à la recherche des femmes perdues dans l'espace-temps et autres aventures...
jeudi 30 juin 2011
"Elle ne se gêne pas"
Me voici de retour de mon périple. Un grand merci en passant aux blogueuses Hélo et gloup qui m'ont hébergée lors de mes passages. C'était très très sympa et je suis très très ravie de les connaître pour de vrai maintenant !
Sur mon parcours, j'avais programmé la visite du château de Blois, et voilà qu'en traversant les salles, j'avise un groupe d'enfants menés par un guide. Curieuse de connaître sa présentation des objets exposés, je l'écoute, placée un peu en retrait de la petite troupe.
Les enfants lèvent de temps en temps le doigt pour poser une question : "Oui, jeune homme ?" répond le guide. Les filles également lèvent le doigt (du moins au début) mais je n'entendrai jamais aucun "Oui, jeune fille ?" (on remarquera que sans vêtements genrés, le guide ne pourrait filtrer ainsi les sexes. A méditer).
Nous entrons dans la "galerie de la reine" au parterre de carrelage bleu, jaune, noir et blanc dans laquelle se dresse un trône, un lit et une rangée de bustes d'hommes. La reine n'y figure pas. Il s'agit de son mari et de deux de ses fils.
Mais de quelle reine s'agit-il ? De Catherine de Médicis, bien sûr ! Celle que des circonstances inattendues ont placées à la tête du royaume de France et qui a beaucoup marqué le XVIe siècle comme nous le savons assez.
J'entends le guide parler de son influence sous le règne de Charles IX : "Catherine de Médicis, c'est une femme qui aimait beaucoup le pouvoir, alors c'est elle qui avait le pouvoir MAIS ELLE N'AVAIT PAS LE DROIT, hein, ELLE N'AVAIT PAS LE DROIT (il élève le ton et martèle son propos non sans un petit coup d'oeil inquiet de mon côté...a t-il senti le regard ironique dont je le couve ? En effet que ne précise t-il pas que les mâles se sont arrogés TOUT le pouvoir et cela malgré le fait que contrairement à cette femme "éhontée", ils détestent cordialement l'exercer? (c'est de l'ironie)) Elle ne se gênait pas !" ajoute t-il.
Nous nous arrêtons devant un tableau représentant une scène de danse : la volta où la femme est portée par son partenaire (pour effectuer un saut un peu rock'n roll). Le guide explique que la scène est un peu coquine, un peu grivoise (il articule le terme). "Qu'est-ce que ca veut dire grivoise?" dit un garcon. Pour le guide ce terme est clair : un peu osée, répond-il.
Nous entrons dans une salle couverte de monogrammes représentant un H et deux D entrelacés. Le guide explique aux enfants que le roi Henri II avait une favorite, c'est à dire une maîtresse, précise t-il mais je ne sais pas si les enfants (comme pour "grivoise") sont plus avancés, qui s'appelait Diane. De ce fait on aurait dit que le H et les deux D signifiaient Henri et Diane, ajoute t-il, mais ca voulait dire Henri Deuxième. Or à la mort de Diane, Catherine de Médicis, "elle ne se gêne pas" (textuel !), fait prolonger les extrémités des D par des boucles les transformant en "C" comme Catherine.
[N'était-elle pas la femme légitime d'Henri II ? En quoi "ne se gêne t-elle pas ?". N'est ce pas plutôt Henri II qui ne se gêne pas d'avoir une maîtresse ? Mais non. Nous sommes en France, pays des Mazarine Pingeot, des DSK, des "grivoiseries". Les femmes que ca gêne et qui le font savoir c'est elles qui "ne se gênent pas" !].
Nous arrivons devant une vitrine avec un petit portrait de Catherine de Médicis. Question d'un garcon : "C'est un homme ?". Sans doute est-il trop surpris de voir une femme à l'honneur après tout ce qui a été dit auparavant. "Quoi ? répond le guide étonné, non, c'est une dame". Là, je me flatte de penser que ma présence n'y est peut-être pas tout à fait pour rien car voilà le guide qui se lance dans une entreprise de réhabilitation de Catherine. Elle aurait été détestée pour n'avoir pris parti ni pour les catholiques ni pour les protestants et on lui aurait attribué le massacre de la Saint-Barthélémy alors qu'il n'était question que d'éliminer quelques têtes. Mais le voilà qu'il détaille, à dessein peut-être, la manière dont elle a été traitée "...alors on a dit que c'était une empoisonneuse, une mégère...". Le nom de "mégère" frappe l'un des garcons (les filles sont de plus en plus distantes) : "C'est quoi une mégère ?". Réponse : "C'est une femme méchante" (ah bah oui évidemment quelle question !).
