dimanche 10 octobre 2010

Les aventures extraodinaires de Marie Héroët, épisode 3


"Et quand il vit que ses propos ne la pouvaient gagner, lui en va bailler d'un autre, disant : « Hélas, ma fille, il faut que je vous déclare mon extrême nécessité : c'est que j'ai une maladie que tous les médecins trouvent incurable, sinon que je me réjouisse et me joue avec quelque femme que j'aime bien fort. De moi, je ne voudrais pour mourir faire un péché mortel ; mais quand l'on viendrait jusque là, je sais que simple fornication n'est nullement à comparer à pécher d'homicide. Parquoi, si vous aimez ma vie, en sauvant votre conscience de crudélité, vous me la sauverez. » Elle lui demanda quelle façon de jeu il entendait faire. Il lui dit qu'elle pouvait bien reposer sa conscience sur la sienne, et qu'il ne ferait chose dont l'une ni l'autre fût chargée. Et pour lui demander le commencement du passe-temps qu'il demandait, la vint embrasser et essayer de la jeter sur un lit. Elle connaissant sa méchante intention, se défendit si bien de paroles et de bras, qu'il n'eut pouvoir de toucher qu'à ses habillements. A l'heure, quand il vit toutes ses inventions et efforts être tourné en rien, comme un homme furieux, et non seulement hors de conscience, mais de raison naturelle, lui mit la main sous la robe, et tout ce qu'il put toucher des ongles égratigna en telle fureur que la pauvre fille, en criant bien fort, de tout son haut tomba à terre, tout évanouie. Et à ce cri entra l'abbesse dans le dortoir où elle était, laquelle, étant à vêpres, se souvint avoir laissé cette religieuse avec le beau-père, qui était fille de sa nièce. Dont elle eut un scrupule en sa conscience, qui lui fit laisser vêpres et aller à la porte du dortoir écouter ce que l'on faisait. Mais, oyant la voix de sa nièce, poussa la porte que le jeune moine tenait. Et quand le prieur vit venir l'abbesse, en lui montrant sa nièce évanouie lui dit : « Sans faute notre mère, vous avez grand tort que vous ne m'avez dit les conditions de soeur Marie ! Car, ignorant sa débilité, je l'ai fait tenir debout devant moi et, en la chapitrant, s'est évanouie comme vous voyez. » Il la firent revenir avec du vinaigre et autres choses propices, et trouvèrent que de sa chute elle était blessée à la tête. Et quand elle fut revenue, le prieur, craignant qu'elle contât à sa tante l'occasion de son mal, lui dit à part : « Ma fille, je vous commande sur peine d'inobédience et d'être damnée, ce que vous n'ayez jamais à parler de ce que je vous ai fait ici, car entendez que l'extrémité d'amour m'y a contraint. Et puisque je vois que vous ne voulez aimer, je ne vous en parlerai jamais que cette fois, vous assurant que, si vous me voulez aimer, je vous ferai élire abbesse de l'une des trois meilleures abbayes de ce royaume. » Mais elle lui répondit qu'elle aimait mieux mourir en chartre perpétuelle que d'avoir jamais autre ami que Celui qui était mort pour elle en la croix, avec lequel elle aimait mieux souffrir tous les maux que le monde pourrait donner que contre lui avoir tous les biens ; et qu'il n'eût plus à lui parler de ces propos, ou elle le dirait à la mère abbesse, mais qu'en se taisant elle se tairait. Ainsi s'en alla ce mauvais pasteur lequel, pour se montrer tout autre qu'il n'était et pour encore avoir le plaisir de regarder celle qu'il aimait, se retourna vers l'abbesse, lui disant : « Ma mère, je vous prie, faites chanter à toutes vos filles un Salve Regina en l'honneur de cette Vierge ou j'ai mon espérance. » Ce qui fut fait, durant lequel ce renard ne fit que pleurer, non d'autre dévotion que de regret, qu'il n'avait de n'être venu au dessus de la sienne. Et toutes les religieuses, pensant que ce fût d'amour à la Vierge Marie, l'estimaient un saint homme. Soeur Marie, qui connaissait sa malice, priait en son coeur de confondre celui qui déprisait tant la virginité".

(à suivre)

Le portrait est une oeuvre du photographe néerlandais Hendrik Kerstens né en 1956.

3 commentaires:

  1. ...j'attends le dénouement, sans me faire beaucoup d'illusions, mais en espérant quand même que l'Affreux sera rélégué dans un enfer diablolique!

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  2. Bonsoir Euterpe,
    j'aime beaucoup ce sac plastique en guise de voile qui amène à réfléchir par association d'idées (ou d'images).
    Savez-vous où l'on peut voir l'oeuvre de ce photographe ?
    Merci d'avance.

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  3. A Colo : Continuará...il n'a pas encore déballer toutes les affreusetés de son sac...

    A idefix : ces photos se promènent dans le monde. Elles ont été exposées à New York l'année dernière, à Londres cette année...mais on peut surtout les voir en Hollande ou aux grandes rencontres de la photographie. Sinon sur Internet. Je mettrai un lien à la fin du récit, promis ! :-)

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