samedi 30 octobre 2010

La belle dame sans mercy

Anne de Graville a donc adapté sous forme de rondeaux le poème d'Alain Chartier qui a été repris au XIXe siècle par le poète anglais John Keats "La belle dame sans merci" ce qui veut dire la dame sans pitié (pour le pauvre amoureux).

En voici un extrait dont j'ai adapté l'orthographe au nôtre.


Cette oraison de coeur dite à merveilles

Vint a Venus jusque au fond des oreilles

Et tout à coup vit le temple éclairci

Qui signe était d'avoir don de sa merci

Et qu'elle avait bien sa prière ouie

Dont Pallamon en pensée en jouie

La [re]mercia puis se leva joyeux

Se promenant par ce lieu somptueux

Et apercoit que peinte y est jeunesse

Plaisir désir secret espoir liesse

Que d'un accord de toute leur puissance

Faisaient honneur à dame jouissance

Cupidon fut dessus une fontaine

Les yeux bandés qui de main incertaine

Flèches tirait à plusieurs dommageuses

En faisant plaie à chacun dangereuses

Deux flèches eut aigües par les pointes

Et deux aussi par grandes douceurs ointes

Quatre en avait fort bien enferrées d'or

Qui tira hors de son riche trésor

Dont il tirait et rendait ses sujets

Trop mieux tenus que nul oiseau par geai

Près de ses pieds y avait fait de bois

Un bel étui qu'on appelle un carquois

Bien peu usé car on n'y touchait guère

Flèches y eut d'une étrangère manière

Longues seraient et fâcheuses à décrire

Dont n'est besoin de plus autant dire

Hors qu'ils étaient à la turque envenimées

Par quoi faisaient leurs plaies ennimées

Et n'en peut on le frappe secourir

Qu'il n'ait le mal toujours jusqu'au mourir

Mais Cupidon eut de sa mère un don

Pour les brûler toutes de son brandon

Ce qui fut fait se montrait la peinture

Hors une flèche oubliée d'aventure

Mais connaissant l'heure très opportune

Tout doucement la dérobait Fortune

Qui la vendit depuis à Cupidon

Puis l'essayer sur la reine Didon*

Si la trouva de si semblable vertu

Et tel effet que au premier avait eu

Bien l'approuva Sapho* Iseult* Phyllis*

Sigismonde Felice Amordelis

La dame aussi qu'on nommait d'Escallot*

Qui trop aima messire Lancelot

Et cette la née en Northumberland

Pour qui Phébus fit mainte chose grande

Oenone* Aulde Laodamie*

Et Sollomine de gloriant amie

Ixiphile Sorbine et Thessala

Qui en mourant Absalon acolla

De telle mort fut prise et succombée

La vertueuse dame et très belle Thisbé*

Semblablement en fut par trop friande

La belle dame et sage Clariande

Aussi mourut pour Lion trop amer

Celle qui fut comtesse de Gomer

Et si puis bien avec elle mettre

De Jéromine outrée pour Silvestre

Puis la nièce au bon duc de Bourgogne

Que son ami fit mourir sans vergogne

Autres assez dont laisse le propos

Car leur esprit sont au port de repos

Depuis ce temps antique et de long âge

Nous aurons eu en France l'avantage

Que cette flèche a peu exécuté

Car maint amant d'aimer s'est rebuté

Comme on m'a dit avant le sein trépas

S'ils ont bien fait je ne le mécrois pas


En fait si la dame est sans pitié, c'est quand même un peu parce qu'elle a en tête une longue liste d'héroines amoureuses dont l'épopée sentimentale s'est très mal terminée.

Exemple : Didon, Sapho, Phyllis, Thisbé, Laodamie, Oenone qui se suicident, Iseult qui meurt de chagrin, la dame d'Escallot qui "meurt d’amour" pour Lancelot indifférent à sa personne (et je ne connais pas les autres héroines du poème mais "Clariandre aussi mourut pour Lion" et "la dame de Bourgogne" est assassinée, etc...).

