"Quand le prieur estima avoir une telle prise sur soeur Marie, s'en alla en la religion, où l'abbesse faite à sa poste ne le contredisait en rien. Et là commença de vouloir user de son autorité de visiteur, et fit venir toutes les religieuses l'une après l'autre en une chambre, pour les ouïr en forme de visitation. Et quand ce fut au rang de soeur Marie qui avait perdu sa bonne tante, il commença à lui dire : « Soeur Marie, vous savez de quel crime vous êtes accusée, et que la dissimulation que vous faites d'être tant chaste ne vous a de rien servi, car on connaît bien que vous êtes assez le contraire. » Soeur Marie lui répondit d'un visage assuré : « Faites-moi venir celui qui m'accuse, et vous verrez si devant moi il demeurera en mauvaise opinion. » Il lui dit : « Il ne nous faut autre preuve, puisque le confesseur a été convaincu. » Soeur Marie lui dit : « Je le pense si homme de bien qu'il n'aura point confessé une telle mensonge. Mais quand ainsi serait, faites-le venir devant moi et je prouverai le contraire de son dire. » Le prieur, voyant qu'en nulle sorte ne la pouvait étonner, lui dit : « Je suis votre père qui désire sauver votre honneur ; pour cette cause, je remets cette vérité à votre conscience, à laquelle j'ajouterai foi. Je vous demande et conjure, sur peine de péché mortel, de me dire en vérité, assavoir mon si vous étiez vierge quand vous fûtes remises céans. » Elle lui répondit : « Mon père, l'âge de cinq ans que j'avais doit être seul témoin de ma virginité. » - « Or bien donc, ma fille, dit le prieur, depuis ce temps là avez-vous point perdu cette fleur ? » Elle lui jura que non, et que jamais n'y avait trouvé empêchement que de lui. A quoi il dit qu'il ne le pouvait croire, et que la chose gisait en preuve : « Quelle preuve, dit-elle, vous en plaît-il faire ? » - « Comme je fais aux autres, dit le prieur, car ainsi suis-je visiteur des âmes, aussi suis-je visiteur des corps. Vos abbesses et prieures ont passé par mes mains : vous ne devez craindre que je visite votre virginité. Parquoi jetez-vous sur le lit, et mettez le devant de votre habillement sur votre visage. » Soeur Marie lui répondit par colère : « Vous m'avez tant tenu de propos de la folle amour que vous me portez, que j'estime plutôt que vous me voulez ôter ma virginité que la visiter. Parquoi entendez que jamais je n'y consentirai ! » Alors il lui dit qu'elle était excommuniée de refuser l'obédience de Sainte religion, et que si elle ne s'y consentait il la déshonorerait en plein chapitre et dirait le mal qu'il savait d'entre elle et le confesseur. Mais elle, d'un visage sans peur, lui répondit : « Celui qui connaît le coeur de ses serviteurs m'en rendra autant d'honneur devant lui que vous ne sauriez faire de honte devant les hommes ; parquoi, puisque votre malice en est juste là, j'aime mieux qu'elle parachève sa cruauté envers moi que le désir de son mauvais vouloir, car je sais que Dieu est juste juge. » A l'heure il s'en alla assembler tout le chapitre et fit venir devant lui à genoux soeur Marie, à laquelle il dit par un merveilleux dépit : « Soeur Marie, il me déplaît que les bonnes admonitions que je vous ai données ont été inutiles en votre endroit, et que vous êtes tombée en tel inconvénient que je suis contraint de vous imposer pénitence contre ma coutume : c'est que, ayant examiné votre confesseur sur aucun crime à lui imposé, m'a confessé avoir abusé de votre personne au lieu où les témoins disent l'avoir vu. Parquoi, ainsi que je vous ai élevé en état honorable et maîtresse des novices, j'ordonne que vous soyez mise non seulement la dernière de toutes, mais mangeant à terre devant toutes les soeurs pain et eau, jusqu'à ce que l'on connaisse votre contrition suffisante d'avoir grâce. » Soeur Marie, étant avertie par une de ses compagnes qui entendait toute son affaire que, si elle répondait chose qui déplût à son prieur, il la mettrait in pace, c'est à dire en chartre perpétuelle, endura cette sentence, levant les yeux au ciel, priant Celui qui a été sa résistance contre le péché vouloir être sa patience contre sa tribulation. Encore défendit le prieur de Saint-Martin que, quand sa mère ou ses parents viendraient, l'on ne la souffrit de trois ans parler à eux, ni écrire, sinon lettres faites en communauté".
(à suivre)
Le portrait est une oeuvre du photographe néerlandais Hendrik Kerstens né en 1956.
Oui, je confirme, comme Hypathie, que ces photos sont magnifiques, et dignes des grands peintres flamands...
RépondreSupprimerquelle histoire... on comprend bien que d'être femme, ou d'être inférieur, c'est pas de la tarte... si j'ose dire. On aurait bien envie, d'ailleurs, de lui en mettre une, de tarte, au prieur.
RépondreSupprimerA Bettina : je ne me lasse pas moi-même de les regarder...et tu auras sans doute remarqué la serviette de table en guise de coiffe ! Petite chose mais grand effet...
RépondreSupprimerA lucia mel : mais il est intouchable comme un réalisateur de cinéma célèbre dont on a beaucoup parlé ces derniers temps, Polanski, pour ne pas le nommer, et qui comme lui, ment, ruse, intrigue, tâche d'éveiller la pitié, trouve tous moyens bons pour violer une jeune fille puisque tel est son bon plaisir.
C'est fou comme ces saints hommes d'église sont intéressés par ce qu'il se passe sous les jupes des femmes !
RépondreSupprimerA Hypathie : en effet, et cela n'est pas prêt de changer, j'en ai peur.
RépondreSupprimerA Emelire : on harcèle les femmes au niveau de l'espace publique qui serait réservé aux hommes, paraît-il, mais, au niveau de l'espace privé, dans bien des cas, ce n'est pas mieux.
Pour reprendre ta dernière phrase, c'est Dworkin qui disait qu'il n'y a pas de lieu sûr pour les femmes sur Terre: dedans ou dehors c'est pareil ...
RépondreSupprimerA Héloise : je le savais déjà un peu mais la "nouvelle" de Marguerite de Navarre m'a fait sursauter parce qu'il s'agit d'un couvent c-à-d une sorte de cages à femmes où la virginité est censée être sauvegardée comme le bien le plus précieux de la Terre et je découvre quoi ? L'hypocrisie et l'abus y règnent encore plus qu'ailleurs !
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