"Ainsi s'en alla ce malheureux homme sans plus y revenir, et fut cette pauvre fille longtemps en la tribulation que vous avez ouïe. Mais sa mère, qui sur tous ses enfants l'aimait, voyant qu'elle n'avait plus de nouvelle d'elle, s'en émerveilla fort et dit à un sien fils, sage et honnête gentilhomme, qu'elle pensait que sa fille était morte, ainsi que les religieuses, pour avoir la pension annuelle, lui dissimulaient ; le priant, en quelque façon que ce fût, de trouver moyen de voir sadite soeur. Incontinent il s'en alla à la religion, en laquelle on lui fit des excuses accoutumées ; c'est qu'il y avait trois ans que sa soeur ne bougeait du lit. Dont il ne se tint pas content, et leur jura que s'il ne la voyait, il passerait par dessus les murailles et forcerait le monastère. De quoi elles eurent si grande peur qu'elle lui amenèrent sa soeur à la grille, laquelle l'abbesse tenait de si près qu'elle ne pouvait dire à son frère chose qu'elle n'entendit. Mais elle, qui était sage, avait mis par écrit tout ce qui est écrit dessus, avec mille autres inventions que ledit prieur avait trouvées pour la décevoir, que je laisse à conter pour la longueur. Si ne veux-je oublier à dire que, durant que sa tante était abbesse, pensant qu'il fut refusé par sa laideur, fit tenter soeur Marie par un beau et jeune religieux, espérant que, si par amour elle obéissait à ce religieux, après il la pourrait avoir par crainte. Mais dans un jardin où le jeune religieux lui tint propos avec gestes si déshonnêtes que j'aurais honte de les remémorer, la pauvre fille courut à l'abbesse qui parlait au prieur, criant : « Ma mère, ce sont diables en lieu de religieux, ceux qui vous viennent visiter ! » Et à l'heure le prieur, qui eut la grande peur d'être découvert, commença à dire en riant : sans faute, ma mère, soeur Marie a raison ! » et en prenant soeur Marie par la main, lui dit devant l'abbesse : « J'avais entendu que soeur Marie parlait fort bien et avait le langage si a la main que l'on l'estimait mondaine. Et pour cette occasion je me suis contraint, contre mon naturel, lui tenir tous les propos que les hommes mondains tiennent aux femmes, ainsi que j'ai trouvé par écrit – car d'expérience j'en suis ignorant comme le jour que je fus né – ; et en pensant que ma vieillesse et laideur lui faisaient tenir propos si vertueux, j'ai commandé à mon jeune religieux de lui en tenir de semblables, à quoi vous voyez qu'elle a vertueusement résisté. Dont je l'estime si sage et vertueuse que je veux que, dorénavant, elle soit la première après vous et maîtresse des novices, afin que son bon vouloir croisse toujours de plus en plus en vertu. »
(à suivre)
Le portrait est une oeuvre du photographe néerlandais Hendrik Kerstens né en 1956.
Les portraits sont vraiment craquants !
RépondreSupprimerIls ont dû sacrement rire en déposant ces voiles insolites sur la tête de cette charmante novice.
fa#
A fa# : en fait, c'est le père, le photographe et la fille, son modèle. Oui, je crois aussi qu'ils ont du bien rigoler ! Ils doivent bien s'entendre tous les deux !
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