Et si Benoîte Groult a écrit "La touche étoile" un roman ou l'amoureuse n'aurait pas un "destin tragique" c'est bien parce que voilà une chose tout à fait exceptionnelle dans la littérature !

jeudi 28 octobre 2010

Anne de Graville, poétesse et traductrice

Réécriture de la première traduction (Le livre de Thezeo) de la Teseida de Giovanni Boccaccio.
C'est le beau rommant des deulx amans Palamon et Arcita et de la belle et saige Emylia translaté de viel langaige et prose en nouveau et rime par ma damoiselle Anne de Graville La Malet dame du Boys Maslesherbes du commandement de la royne.
A la royne
Si j'ay empris ma souveraine dame
comme ignorante et peu sçavante femme
ozer a vous la ou gist tout sçavoir
faire present de ce que ay peu avoir...

Ainsi commence une adaptation de la Thésaide de Boccace traduit de l'italien par Anne Malet de Graville (1490? - 1540?).

Anne de Graville est née vers 1490, au château de Marcoussis. Son père, Louis Malet de Graville est amiral de France, sous Anne et Pierre de Beaujeu, et sous Louis XII. Anne de Graville a accès à l'importante collection de manuscrits et d'imprimés de son père, une des librairies les plus riches à cette époque, et devient elle-même collectionneuse, notamment de quatre manuscrits de Christine de Pizan, auxquels elle a apporté quelques corrections et ajouts. On retrouve ses devises sur plusieurs de ses manuscrits: musas natura, lacrymas fortuna [la nature m'a donné les muses, la fortune les larmes], "J'en garde un leal" et "Garni d'un leal", ces deux dernières étant des anagrammes de son nom.
Entre les années 1506-1510, elle épouse clandestinement son cousin maternel, Pierre de Balsac d'Entraigues. Son père la déshérite et les biens et revenus de Pierre de Balsac sont saisis à la requête de l'amiral. Les époux tombent dans la misère. Anne de Graville donne naissance à onze enfants. Une de ses filles, Jeanne, épousera Claude d'Urfé (héritier de la riche librairie), qui sera ambassadeur de France au Concile de Trente et grand-père d'Honoré d'Urfé, l'auteur célèbre de L'Astrée.
Anne de Graville rentre comme dame d'honneur au service de la reine Claude, première épouse du roi François Ier. C'est cette reine qui, entre 1515 et 1524, commande les deux oeuvres connues d'Anne de Graville. Plus tard, vers 1530, Anne de Graville se lie d'amitié avec Marguerite de Navarre et, à l'instar de celle-ci, s'intéresse non seulement aux questions religieuses mais héberge plusieurs exilés réformés.
La première oeuvre que compose Anne de Graville est un ensemble de soixante et onze rondeaux inspirés de La belle dame sans mercy d'Alain Chartier (1424). C'est le biographe Carl Wahlund qui a découvert ces rondeaux et les a identifiés comme étant l'oeuvre d'Anne, qui n'avait pas signé ce travail de son nom, mais de sa devise maintenant bien connue: "Ien garde un leal". Ces rondeaux sont le résultat d'un remaniement visant à rendre plus explicite et moins ambiguë la position d'Alain Chartier, dans le débat pro et contra au sujet de la femme. En effet, celui-ci avait causé une controverse avec son poème, interprété aussi bien comme une défense que comme une condamnation de la dame vertueuse.
Le succès de cette première oeuvre pourrait avoir valu à la poétesse une commande de "translation" du roman épique de Boccace, intitulé Teseida delle nozze d'Emilia et composé vers 1340.
L'adaptation d'Anne de Graville s'intitule Le beau romant des deux amans Palamon et Arcita et de la belle et saige Emilia et date des environs de 1521. Il en existe aujourd'hui six copies manuscrites différentes. Cette épopée-roman raconte comment deux amis valeureux, Palamon et Arcita, en viennent à se battre pour l'amour d'une dame vertueuse, Emylia.
Anne a connu une certaine popularité de son vivant, principalement à la cour. Mais elle est rapidement tombée dans l'oubli, et ce jusqu'à la fin du XIXe siècle. Au tournant du siècle, le philologue suédois Carl Wahlund (1846-1913) a suscité plusieurs travaux sur l'importance historique de l'écrivaine; au XXe siècle, les études traductologiques et féministes ont permis à de nouveaux lecteurs de découvrir son oeuvre.
(source)

(Heureusement qu'un suédois s'est intéressé à elle....)

mardi 26 octobre 2010

Les balbutiements de la pornographie

Du début du XVIe siècle au Concile de Trente, on va peindre beaucoup de Marie Madeleine nue. En fait, tous les prétextes seront bons pour peindre des femmes nues dont les cheveux défaits ajouteront à l'érotisme.

