Parmi les nonnes des couvents, celles qui passent à la Réforme sont les plus cultivées d'entre elles, les abbesses.
Philippe (autrefois prénom féminin) de Chasteigner, abbesse de Saint-Jean de Bonneval se convertit et s'enfuit à Genève avec huit de ses nonnes.
Charlotte de Bourbon (tante d'Henri IV), abbesse de la Jouarre, saute par-dessus les murs du couvent et s'exile hors de France.
Marie d'Entière, abbesse de Tournai, fait également le mur. Elle épouse le curé de Tournai, converti lui-aussi à la Réforme. Tous deux s'exilent à Strasbourg, ville particulièrement indépendante et intellectuellement très active, en ce temps. Le couple de "défroqués" aura trois filles. Devenue veuve, Marie épouse un compatriote de Guillaume Farel (théologien réputé de l'époque), de 19 ans plus jeune qu'elle et qui fut pasteur à Thonon-les-Bains avec lequel elle aura encore deux enfants. Le couple s'installent à Genève.
La "Première femme deschassée pour l'Évangile" dira t-on, sera alors autrice de la première publication littéraire protestante :
La guerre et délivrance de Genève (1536)*
Puis en mars 1539, Marie fait imprimer à Genève son Epistre tres utile ... dédiée à la reine Marguerite de Navarre (encore elle). La majeure partie des 1 500 exemplaires du pamphlet sont saisis par les autorités genevoises. Froment (le mari de la pamphlétaire) est convoqué devant le Conseil et l'imprimeur Jean Gérard est jugé et emprisonné quelques jours. Ce serait le premier texte victime de la censure réformée à Genève. Le texte est considéré comme une attaque contre les autorités genevoises du moment, en fait, il dénonce l'hypocrisie ambiante et la corruption du clergé genevois, réclame une participation active des femmes en matière de religion, affirme que hommes et femmes sont égaux quant à leur capacité à comprendre les textes sacrés. Une petite grammaire hébraïque accompagne cet ouvrage, rédigée par Jeanne, la fille de Marie.
Citations tirées de l'Epistre tres utile :
« [...] affin que désormais [les femmes] ne soyent en elles-mesmes ainsi tormentées et affligées, ains plustost resjouyes, consolées et esmeues à suyvir la vérité, qui est l'Évangile de Jésus-Christ. »
"[ce que Dieu a] à nous femmes révélés, non plus que les hommes ne le devont cacher et fouir dedans la terre [et il n'est pas défendu] de s'admonester l'une l'autre [à défaut de pouvoir prêcher publiquement...
J'espère que les] femmes ne seront plus tant mesprisées comme par le passé"
« Avons-nous deux Evangiles, l'un pour les hommes, et l'aultre pour les femmes? L'un pour les sages, et l'aultre pour les folz? Ne sommes-nous pas un en nostre Seigneur? Au nom duquel sommes-nous baptisez, de Pol ou d' Apollo, du Pape ou de Luther. »
— Marie Dentière, Espitre tres utile.
Marie d'Entière ne sépare pas l'exhortation à vivre selon l'Évangile de l'exhortation au mariage. Elle se flatte d'avoir quitté cette "chétive vie" (de nonne), d'avoir eu "cinq beaux enfants" et de vivre "salutairement".
Toutes les, plus tard, qualifiées d'"infectées luthériennes" usent des mêmes arguments, "louent l'estat de mariage et de liberté, alléguant que les Apostres avoient tous esté mariés et que St-Paul lui-même a dit que c'est bonne chose d'estre marié et deux en une chair".
Correctif 1er mai 2011 : "La Guerre et deslivrance de la ville de Genesve" a été attribuée à Marie d'Entière à la fin du XIXe siècle. Des analyses récentes indiqueraient toutefois qu'elle n'en serait pas l'autrice principale. (Remarque d'un(e) lecteur/trice anonyme). Je reste cependant réservée. Au cours de l'histoire, il est rare qu'une oeuvre attribuée à un homme le soit un jour à une femme. Curieusement l'inverse se produit constamment. Cela peut, par exemple, commencer comme ici par un doute sur la maternité exclusive de l'oeuvre...et avec beaucoup d'interprétations à apparences de preuves indiscutables aboutir à une paternité exclusive. Cela se voit tout le temps.
Quel hymne précurseur au mariage des prêtres!
RépondreSupprimerMerci pour les petits enfants de choeur...
Je trouve beaucoup de liberté dans la pensée de Marie (dont la sensualité, ce qui n'est pas le moindre de mes accords avec elle),indépendamment de mes différences avec elle sur le terrain de la religion où je pense que toute femme qui revendique la religion pour elle revendique sa mort psychique et corporelle.
D'ailleurs, n'a-t-elle pas dû se défroquer pour EXISTER?
C'est génial tes recherches Euterpe... elles apportent beaucoup au Monde. Il faut absolument faire une oeuvre de ton blog!
