beaucoup aimé l'article sur le mahazine littéraire !

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    3. Merci beaucoup ;)

      En fait, pour l'alibi, bien sûr, c'est bien ce qu'elle est mais une fois que l'on a dit cela, on se retrouve coincé.e.s. Donc il faut dénoncer le procédé. Je la considère comme non-existante du point de vue du procédé.
      S'il y avait plus d'une femme, ce serait encore criticable parce que c'est la parité que nous voulons atteindre et sur 10 personnes c'est 5 le nombre paritaire, pas 2 ni 3 ni même 4.
      Mais là c'est vraiment une manière de rester complètement entre hommes. Lorsque le principe de l'alibi n'avait pas encore cours, on voyait aussi très souvent une unique femme perdue au milieu d'une corporation professionnelle. Car une seule femme ne leur a jamais fait peur quand ils étaient au moins dix.
      Aujourd'hui elle est l'alibi mais autrefois elle était l'exception qui confirmait la règle. De ce point de vue sa présence est presque l'affirmation même du rejet des femmes du cénacle.

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  2. Ce que j'ai trouvé personnellement le plus odieux dans les dernières sorties littéraires ça a été les critiques faîtes au roman d'une ancienne actrice pornographique. Ils ont eu le culot de qualifier de féministe un livre où les femmes désirent et jouissent ardemment d'être humiliées et torturées ! Et il y en avait une grande pile à l'entrée de la librairie alors que bien sûr le livre de Muriel Salmona mettant à bas tous ces mensonges avait été installé bien au fond du magasin là où seuls les curieux iraient le voir... Je me demande parfois si ces gens sont juste des crétins suivistes ou ont de gros problèmes. Il y a quelques temps une chroniqueuse du Plus nouvel obs avait défendu la pédocriminalité disant qu'il ne fallait pas en faire un drame qu'elle en avait été victime et s'en était bien remise. Son post prouvait qu'il n'en était absolument rien...

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    1. Oui, cela fait partie des nouveaux procédés pour masquer leur machisme et leurs efforts pour nous tenir à l'écart de leur business monosexe. Valoriser des collabos en les appelant "féministes" ! C'est la novlangue dans toute sa splendeur !
      Mais il ne faut pas croire que ce sont des crétins. Ils travaillent consciemment au maintien de la domination. Notre erreur serait de croire qu'ils ne le font pas exprès. Ils veulent à tout prix conserver leurs privilèges et pour cela, rien ne les arrête.

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    2. Je parle justement des collabos femmes. Pour les hommes le deal est clair : ils doivent accepter de taire tout ce qu'ils ont pu endurer des mains des hommes dans leur enfance pour être acceptés parmi eux mais y gagne un statut de dominant respecté et la possibilité de se défouler sur des femmes et enfants à condition que cela ne se voit pas trop. Mais je trouve que les femmes collabos se font un peu bananer dans les grandes largeurs quand même, elles sont obligées de taire toutes les souffrances endurées depuis le berceau ou même pire dire qu'elles aiment ça pour grappiller seulement quelques miettes de pouvoir. Et elles n'y gagnent même pas l'assurance d'être respectées et épargnées par de nouvelles agressions. Même si je ne nie pas leur dangerosité, j'ai pitié d'elles, leur attitude est complétement suicidaire.

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    3. OK, je comprends.
      Pour ma part, je m'explique leur comportement par le fait qu'elles ont subi le lavage de cerveaux général et croient qu'elles sont inférieures, qu'elles ont besoin des hommes, qu'ils sont plus intelligents, qu'ils valent mieux que les femmes, qu'ils ont besoin qu'on les serve sexuellement ou autre sinon ils se suicident, qu'il n'y a pas d'autre monde possible et que les féministes veulent juste briser les gentilles mâles, les démolir, voire carrément éradiquer ce sexe victime.
      Elles sont dans le déni de leur propre souffrance.
      Il y a énormément de gens qui vivent comme on leur demande de vivre même si leur corps, leur esprit, leur être spirituel s'en trouvent gravement endommagés.
      Sans doute, beaucoup n'ont jamais expérimenté un bien-être réel et profond ou bien n'ont pas encore assez souffert ou bien veulent bien payer cher pour un tout petit peu de célébrité, ou que sais-je.
      Mais je suppose que certaines vont encore changer.
      En attendant, elles nous font beaucoup de mal en plus de s'en faire à elles-mêmes.
      Un bon éveilleur de conscience leur ferait le plus grand bien. Certains préconisent le LSD sous surveillance médicale (cela se fait en Suisse) :)
      En tout cas, les esclaves qui ne se voient pas du tout comme des esclaves, Sojourner Truth les avait déjà répérés avant l'abolitation de l'esclavage en Amérique !

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    4. Les femmes en viennent à se mépriser et se haïr du fait de toutes les humiliations, injustices et violences qu'elles ont subi au cours de leur existence. Aucune femme ne retire un quelconque bénéfice du viriarcat, les femmes qui collaborent ne font que reproduire la destruction qu'elles ont elles-même subi. Par ailleurs je pense que le sort fait aux femmes est si atroce que la majorité des femmes cherchent en permanence à se voiler la face, sinon beaucoup sombreraient dans le désespoir et la souffrance. Alors elles préfèrent penser que leur condition n'est pas si terrible, voir souhaitable ou encore qu'elle est méritée. Elles travaillent jour après jour à se forger mensonges et illusions. Voilà pourquoi ces femmes-là détestent les féministes et les traitent de tous les noms, parce que les discours féministes leur mettent le nez dans un tas de merde dont elle s'efforcent sans cesse de se détourner. Refuser de voir l'existence de la misogynie, c'est une stratégie de survie pour certaines femmes, néanmoins ça ne fera toujours que les perdre.
      Malgré tout, on ne doit pas nier la responsabilité qu'ont les collabos dans la perpétuation du viriarcat, car sans elles le système viriarcal ne pourrait pas perdurer. Ces femmes sont aussi coupables des violences misogynes que les agresseurs.
      Plus en rapport avec le sujet du billet : je me souviens avoir lu quelque part que le critère du génie est sa misogynie. De fait, aucune femme ne peut prétendre au génie... Quoique quelques unes essaient, en se conformant aux critères des dominants... Se désolidariser des autres femmes, pour obtenir individuellement une reconnaissance (peu sincère et passagère) de la part des tenants (mâles) du pouvoir (culturel, scientifique, économique, politique...) est également, aux yeux de certaines, une stratégie pour se faire une place en ce monde masculin.