Voici un texte extrait de "La nudité et la gloire" de Pascal Bonafoux sur le site de Clio, à propos du nu dans l'art à la Renaissance.

(...) dans les années 1480, Botticelli [peut] concevoir pour Laurent le Magnifique le premier nu de l'histoire de l'Europe chrétienne qui ne soit pas associé au péché [et j'ajouterais : le premier nu teinté d'érotisme], La Naissance de Vénus, œuvre imprégnée autant par la philosophie néoplatonicienne que par les Métamorphoses et les Fastes d'Ovide. Qui plus est, ce symbolisme nuptial tient alors lieu de justification aux princes qui commandent d'autres Vénus. Dans ce siècle qui n'est pas chaste – il est le siècle des « folastries » de Ronsard, de l'éclat de rire d'un Rabelais qui assure que les « vases spermatiques » sont « comme un gâteau feuilleté » et qu'il ne faut « point mourir les couilles pleines » – les princes de l'Église se passent d'une telle justification pour les nus qu'ils commandent… Et qu'importe que l'on ait à faire à des sculptures ou des peintures. En 1527, l'Arétin, auteur de sonnets pornographiques, écrit à Federigo Gonzague de Mantoue pour le rassurer : « Jacopo Sansovino, avec son rare talent, ornera votre chambre d'une Vénus si vraie et si vivante qu'elle emplira de concupiscence l'âme de tout spectateur ». Presque vingt ans plus tard, en septembre 1544, l'Arétin prévient encore le cardinal Alessandro Farnese que « Titien a presque terminé, sur commande de Monseigneur, un nu qui risquerait d'éveiller le démon même chez le cardinal San Silvestro. Le nu que Monseigneur a vu à Pesaro dans les appartements du duc d'Urbino est une religieuse à côté d'elle. » Et dix ans plus tard, à propos d'une autre Vénus, un autre visiteur de l'atelier du Titien qui vient de voir une toile prête à partir pour Madrid, écrit : « Je vous jure, Monseigneur, qu'il n'existe pas d'homme perspicace qui ne la prenne pour une femme en chair et en os. Il n'existe pas d'homme assez usé par les ans, ni d'homme aux sens assez endormis, pour ne pas se sentir réchauffé, attendri et ému dans tout son être. »

Comme conclusion à cet extrait, je rappelle que si les femmes étaient "autorisées" à poser nues, il leur était absolument interdit d'étudier l'anatomie et de peindre elle-même des personnes dévêtues, sous peine de mort.

samedi 23 octobre 2010

Attention écoutez on me nie !


Cette Marie Madeleine dite de Burgos qui se trouve donc dans la cathédrale de Burgos en Espagne, est attribuée à un certain Giovan Pietro Rizzoli dit Gianpietrino, élève de Léonard de Vinci, le peintre spécialisée dans les représentations picturales codées, ainsi que les écrits. Mais Léonard ne fut pas le seul à s'entourer de précautions pour exprimer des idées indisposant l'Église. Il y avait, à la même époque, l'astrologue Nostradamus, dont toute l'oeuvre est codée, parce qu'il s'intéressait comme beaucoup mais un peu plus peut-être, aux hiéroglyphes égyptiens, soit aux religions antérieures au christianisme. Quant à ceux comme le médecin et astrologue pro-féministe Corneille Agrippa, le médecin Vésale, et autres "intellectuels" qui n'avaient pas envie de coder leur travail et en avaient les moyens, s'installaient à Strasbourg ou à Bâle, par exemple, où la liberté d'expression était relativement grande. Ailleurs, on risquait de se retrouver en prison comme Renée d'Este, Bonaventure des Périers et Clément Marot, pendu comme Antoine Augureau ou tout bonnement brûlé vif comme Louis de Berquin, Étienne Dolet et Michel Servet.