On passe dans le "studiolo", une pièce toute tapissée de lambris dans lesquels sont aménagés des placards secrets et invisibles qui s'ouvrent au moyen d'un ingénieux mécanisme. On aurait dit à tort, explique le guide, que Catherine de Médicis, sa réputation d'empoisonneuse aidant, y aurait caché ses poisons. Un garcon demande pourquoi Catherine de Médicis se servait-elle de poisons. Pour éliminer ses ennemis, dit le guide, c'était courant au XVIe siècle. "Mais c'est débile !" s'écrie le même garcon ou un autre. Petite douleur au creux de l'estomac. Qu'un gamin d'école primaire se permette ce jugement à propos d'une grande reine du passé en dit long sur le sexisme ambiant. Il a bien compris que le guide n'a aucune estime personnelle pour cette femme qui d'après lui "ne se gêne pas", rappelons-le, et pense visiblement se mettre ainsi en valeur. D'ailleurs le guide et son sourire entendu quand il parle de la "non empoisonneuse" Catherine de Médicis, ne trompe personne.
Il se met,d'ailleurs encore, à parler de l'étage supérieur (au dessus du studiolo) que Catherine, "elle ne se gêne pas", précise t-il pour la 3e fois, se serait attribuée sans vergogne aucune, alors que cet étage royal aurait du revenir au roi. Une excuse quand même : il ajoute en souriant ironiquement qu'étant vieille elle avait besoin de plus de confort.
Bon finalement ma présence ne le gêne pas autant que je me l'étais peut-être un peu trop vaniteusement figuré.
Je passe sur sa description de Henri III à qui on prêtait des "moeurs un peu curieuses" (sic), "Quoi?" demande un garcon. "Des moeurs un peu curieuses !, articule t-il sans préciser, mais Henri III avait une femme, Louise de Lorraine. Puis il se ravise. Mais attention : en ce temps les princes et les princesses, ils ne se mariaient pas par amour, hein, mais pour la politique. Henri III et Louise de Lorraine c'était un mariage d'amour parce que Henri aimait éperdument Louise de Lorraine". Il ne précise pas si Louise de Lorraine l'aimait. Or elle n'avait rien à dire. On ne repousse pas un roi. Je précise que des fillettes écoutaient tout cela mais le guide ne se souciait pas de l'impact de ses propos sur elles puisque pour lui, elles étaient invisibles.
Le voilà décrivant la guerre des 3 Henri : Henri de Guise, Henri de Navarre et Henri III. La question d'éliminer ses ennemis par le poison ou par l'épée, peu importe, n'est plus un sujet de rigolade, parce qu'il s'agit ici d'hommes, 'tention.
"C'est Guise qui devient de plus en plus puissant, explique t-il. Henri III, la seule solution qui lui reste, c'est d'assassiner son rival (Henri III ce n'est pas Catherine l'imposteuse qui usurpe le pouvoir masculin et qui empoisonne, ce qui n'est pas très top. Henri est "dans son droit" lui. Donc : hop on trouve normal d'assassiner et pas un garcon ne moufte). Henri de Guise qui se croit puissant (malheur aux vaincus, hein, c'est bien fait pour lui) [vient au rendez-vous du roi sans se méfier].....le guide, les enfants et moi un peu en retrait entrons dans la chambre du roi où Guise est mort assassiné au pied du lit. Le guide tout sourire : "C'était la petite surprise".
Un garcon inquiet : "C'est le plus puissant qui est mort ?" (sous entendu : l'intérêt dans la vie d'un homme, le garcon l'a compris, c'est d'être LE PLUS puissant), "Oui répond le guide qui a très bien compris le sens de la question, mais la guerre continue, hein" (sous-entendu : ses amis vont le venger, d'ailleurs, salle suivante, s'étale sur le mur la scène de l'assassinat de Henri III par le moine Jacques Clément, un sbire des Guise. Ainsi, même mort, LE PLUS puissant triomphe. Quant aux femmes, elles n'ont pas le droit d'être puissantes et si elles le prennent c'est qu'elles ne se gênent pas voilà ce qu'auront appris les enfants ce jour-là).
A la fin de la visite, je m'approche des enfants et leur demande leur âge. "Dix ans" me dit un garcon. "Et en quelle classe êtes-vous ?" demandé-je à une fille : "en CM1", me répond-elle.
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Je ne suis pas étonnée par la présentation contestable des faits historiques à Blois, mais par contre, une petite précision: Louise de Lorraine a passionément aimé son mari. Elle s'est battue le restant de ces jours après l'assassinat d'Henri III (de 1589 à 1601) pour la mémoire de son mari et la punition de ses meurtriers. Elle s'est battue mais a été bafouée par le successeur de son cher époux qui non seulement ne l'a pas écoutée, mais l'a chassée de Chenonceau (allez à Chenonceau admirer sa chambre tendue de noir en signe de deuil), pour confier le château à sa maîtresse, Gabrielle d'Estrées. Bref, ce sont de tristes personnages en comparaison de Louise, donc belle et bien amoureuse d'Henri III, avec qui elle forme un couple bien hors du commun dans la longue liste des mariages arrangés de l'ancien régime.
