samedi 25 septembre 2010

Irene di Spilimbergo, "bella pittrice"



Pourquoi saint Sébastien ? Parce que sainte Irène décrocha saint Sébastien du poteau de son supplice. Or Irene di Spilimbergo (née à Spilimbergo vers 1540) aurait peint cette merveilleuse fresque. Ce qui m'a fait hésiter à intituler cette entrée : Irène di Spilimbergo, fresqueuse.

Irène Spilimbergo fut initiée à la peinture par le Titien à la demande de son grand-père Paolo di Ponte, grand ami du peintre.

Elle se montra particulièrement douée mais n'eut pas le temps de produire grand chose dans sa courte vie car elle serait morte à l'âge de 19 ans (selon d'autres sources, à l'âge de 21 ans).

On ne retrouve pas grand chose d'elle mais qui sait si certaines oeuvres attribuées au Titien ne sont pas les siennes, en réalité.

Malgré cela, elle fut très célèbre et très célébrée en son temps. Une oeuvre en atteste qui fut publiée deux ans après sa mort, en 1561, par un certain Dionigio Atanagi, avec 279 poèmes en italien et 102 en latin, certains anonymes et d'autres attribués à de grands artistes comme Le Tasse et Le Titien, qui vantent les mérites d'Irène di Spilimbergo. Je cite ces vers de Lodovico Dolce traduit de l'italien en allemand puis (par moi) en francais, qui disent de l'artiste qu'elle :

"dépassait l'harmonie du ciel
Avec l'aiguille et le pinceau Pallas et Apelle,
Avec la douceur de ses yeux la déesse de l'Amour..."

ou

"Avec ses poèmes savants et son chant suave elle dépassait
Phoebus et les Muses : et si on avait comparé Zeuxis avec Irene,
on n'aurait accordé aucun prix à Zeuxis".

On en conclut avec ses exagérations, qu'Irène di Spilimbergo réalisait des oeuvres poétiques, chantait, brodait et peignait. Même si le Titien ne donne d'informations sur sa peinture que sur la facon dont il la lui enseigne.

Giulio Cesare Croce n'hésite pas à reprendre plus tard les mêmes louanges superfétatoires pour les dédier à Lavinia Fontana qui, d'après ce genre d'éloge peignait si bien qu'elle :

"fut l'égal d'Apollodoros, Zeuxis et Apelle
ainsi que Michel-Ange et d'autres artistes de même rang,
Le Corrège, le Titien et Raphael..."

Comment les deux peintresses qui, de leur vivant, ont déjà été accablées de la même sorte d'éloges, les ont-elles percus ? Comme de l'ironie ? De l'insulte ? De telles louanges donnent-elles à penser qu'on les considérait comme suffisamment orgueilleuses et crédules pour être incapable de percevoir l'aboutissement de l'art des anciens maîtres et pour se sentir stupidement confirmées par ces éloges-là dans leur vanité ?

Les femmes du XVIe siècle n'avaient pas seulement à lutter contre la jalousie ou la critique mais contre la louange exagérée de leurs talents. C'était une stratégie masculine servant à défendre l'inébranlabilité de ce qu'il considérait comme leur supériorité.
La louange galante n'avait pas pour but de stimuler les efforts de l'artiste féminine mais faisait office de chants de sirènes destinés à les stopper dans leur travail. Peu de femmes traitées de cette manière, furent capables de s'en défendre. Les hommes les désarmaient en leur accordant la victoire à titre grâcieux et en les enterrant sous les prix. Les femmes artistes étaient jetées ainsi de la course sans avoir pris conscience de leur défaite. Elles avaient donc beaucoup à craindre des louanges empoisonnées dont elles étaient vite l'objet.