Ce tableau est assez étrange. Marie-Madeleine semble cacher ses seins mais pourrait aussi bien tenir un enfant dont on verrait le sommet du crâne.
Ce tableau date du début du XVIe siècle. Antérieurement à lui, on trouve des représentations de Marie Madeleine enceinte de Rogier van der Weyden et de Lucas Cranach, qui, pour ce dernier, représente Jésus tenant Marie Madeleine enceinte, par la main, les doigts entrecroisés. Possible que ce genre de scène ne convenait plus à l'Église au temps de la Réforme, après que Luther ait fustigé le célibat des prêtres et prôné le mariage de tous les ecclésiastiques sans exception.

Quant à l'inscription qui orne le cadre, il contient en haut à gauche où les lettres sont inversées, le message caché suivant :

ATS EA OID NEGA MI ATS


Entre les ATS, on peut lire ceci : "ea oid nega mi" ce qui signifie "attention écoutez on me nie". Comprendre : on nie la femme.
C'est aussi le message caché dans la fameuse Cène de Léonard de Vinci que le roman policier de Dan Brown "Da Vinci Code" a célébré. Marie-Madeleine est menacé d'un couteau tandis qu'une main sous sa gorge fait le geste de la lui trancher.
Ce portrait ressemble assez à la Marie Madeleine du Titien qui, elle-même, évoque Agnès (de "agnos" = chaste), sainte qui selon la légende, aurait été jetée nue dans un lupanar mais dont les cheveux auraient aussitôt miraculeusement poussé pour dissimuler son corps. Là encore : est-ce un encore un message subliminal pour dire que Marie-Madeleine ne fut pas plus une prostituée qu'Agnès, la martyre chrétienne ? Mystère, mystère...la femme innombrable incarne t-elle ce trouble dissociatif de l'identité propre aux femmes parce que sans image, parce que anonymes, parce que niées ?

D'autres Marie-Madeleine de Gianpietrino (autre nom de Gian Pietro Rizzoli) ici, du Titien ici, de Veronese ici, de Guido Reni ici et dans un style officiel.

Son cas empire avec le temps de van der Weyden en 1435 ici à Daumier en 1848

Les 12 apôtresses

Puisque j'y suis, je vais faire l'inventaire des apôtresses de Jésus le Nazaréen :

Véronique
Jeanne Chusa ou de Cuza dite la Myrophore
Marie Jacobé (mère de Jacques le Petit)
Salomé
Marie Salomé (femme de Zébédée)
Salomé de Jérusalem
Suzanne et Anne (nièces de Joseph)
Maroni de Naim
Dina la Samaritaine
Mara la Suphanite
Marthe


La parité parfaite ! 12 hommes & Jésus + 12 femmes & Marie-Madeleine !

J'en profite pour rementionner l'interdiction de cette affiche si subversive pour le patriarcat arrogant et gynophobe montrant la Cène au féminin.
(J'aime bien les commentaires de la personne qui l'a publié sur son blog).

Hein? Mais c'est de l'art ! Il n'y a personne pour attaquer les censeurs-là ? Comme lors de la pub représentant une femme toutes jambes en l'air dans un caddy ?????
Ah ben non , les censeurs sont des évêques... faites votre signe de croix, s.v.p, et baissez la tête.
Plus bas.
Et cessez de marmonner là-bas au fond.

vendredi 22 octobre 2010

L'Évangile selon Marie

Vos réactions sur l'article "Ne me touche pas" m'ont beaucoup surprise et je me suis mise à explorer la toile à la recherche de ce qu'elle dit de Marie Madeleine. J'ai lu en particulier plusieurs passages d'un ouvrage dont je vous donne un extrait qui me paraît intéressant :



Lors de la restauration d´une église italienne, Sant'Andrea di Montiglio Monferrato on a retrouvé des fresques dans lesquelles quelqu'un(e) a représenté ce baiser de Marie-Madeleine à Jésus, ci-dessus.