RépondreSupprimerA Anne : en fait, la présentation est surtout contestable dans son orientation sexiste qui ne tient nullement compte des sensibilités féminines et ne s'adresse qu'à un public de garcons. En ne mentionnant pas la réciprocité des sentiments, on est encore dans ce schéma-là. Pourquoi dire que "le roi" l'aimait éperdument et s'arrêter là sans parler des sentiments de Louise de Lorraine ? Cela changerait des répétitifs "elle ne se gêne pas" à propos de Catherine de Médicis !
RépondreSupprimerJe ne conteste pas que L. de L. ait sincèrement aimé Henri III mais il faut aussi se rappeler que les reines de France aimaient d'abord plaire à Dieu en se montrant des reines aimantes et exemplaires comme elles pensaient que Dieu souhaitaient qu'elles soient étant donné que la seule ambition qui leur était permise consistait à s'approcher le plus possible de l'état de sainteté. Et on peut dire sans trop se tromper qu'elles s'y appliquaient avec beaucoup de conviction.
Sinon : oui, c'est vrai, je n'ai pas visité Chenonceau :)
Bonjour Euterpe et heureux de vous "revoir" ..toujours aussi combative !
RépondreSupprimerCatherine de Médicis serait donc Catherine Hubscher, Maréchale Lefèbvre Duchesse de Dantzig, dite "Madame Sans-Gène" (1753-1835)? Comme c'est étrange !
...et le conditionnement sexiste commence bien avant le CM1, hélas....
RépondreSupprimerSur la question de la prise en compte des filles par les encadrant.e.s/enseignant.e.s, des études ont été menées en établissements scolaires révélant un déséquilibre criant entre filles et garçons en ce qui concerne sollicitations et interactions. Encore une manière d'intérioriser que l'on vaut moins (voire rien ) ...
RépondreSupprimerPS: moi aussi, j'ai été ravie de te connaître et de pouvoir discuter de vive voix de tout ce qui nous préoccupe :)
Vouip.
RépondreSupprimerCf notamment les travaux de Nicole Mosconi.
Exemple ici:
http://www.cafepedagogique.net/lesdossiers/Pages/2008/lalonde2008Mosconi.aspx
A coup de grisou : j'y ai juste pensé ce matin avant d'allumer mon ordi !! J'ai même failli retitrer mon article "Cathy Sans-Gêne" ou "La Madame Sans-Gêne de la Renaissance" ! :))))
RépondreSupprimerA mebahel : excellent lien, je l'ai lu avec beaucoup d'intérêt, merci ! J'en viens à me féliciter d'avoir suivi une scolarité sans mixité !
A Hélo : oui, j'ai trouvé que c'était visible sur leurs visages à ces gamines qui ne pouvaient s'exprimer + devaient avaler des propos misogynes à longueur de visite : traits allongés & expression mi angoissée mi absente.
Effrayant.
Oui, la misogynie vient de loin, nous précède, nous suit... Et encore tu n'as pas vu ce qu'on a vu sur les télés en France vendredi 1er juillet ! L'hystérie totale, rien que des hommes sur les plateaux... Un lien : http://www.lesnouvellesnews.fr/index.php/cafouillage/42-cafouillage/1218-le-vent-tourne-pour-dsk-les-mepris-des-femmes-reste
RépondreSupprimerA Hypathie : oui visiblement ils sont incorrigibles et en effet j'avais repéré ce lien. J'ai regardé la télé dans un minuscule hôtel de dernière catégorie (mais sympa) lundi soir à Marseille et bien sûr pas la moindre femme à l'horizon d'une sorte de débat politique avec le traître Besson comme invité d'honneur. "Ils ne se gênent vraiment pas" j'ai envie de dire !
RépondreSupprimerIl me semblait vous avoir laissé un commentaire ici, tiens... Mais j'y reviens parce que j'ai repensé à ce billet et à la question que je me pose à nouveau en le relisant : avez-vous gardé le silence ? interpellé le guide ? Comment avez-vous réagi ?
RépondreSupprimerA Tania : j'ai beaucoup hésiter à dire quelque chose devant tous les enfants, cela m'a beaucoup démangé mais je ne savais pas comment me présenter (en tant que quoi ?). J'ai eu peur d'une riposte sèche et hautaine bien machiste, justement. Je n'ai pas une voix très forte, je ne suis pas très grande et les réflexions féministes sont très vites ressenties comme ridicules ou agressives. C'est difficile. je n'ai pas eu le courage d'intervenir, pas eu envie de prendre des coups, je l'avoue.
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