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    5. Il y a aussi beaucoup de femmes qui prennent les hommes pour des victimes. C'est leur manière à elles de se donner du pouvoir : protéger les "faibles" qui selon elles sont du côté des hommes.
      Je viens de découvrir la consternante Elisabeth Levy... est-ce possible d'être aussi misogyne + adoratrice du mâle que cette femme ? Malheureusement il y en a plein d'autres qui pensent et agissent comme cette maquerelle !
      Car les collabos sont forcément des maquerelles dans un monde où la prostitution contamine toutes les relations humaines.

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    6. Cette idéologie s'appuie sur la théorie selon laquelle seuls les hommes sont des êtres humains, les femmes sont nées pour les servir, pour leur faire office de souffre-douleurs, esclaves, réceptacles à sperme, propriétés et reproductrices d'hommes. Selon cette théorie, une femme qui demande à être traitée humainement lèse donc un homme de son droit légitime de l'utiliser, la spolier et la torturer. C'est une inversion totale de la réalité. C'est comme les discours qui inverse la culpabilité entre les violeurs et les victimes. S'accorder des privilèges sur des êtres humains n'est pas un droit mais un crime, et la remise en cause de ces privilèges n'est pas une agression contre les dominants, mais la moindre des justices rendues à celles qui ont été spoliées de leurs droits humains afin que les hommes disposent de privilèges sur les femmes, elles qui sont les seules victimes !
      Les collabos doivent vraiment se haïr et se couper de toute émotion pour inverser à ce point la réalité !

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    7. non, non elles ne font que s'identifier aux dominants. C'est très inconfortable de s'avouer que l'on est dominée. Elles ne veulent pas assumer une position aussi inconfortable.
      Elles préfèrent trahir leur sexe.
      Et comme elles obtiennent la reconnaissance des machos pour leur bons et loyaux services, il n'y a pas de raison pour qu'elles s'arrêtent.
      Elles occultent juste les insultes qu'elles se prennent de ces mêmes machos sous couvert d'humour.
      Elles rigolent avec eux et tant pis pour le respect de soi. Mais c'est gratifiant.
      C'est comme les Noir.e.s qui n'ont rien contre le fait qu'on les appelle mal-blanchi.e.s de temps en temps et qui, même, en rigolent. Iels sont acceptés par les racistes et beaucoup moins confrontés au racisme.
      D'un côté, ils y gagnent.
      Étre discriminé.e.s est une position difficile.

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  3. La force de l'emprise psychologique est malheureusement terrifiante.

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  4. Quand on pense que Télérama a une femme directrice de rédaction et une autre directrice de publication et présidente du directoire ! Sursélectionnées selon de critères virils, elles donnent des gages de servitude aux hommes ?
    http://www.telerama.fr/qui-sommes-nous.php

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    1. Oui, comme ça si l'on se plaint, elles diront "mais on est des femmes ! Vous n'allez tout de même pas nous soupçonner de machisme !".
      Mettre les femmes "préparées" (lavées du cerveau) devant : c'est la nouvelle tactique des masculinistes pour nous neutraliser.

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  5. Je m'y attendais et je me demandais sous quelle forme cela viendrait. Je désapprouve totalement la position des hommes suivants:
    http://actu.orange.fr/france/les-343-salauds-enflamment-le-debat-sur-la-prostitution-afp_2644042.html

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  6. Antidote:
    http://christineld75.wordpress.com/2013/10/31/affaire-des-343-macho-salauds-revue-de-presse-et-de-tweets/

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  7. merci jfsadys ! Oui, il fallait tout à fait s'y attendre. Et à la sortie de "Causeur" ce sera la déferlante. Il y a sûrement d'autres écrivaillons en "mâle" de célébrité qui vont s'y ajouter. À commencer par toute l'équipe masculine de "Causeur" chez qui il n'y a pratiquement que des hommes.
    Pascal Bruckner, qui a écrit "Voleur de beauté" où des hommes enferment de jeunes et jolies filles dans des geôles souterraines uniquement dans le but de voir flétrir leur beauté qui les agressent.
    Cela lui va bien de signer un tel manifeste et il le fera.
    Sans parler de certains acteurs comme Arditi, "l'ami" des prostitués.
    Il faut s'attendre à un vrai barrage de bouclier pour le droit de violer contre de l'argent.
    Normal dans une culture du viol.
    Mais pas sûr qu'ils remportent la bataille.

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  8. Une vraie "levée de boucliers", je voulais dire.

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  9. "La misogynie est la base même de l'expression artistique" : entièrement d'accord.
    Quand je pense que quand j'étais jeune, c'était une fierté d'être cultivée !
    En fait la culture actuelle, ça fait pousser dans un système androcentré hiérarchisé aliénant :(

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    1. J'ai fait la même expérience. Avec quand même toujours ce point d'interrogation : mais où sont les femmes ?

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