"(...) Il apparaît donc que l'image facile d'une pécheresse repentie ou d'une prostituée au grand coeur dissimule la présence puissante et encore vive de la Dame initiatrice ou de la Grande Déesse, combattue par les tenants d'un monothéisme très masculin. Tel est „le grand débat dont furent faites grosses guerres“ et qui hélas persiste de nos jours, mettant aux prises de facon inégale le corps de la femme et les hommes de Dieu.

Les hommes des religion, prêtres ou dévots, se sentent toujours gênés (gehennés) par la présence féminine, par un corps aussi séduisant que trouble et incontrôlable, et ils n'ont de cesse de statuer sur lui, contre lui : ils réglementent la coiffure et la tenue vestimentaire, ils décrètent des tabous liés au sang ou à la maternité, et bien sûr ils interdisent toute prêtrise à une engeance de démones. Mais il y a toujours, dans ces rigides assemblées, une Madeleine échevelée, splendide, qui survient pour faire chavirer la raison, pour donner soif de beauté et d'Amour, il y a toujours, passante anonyme, une femme pour murmurer que sans le corps et sans le désir rien n'existerait et que l'éveil spirituel peut passer aussi par l'étreinte amoureuse...

Le dernier avatar de ce „grand débat“ consiste à qualifier avec mépris de „féministes“ des propos qui ne visent aucune revendication particulière mais cherchent à rappeler les faveurs de la vie, la beauté de l'amour et la joie des sens, des propos qui plutôt qu'agressifs se voudraient ruisselants, parfumés, mélodieux comme une Madeleine s'approchant de Jésus.

Les sources agnostiques

Heureusement, on a retrouvé d'autres textes qui parlent de Marie de Magdala et qui ont miraculeusement survécu aux autodafés et condamnations des Pères de l'Église. Ces évangiles déclarés apocryphes, gnostiques, donnent de Myriam une tout autre image. Il n'est plus question ici d'une femme de mauvaise vie, d'une possédée, mais au contraire d'une figure lumineuse et salvatrice. Écrit sur Papyrus, et acheté au Caire par un savant à la fin du XIXe siècle, le Codex de Berlin contient quatre écrits de longueur inégale, datant du IIe siècle de l'ère chrétienne, dont l'Évangile selon Marie. (...)"


Extrait du chap. "La passante considérable" de Jacqueline Kelen, in
"Marie-Madeleine: figure mythique dans la littérature et les arts", par Alain Montandon. Un livre passionnant d'après les pages accessibles sur le web.

dimanche 17 octobre 2010

Ne me touche pas

On compte parmi les sujets bibliques volontiers traités par les femmes en matière de peinture, la scène où le Christ apparaît à Marie-Madeleine après sa résurrection et lui dit "Noli me tangere" (ne me touche pas).



"Noli me tangere" de Lavinia Fontana




"Noli me tangere" de Fede Galizia


Contrairement à son apparence, c'est une image qui glorifie en quelque sorte la femme parce qu'elle témoigne de l'importance qui lui est accordée par Jésus. En effet, il choisit l'une d'entre elle, et non pas l'un de ses apôtres masculins, pour aller porter la Bonne Nouvelle de son retour dans le monde des vivants.
Marie-Madeleine se prosterne d'autant plus bas qu'elle est honorée de la tâche insigne qui lui est confiée. Cependant Jésus refuse qu'elle le touche pour vérifier que sa chair est palpable. Elle doit le croire sur parole.
Maintenant si on émet l'hypothèse murmurée de plus en plus fort, qu'en fait, Marie-Madeleine était la femme de Jésus, d'aucun affirmant qu'il n'aurait su être célibataire, en ce temps-là personne ne l'ayant été, la scène du "Noli me tangere" prend alors un tout autre sens. On ne s'étonne plus qu'il apparaisse en premier lieu à son épouse, et s'il ne veut pas qu'elle le touche, c'est parce que les privautés sont à remettre à plus tard (:)), la mission de prévenir les apôtres passant en premier. A moins que ce ne soit un message machiste du style : "ne me touche pas avec ton humanité profonde, femme, je veux rester un monstre froid et ne voir en toi qu'un objet", ce qui expliquerait peut-être bien des dérives actuelles...