Qu'on en juge : obtenir le titre de "bella pittrice", dont les soeurs Anguissola se virent également affublées, ne supposait pas, pour les dispensateurs de louanges, le talent seul, qui ne comptait pas plus que la beauté de l'artiste féminine et surtout que sa vertu. Talent + beauté et vertu donnaient droit au titre de "bella pittrice".
Qui se préoccupait donc de la beauté et de la vertu des peintres masculins ?

D'ailleurs le talent principal de la peintresse Irène di Spilimbergo aux yeux des hommes de son temps, fut sa virginité. Car la virginité était la qualité prisée au delà de toute autre chez la femme.
Comme le mentionne Wikipédia : Vasari la décrivait comme une « très belle vierge, littéraire, musicienne et talentueuse en dessin ».

8 commentaires:

  1. impressionnant ! (son talent, son destin, cette malédiction à être femme, en ces temps-là...), merci de nous faire profiter de tes recherches.

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  2. Une vie si courte et une telle réputation : ce devait être quelqu'un d'admirable, en effet. (Vous préférez vraiment "une peintresse" à "une peintre", Euterpe?)

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  3. Des louanges empoisonnées: ça ressemble fort à du sexisme bienveillant. Que d'énergie et de ruse pour évincer les femmes et leur désir de s'exprimer et d'exister ...

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  4. Je crois que beaucoup de femmes subissent encore ces fameuses "louanges", célébrant en particulier leur beauté pour mieux les désarçonner, les rendre douces, comme des moutons, les endormir quoi!
    Mais attention, quand une femme est consciente de la ruse, l'agressivité des hommes devient alors sans limites!

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  5. A lucia mel : tout le plaisir est pour moi !:-)

    A Tania : oui, on me demande souvent cela. On me dit : peintre n'est pas "genré" donc quelle est l'utilité de peintresse ? Or aujourd'hui j'ai été confronté à une phrase à traduire concernant le peintre Untel. Cela donnait : Untel avec les "Malerinnen" (peintre au féminin pluriel) Un'telle et Un'telle.... Qu'écrire ? "Untel avec les peintres Un'telle et Un'telle" ou "Les trois peintres Untel, Un'telle et Un'telle" ou "Untel et les "femmes peintres" Un'telle et Un'telle" ? C'est là que l'on voit que "peintre" n'est pas neutre du tout, mais masculin. Dans les autres langues le mot peintresse existe !

    A Heloise : oui, c'est cela, en fait : c'est du sexisme bienveillant. Voilà la forme qu'il prenait à la Renaissance. Il ne disparaît pas, il se contente de changer de forme.

    A Bettina : finalement c'est cela,la fameuse "galanterie" : de la flatterie légèrement humiliante qui vous marginalise. Il paraît que Mitterand était un spécialiste du genre.

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  6. "La louange galante n'avait pas pour but de stimuler les efforts de l'artiste féminine mais faisait office de chants de sirènes destinés à les stopper dans leur travail."
    Oui et cela existe toujours, c'est être posée sur un piédestal, position incommode s'il en est pour se mouvoir à sa guise...

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  7. Belle analyse : étouffer les femmes et leur travail sous des couronnes de fleurs et des tresses de louanges, nous faire suffoquer sous les compliments et... back to business (as usual), très bien vu. Et, si je peux me permettre, il y a encore pas mal d'endroits aujourd'hui où la principale qualité d'une femme, c'est sa virginité !

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  8. A mebahel : oui et c'est difficile au premier abord de comprendre ce qui vous arrive. Perturber l'adversaire...lui faire éprouver des sentiments contradictoires...qui l'empêche de penser clairement...méthodes qui ne sont pas sans rappeller celles préconisées par Machiavel.

    A Hypathie : merci pour le compliment. Tu as raison pour la virginité, mais j'ai quand même envie de dire que c'est surtout en France qu'on adore la "Sainte Vierge". Partout ailleurs la même s'appelle "Madonna". En Russie, on la nomme le plus souvent "Mère de Dieu". Ce qui est quand même réducteur, je l'admets.

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