Anne de Graville a donc adapté sous forme de rondeaux le poème d'Alain Chartier qui a été repris au XIXe siècle par le poète anglais John Keats "La belle dame sans merci" ce qui veut dire la dame sans pitié (pour le pauvre amoureux).
En voici un extrait dont j'ai adapté l'orthographe au nôtre.
Cette oraison de coeur dite à merveilles
Vint a Venus jusque au fond des oreilles
Et tout à coup vit le temple éclairci
Qui signe était d'avoir don de sa merci
Et qu'elle avait bien sa prière ouie
Dont Pallamon en pensée en jouie
La [re]mercia puis se leva joyeux
Se promenant par ce lieu somptueux
Et apercoit que peinte y est jeunesse
Plaisir désir secret espoir liesse
Que d'un accord de toute leur puissance
Faisaient honneur à dame jouissance
Cupidon fut dessus une fontaine
Les yeux bandés qui de main incertaine
Flèches tirait à plusieurs dommageuses
En faisant plaie à chacun dangereuses
Deux flèches eut aigües par les pointes
Et deux aussi par grandes douceurs ointes
Quatre en avait fort bien enferrées d'or
Qui tira hors de son riche trésor
Dont il tirait et rendait ses sujets
Trop mieux tenus que nul oiseau par geai
Près de ses pieds y avait fait de bois
Un bel étui qu'on appelle un carquois
Bien peu usé car on n'y touchait guère
Flèches y eut d'une étrangère manière
Longues seraient et fâcheuses à décrire
Dont n'est besoin de plus autant dire
Hors qu'ils étaient à la turque envenimées
Par quoi faisaient leurs plaies ennimées
Et n'en peut on le frappe secourir
Qu'il n'ait le mal toujours jusqu'au mourir
Mais Cupidon eut de sa mère un don
Pour les brûler toutes de son brandon
Ce qui fut fait se montrait la peinture
Hors une flèche oubliée d'aventure
Mais connaissant l'heure très opportune
Tout doucement la dérobait Fortune
Qui la vendit depuis à Cupidon
Puis l'essayer sur la reine Didon*
Si la trouva de si semblable vertu
Et tel effet que au premier avait eu
Bien l'approuva Sapho* Iseult* Phyllis*
Sigismonde Felice Amordelis
La dame aussi qu'on nommait d'Escallot*
Qui trop aima messire Lancelot
Et cette la née en Northumberland
Pour qui Phébus fit mainte chose grande
Oenone* Aulde Laodamie*
Et Sollomine de gloriant amie
Ixiphile Sorbine et Thessala
Qui en mourant Absalon acolla
De telle mort fut prise et succombée
La vertueuse dame et très belle Thisbé*
Semblablement en fut par trop friande
La belle dame et sage Clariande
Aussi mourut pour Lion trop amer
Celle qui fut comtesse de Gomer
Et si puis bien avec elle mettre
De Jéromine outrée pour Silvestre
Puis la nièce au bon duc de Bourgogne
Que son ami fit mourir sans vergogne
Autres assez dont laisse le propos
Car leur esprit sont au port de repos
Depuis ce temps antique et de long âge
Nous aurons eu en France l'avantage
Que cette flèche a peu exécuté
Car maint amant d'aimer s'est rebuté
Comme on m'a dit avant le sein trépas
S'ils ont bien fait je ne le mécrois pas
En fait si la dame est sans pitié, c'est quand même un peu parce qu'elle a en tête une longue liste d'héroines amoureuses dont l'épopée sentimentale s'est très mal terminée.
Exemple : Didon, Sapho, Phyllis, Thisbé, Laodamie, Oenone qui se suicident, Iseult qui meurt de chagrin, la dame d'Escallot qui "meurt d’amour" pour Lancelot indifférent à sa personne (et je ne connais pas les autres héroines du poème mais "Clariandre aussi mourut pour Lion" et "la dame de Bourgogne" est assassinée, etc...).
Et si Benoîte Groult a écrit "La touche étoile" un roman ou l'amoureuse n'aurait pas un "destin tragique" c'est bien parce que voilà une chose tout à fait exceptionnelle dans la littérature !
C'est magnifique même si j'ai beaucoup de mal avec l'ancien français ...
RépondreSupprimerMerci pour cet article !
Beau poême en tous cas ! Une anecdote qui n'a pas grand chose à voir (quoique...) : je me demande si je n'ai pas rencontré une de tes lectrices en allant renouveler ma recharge de Quo Vadis chez mon libraire favori. Une dame rejoint deux jeunes gens en brandissant un gros livre de poche comme un trophée qu'elle vient de trouver : elle leur montre le livre avec enthousiasme avant de rejoindre la caisse pour payer ; je n'ai pas entendu ce qu'elle disait mais j'ai vu la couverture ; je te le donne en mille, c'était l'Heptameron de Marguerite de Navarre !
RépondreSupprimerOui, très beau poème d'une époque où l'amour était une maladie parfois mortelle, oui, mais peut-on vraiment parler d'un "destin tragique" le fait de tomber amoureux et de ne pas être correspondu? Ne serait-ce pas plutôt celui d'être mariée de force? Enfin, j'imagine qu'il y a un peu de tout, tu me le diras peut-être Euterpe. Bonne semaine à toi.
RépondreSupprimerA Karine : merci pour ton enthousiasme ! Ne t'en fait pas : je ne comprends pas toujours tout moi-même...mais j'essaie !
RépondreSupprimerA Hypathie : ouah ! Si je fais des émules de Marguerite de Navarre, quelle joie ! Merci pour l'anecdote, elle me donne la pêche !
A Colo : le destin tragique, ce sont tous ces suicides féminins, assassinats, morts de chagrin, etc.. mais il est vrai que dans certaines des histoires citées, le destin tragique est partagé : Pyrame se suicide avec Thisbé, Tristan meurt aussi de chagrin, Osée (l'homme) sauve Gomer (la femme) de l'esclavage et je n'ai pas encore réussi à identifier toutes les histoires. En ce qui concerne le mariage forcé, on ne le sait pas, mais il était interdit et, avec des preuves, pouvait être annulé par le pape, seulement, chez les princes, on mariait souvent les enfants au berceau et on les habituait à se considérer d'avance comme un couple. Et puis aujourd'hui il y a aussi parfois des mariages volontairement "forcés" par ceux qui ont peur d'être seuls. C'est peut-être un phénomène consécutif aux anciens mariages forcés...Ah mais tu me donnes une nouvelle matière à réflexion, là, Colo ! Merci et bonne semaine à toi aussi!
Oh, aimer... comme c'est risqué (que l'on soit homme ou femme), mais en France, comme ailleurs, les amants renoncent ("car maint amant d'aimer s'est rebuté") et préfèrent ne pas s'aventurer en ces terres où la mort accompagne leurs pas, on se range des voitures... dans une vie confortable et rassurante (nos enfants la poursuivront après nous, se dit-on). On s'endort gentiment... dans l'ennui de vivre.
RépondreSupprimerA lucia mel : oui comme tu le dis si bien, tout le monde n'a pas le courage qui convient à l'amour et beaucoup préfère s'abstenir d'aimer plutôt que de s'exposer à souffrir...
RépondreSupprimerOh lala, Mesdames, quelle vision pessimiste de l'amour.
RépondreSupprimerEt c'est moi qui vous le dis (! ?) [veuve depuis 15 ans, et jeune mamie ! ]
fa#
A Fa# : n'empêche que je pense avec Victor Hugo qu'il n'y a que l'amour qui vaille quelque chose !
RépondreSupprimerAh bon, vous me rassurez Euterpe !
RépondreSupprimerfa#