Donc Lavinia Fontana et Fede Galizia se sont plues toutes deux à représenter cette scène pour rappeler que Jésus himself a confié une mission importante à une femme : annoncer rien moins que la Résurrection du Christ.



De nombreux hommes (Le Titien, Le Corrège, etc) ont aussi représenté la scène intitulée traditionnellement "Noli me tangere".
Je retiens cet étrange tableau de Pontormo où Jésus, censé dire "Ne me touche pas" à Marie-Madeleine, lui touche lui-même les seins !
Cette représentation masculine de la scène a peut-être pour message : "Ne me touche pas, c'est moi qui prend l'initiative" ou "qu'est ce que c'est que ces protubérances sur le devant de ton corps ?"

On aura compris que je m'amuse. Néanmoins le talent pour la peinture ne signifie pas que le peintre plane loin au-dessus de ces obsessions ou terreurs refoulées, de ces rêves ou de ces désirs. Même en peignant le Christ et Marie-Madeleine, on peu parler de soi !

samedi 16 octobre 2010

Marie Heroët, Paula Kerstens et Marguerite de Navarre


Marie Héroët, était la soeur du poète, humaniste, gynophile et ami de Marguerite de Navarre, Antoine Héroët qui, comme d'autres poètes de l'époque, était entrenu par cette reine, protectrice de la libre pensée, de la littérature et écrivaine elle-même.

Marie Héroët n'étant pas n'importe qui, eut la chance insigne d'être crue, alors que dans ce genre d'affaire c'est toujours la parole de l'un contre celle de l'autre, et que ce prieur semble avoir été considéré comme une sorte de Dieu sur Terre, dans et hors du couvent, même par Marguerite.
On se demande quel enfer ont du vivre toutes celles qui, de plus obscures naissances que la fille du poète et plus naive que la soeur Marie, se sont fait avoir par l'ignoble personnage sans pouvoir en parler puisque violées signifiaient souillées et donc à mettre au rebut, en quelque sorte. Elles ont été enterrées vives dans le silence.

Marguerite de Navarre, bien que très pieuse, s'imagina très bien le cas de harcèlements sexuels SOUS COUVERT DE PIÉTÉ.

Tenter de faire faire des choses nuisibles pour elle-même à quelqu'un au nom de la foi, ne date pas d'hier. Cela dit la foi n'est pas seule à se faire en permanence instrumentaliser par des petits malins très vicelards : le "gauchisme", le féminisme et l'art sont aussi dans ce cas.

Qu'est ce que Paula Kerstens a de commun avec Marie Héroët ? Marie Héroët est entrée au couvent à l'âge de cinq ans, âge auquel Paula Kerstens a commencé à poser pour son père. La similitude s'arrête là. Ce n'est pas grand chose et c'est beaucoup. Marie Héroët a commencé tôt à servir "Dieu le Père" et Paula Kerstens à servir (juste de modèle mais c'est déjà un don de soi non négligeable) son propre père qui, pour une petite fille représente également "Dieu".
Un site qui parle des photos d'Hendrik Kerstens pour les amatrices(teurs).

Quant à Marguerite de Navarre, son boulot de reine consistait à contrôler et à "réformer" les couvents. Ce qui ne veut pas dire ici les convertir à la religion protestante mais y apporter des réformes. Au XVIe siècle, la "réforme" va dans le sens de l'Observance.
On comprend que le prieur de Saint-Martin n'y est pas du tout, dans l'"Observance" !

