samedi 9 octobre 2010

Les aventures extraodinaires de Marie Héroët, épisode 2


"Un jour, allant visiter un couvent près de Paris qui se nomme Gif, advint qu'en confessant toutes les religieuses en trouva une nommée Marie Héroët, dont la parole était si douce et agréable qu'elle promettait le visage et le coeur être de même. Par quoi seulement pour l'ouïr fut ému d'une passion d'amour qui passait toutes celles qu'ils avait eu aux autres religieuses. Et en parlant à elles, se baissa fort pour la regarder, et aperçut la bouche si rouge et si plaisante qu'il ne se put tenir de lui hausser le voile pour voir si les yeux accompagnaient le demeurant ; ce qu'il trouva, dont son coeur fut rempli d'une ardeur si véhémente, qu'il perdit le boire et le manger, et toute contenance, combien qu'il la dissimulait. Et quand il fut retourné en son prieuré, il ne pouvait trouver repos, parquoi en grande inquiétude passait les jours et les nuits, en cherchant les moyens comme il pourrait parvenir à son désir et faire d'elle comme il avait fait de plusieurs autres. Ce qu'il craignait d'être difficile, parce qu'il la trouvait sage en paroles et d'un esprit si subtil qu'il ne pouvait avoir grande espérance. Et d'autre part se voyait si laid et si vieux qu'il délibéra de ne lui en parler point, mais de chercher à la gagner par crainte. Parquoi, bientôt après, s'en retourna audit monastère de Gif, auquel lieu se montra plus austère qu'il n'avait jamais fait, se courrouçant à toutes les religieuses, reprenant l'une que son voile n'était pas assez bas, l'autre qu'elle haussait trop la tête, et l'autre qu'elle ne faisait pas bien la révérence en religieuse. En tous ces petits cas se montrait si austère que l'on le craignait comme un Dieu peint en jugement. Et lui, qui avait les gouttes, se travailla tant de visiter les lieux réguliers que, environ l'heure de vêpres, heure par lui apostée, se trouva au dortoir. L'abbesse lui dit : « Père révérend, il est temps de dire vêpres. » A quoi il répondit : « Allez, mère, allez ! Faites-les dire, car je suis si las que je demeurerai ici, non pour reposer, mais pour parler à soeur Marie, de laquelle j'ai ouï très mauvais rapport : car l'on m'a dit qu'elle caquette comme si c'était une mondaine. » L'abbesse, qui était tante de sa mère, le pria de la vouloir chapitrer et la lui laissa toute seule, sinon un jeune religieux qui était avec lui. Quand il se trouva seul avec soeur Marie, commença à lui lever le voile et lui commander qu'elle le regardât. Elle lui répondit que sa règle lui défendait de regarder les hommes. « C'est bien, ma fille, lui dit-il, mais il ne faut pas que vous estimiez qu'entre nous religieux soyons hommes. » Parquoi soeur Marie, craignant faillir par désobéissance, le regarda au visage : elle le trouva si laid qu'elle pensa faire plus de pénitence que de péché à le regarder. Le beau père, après lui avoir dit de plusieurs propos de la grande amitié qu'il lui portait, lui voulut mettre la main au tétin, qui fut par elle repoussé comme elle devait. Et fut si courroucé qu'il lui dit : « Faut-il qu'une religieuse sache qu'elle ait des tétins ? » Elle lui dit : « Je sais que j'en ai, et certainement que vous ni autre n'y toucherez point, car je ne suis pas si jeune et ignorante que je n'entende bien ce qui est péché et ce qui ne l'est pas !"

(à suivre)

Le portrait est une oeuvre du photographe néerlandais Hendrik Kerstens né en 1956.

2 commentaires:

  1. quelle photo ! on comprend tout à fait l'émoi de celui qui se trouve face à une telle beauté.

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  2. A lucia mel : un émoi de père, en fait, car il a pris sa fille pour modèle. Tous ses portraits sont ceux de sa fille. Je vais en présenter d'autres parce que ce photographe s'inspire directement de la peinture flamande du XVIe/XVIIe siècle.

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