Merci
Bettina
A Bettina : eh oui mais à l'instar du capitalisme qui est indissociable du XXIe siècle, la religion est indissociable du XVIe siècle. Faire une oeuvre de mon blog ? Pourquoi pas...merci pour tes encouragements en tout cas !
RépondreSupprimerJe trouve que chaque fois que les femmes dont tu parles ont pu s'exprimer elles l'ont fait sous un angle féministe. Elles se sont servi de leur discipline (poésie, théologie, etc.) pour faire avancer la condition féminine.
RépondreSupprimerIl en va de même encore aujourd'hui où pas mal de plasticiennes se servent de leur talent pour dénoncer le machisme.
C'est bien mais c'est dommage aussi. Vivement le temps où les femmes pourront s'exprimer tout court et non pas dans l'urgence !!!
"il dénonce l'hypocrisie ambiante et la corruption du clergé genevois, réclame une participation active des femmes en matière de religion" : déjà, on convoque les femmes pour "réparer" les excès du pouvoir masculin jugé corrompu ; ça rappelle le remplacement manu militari des directeurs de banques islandaises par des femmes en 2008 après le crash financier !
RépondreSupprimerA Héloise : oui, tu as raison, mais cela leur porte en même temps préjudice parce que leur posture féministe les exclut du panthéon. Marie d'Ennetières (je parie que ses ennemis l'ont rebaptisée Dentière pour faire plus carnassière)ne compte pas au nombre de Réformateurs statufiés à Genève avec Farel, Calvin, Bèze et Knox. Pourtant elle a effectué un vrai travail de missionnariat, se rendant de couvent en couvent pour convaincre les nonnes catholiques de rejoindre la Réforme. Quel manque de gratitude de la part des bonshommes, comme d'hab' !
RépondreSupprimerA Hypathie : par contre Calvin s'est empressé vite fait de mettre un frein à ce genre de vélléité de la part des femmes. Je le cite : « Il n’y a rien qui convienne mieux aux femmes que la garde de la maison. Et pour cette cause les anciens figuraient la sage et honnête mère de famille par une tortue ou limace ; mais il y en a plus que trop qui sont malades du vice contraire. Car il n’y a rien où elles prennent plus de plaisir qu’à trotter ci et là ; et principalement, quand étant déchargées de famille, elles n’ont que faire en la maison. »
RépondreSupprimerJe ne me fais pas d'illusions sur Calvin (ni sur aucun curé d'ailleurs pour ne parler que d'UNE corporation !) : c'était juste pour signaler que lorsqu'ils ont besoin d'arguments, les femmes peuvent opportunément servir à arranger leurs bidons et ensuite, ils nous renvoient à la cuisine !
RépondreSupprimerA Hypathie : Exact ! Et une fois qu'ils les ont renvoyées au bercail, ils s'octroient encore la paternité des résultats obtenus par les femmes, tant ils sont honnêtes !
RépondreSupprimerChère Euterpe
RépondreSupprimerSur Marie d’Ennetières, à propos de la Guerre…, le spécialiste William Kemp précise : « En 1536 paraît à Genève La Guerre et deslivrance de la ville de Genesve, dont il ne nous reste que des copies manuscrites. Ce texte lui a été attribué à la fin du XIXe siècle mais des analyses récentes indiquent qu'elle n'en est vraisemblablement pas l'auteure principale. »
Par ailleurs, je vous signale quelques coquilles : le couple aura trois filles [...] et s’installe à Genève (plutôt que auront et s’installent, même s’ils sont deux) ; le texte est considéré (pas considérée) ; quant au féminin du mot auteur, auteure paraît suffisamment nouveau. Votre autrice est sûrement… un mot d’auteur! Enfin, il manque quelque chose au début du dernier paragraphe : Toutes les ???
J’espère que vous ne m’en voudrez pas de ces remarques amicales (je ne prendrais pas la peine de vous écrire si je n’appréciais pas beaucoup ce que vous faites).
PS : Merci d’avoir tenu compte de ma remarque sur Nicole Estienne.
A Anonyme : merci pour votre intérêt pour mon blog. J'ai apporté les corrections qui s'imposaient. Cette activité étant "volée" sur mon temps, je reconnais écrire parfois très vite sans me relire avec toute l'attention qui serait requise pour éviter les fautes. Je ne suis donc pas du tout fâchée de cette relecture attentive et de vos remarques.
RépondreSupprimerPar contre, je tiens à mon mot d'autrice ! :)
RépondreSupprimerPardon, j'ai oublié votre remarque sur : "Toutes les, plus tard, infectées luthériennes". J'aimerais bien changer l'ordre des termes mais c'est Marie d'Entière qui s'exprime elle-même comme cela, au lieu d'écrire "Plus tard, toutes les infectées luthériennes" !
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