jeudi 14 octobre 2010

Les aventures extraodinaires de Marie Héroët, épisode 7


"Cet acte ici, et plusieurs autres, fit ce bon religieux, durant trois ans qu'il fut amoureux de la religieuse. Laquelle, comme j'ai dit, bailla par la grille à son frère tout le discours de sa piteuse histoire. Ce que le frère porta à sa mère, laquelle, toute désespérée, vint à Paris où elle trouva la Reine de Navarre, soeur unique du roi, à qui elle montra ce piteux discours en lui disant : « Madame, fiez-vous une autre fois en vos hypocrites ! Je pensais avoir mis ma fille aux faubourgs et chemins de paradis, et je l'ai mise en celui d'enfer, entre les mains des pires diables qui y puissent être. Car les diables ne nous tentent, s'il ne nous plaît, et ceux-ci nous veulent avoir par force où l'amour défaut ! » La Reine de Navarre fut en grande peine, car entièrement elle se confiait en ce prieur de Saint-Martin, à qui elle avait baillé la charge des abbesses de Montivilliers et de Caen, ses belles-soeurs. D'un côté le crime si grand lui donna telle horreur et envie de venger l'innocence de cette pauvre fille qu'elle communiqua au chancelier du roi, pour lors légat en France, de l'affaire. Et fut envoyé quérir le prieur de Saint-Martin, lequel ne trouva nulle excuse, sinon qu'il avait soixante-dix ans. Et parlant à la Reine de Navarre, la pria sur tous les plaisirs qu'elle lui voudrait jamais faire, et pour récompense de tous ses services et de tous ceux qu'il avait désir de lui faire, qu'il lui plût de faire cesser le procès, et qu'il confesserait que soeur Marie Héroët était une perle d'honneur et de virginité. La Reine de Navarre, oyant cela, fut tant émerveillée, qu'elle ne sut que lui répondre, mais le laissa là, et le pauvre homme tout confus se retira en son monastère, où il ne voulut plus être vu de personne, et ne vécut qu'un an après. Et soeur Marie Héroët, estimée comme elle devait par les vertus que Dieu avait mises en elle, fut ôtée de l'abbaye de Gif où elle avait eu tant de mal, et faire abbesse, par le don du Roi, de l'abbaye de Gy près de Montargis, laquelle elle réforma. Et vécut comme celle qui était pleine de l'esprit de Dieu, le louant toute sa vie de ce qu'il lui avait plu lui redonner son honneur et repos".

Fin

Le portrait est une oeuvre du photographe néerlandais Hendrik Kerstens né en 1956.

mercredi 13 octobre 2010

Les aventures extraodinaires de Marie Héroët, épisode 6


"Ainsi s'en alla ce malheureux homme sans plus y revenir, et fut cette pauvre fille longtemps en la tribulation que vous avez ouïe. Mais sa mère, qui sur tous ses enfants l'aimait, voyant qu'elle n'avait plus de nouvelle d'elle, s'en émerveilla fort et dit à un sien fils, sage et honnête gentilhomme, qu'elle pensait que sa fille était morte, ainsi que les religieuses, pour avoir la pension annuelle, lui dissimulaient ; le priant, en quelque façon que ce fût, de trouver moyen de voir sadite soeur. Incontinent il s'en alla à la religion, en laquelle on lui fit des excuses accoutumées ; c'est qu'il y avait trois ans que sa soeur ne bougeait du lit. Dont il ne se tint pas content, et leur jura que s'il ne la voyait, il passerait par dessus les murailles et forcerait le monastère. De quoi elles eurent si grande peur qu'elle lui amenèrent sa soeur à la grille, laquelle l'abbesse tenait de si près qu'elle ne pouvait dire à son frère chose qu'elle n'entendit. Mais elle, qui était sage, avait mis par écrit tout ce qui est écrit dessus, avec mille autres inventions que ledit prieur avait trouvées pour la décevoir, que je laisse à conter pour la longueur. Si ne veux-je oublier à dire que, durant que sa tante était abbesse, pensant qu'il fut refusé par sa laideur, fit tenter soeur Marie par un beau et jeune religieux, espérant que, si par amour elle obéissait à ce religieux, après il la pourrait avoir par crainte. Mais dans un jardin où le jeune religieux lui tint propos avec gestes si déshonnêtes que j'aurais honte de les remémorer, la pauvre fille courut à l'abbesse qui parlait au prieur, criant : « Ma mère, ce sont diables en lieu de religieux, ceux qui vous viennent visiter ! » Et à l'heure le prieur, qui eut la grande peur d'être découvert, commença à dire en riant : sans faute, ma mère, soeur Marie a raison ! » et en prenant soeur Marie par la main, lui dit devant l'abbesse : « J'avais entendu que soeur Marie parlait fort bien et avait le langage si a la main que l'on l'estimait mondaine. Et pour cette occasion je me suis contraint, contre mon naturel, lui tenir tous les propos que les hommes mondains tiennent aux femmes, ainsi que j'ai trouvé par écrit – car d'expérience j'en suis ignorant comme le jour que je fus né – ; et en pensant que ma vieillesse et laideur lui faisaient tenir propos si vertueux, j'ai commandé à mon jeune religieux de lui en tenir de semblables, à quoi vous voyez qu'elle a vertueusement résisté. Dont je l'estime si sage et vertueuse que je veux que, dorénavant, elle soit la première après vous et maîtresse des novices, afin que son bon vouloir croisse toujours de plus en plus en vertu. »

(à suivre)

Le portrait est une oeuvre du photographe néerlandais Hendrik Kerstens né en 1956.


mardi 12 octobre 2010

Les aventures extraodinaires de Marie Héroët, épisode 5


"Quand le prieur estima avoir une telle prise sur soeur Marie, s'en alla en la religion, où l'abbesse faite à sa poste ne le contredisait en rien. Et là commença de vouloir user de son autorité de visiteur, et fit venir toutes les religieuses l'une après l'autre en une chambre, pour les ouïr en forme de visitation. Et quand ce fut au rang de soeur Marie qui avait perdu sa bonne tante, il commença à lui dire : « Soeur Marie, vous savez de quel crime vous êtes accusée, et que la dissimulation que vous faites d'être tant chaste ne vous a de rien servi, car on connaît bien que vous êtes assez le contraire. » Soeur Marie lui répondit d'un visage assuré : « Faites-moi venir celui qui m'accuse, et vous verrez si devant moi il demeurera en mauvaise opinion. » Il lui dit : « Il ne nous faut autre preuve, puisque le confesseur a été convaincu. » Soeur Marie lui dit : « Je le pense si homme de bien qu'il n'aura point confessé une telle mensonge. Mais quand ainsi serait, faites-le venir devant moi et je prouverai le contraire de son dire. » Le prieur, voyant qu'en nulle sorte ne la pouvait étonner, lui dit : « Je suis votre père qui désire sauver votre honneur ; pour cette cause, je remets cette vérité à votre conscience, à laquelle j'ajouterai foi. Je vous demande et conjure, sur peine de péché mortel, de me dire en vérité, assavoir mon si vous étiez vierge quand vous fûtes remises céans. » Elle lui répondit : « Mon père, l'âge de cinq ans que j'avais doit être seul témoin de ma virginité. » - « Or bien donc, ma fille, dit le prieur, depuis ce temps là avez-vous point perdu cette fleur ? » Elle lui jura que non, et que jamais n'y avait trouvé empêchement que de lui. A quoi il dit qu'il ne le pouvait croire, et que la chose gisait en preuve : « Quelle preuve, dit-elle, vous en plaît-il faire ? » - « Comme je fais aux autres, dit le prieur, car ainsi suis-je visiteur des âmes, aussi suis-je visiteur des corps. Vos abbesses et prieures ont passé par mes mains : vous ne devez craindre que je visite votre virginité. Parquoi jetez-vous sur le lit, et mettez le devant de votre habillement sur votre visage. » Soeur Marie lui répondit par colère : « Vous m'avez tant tenu de propos de la folle amour que vous me portez, que j'estime plutôt que vous me voulez ôter ma virginité que la visiter. Parquoi entendez que jamais je n'y consentirai ! » Alors il lui dit qu'elle était excommuniée de refuser l'obédience de Sainte religion, et que si elle ne s'y consentait il la déshonorerait en plein chapitre et dirait le mal qu'il savait d'entre elle et le confesseur. Mais elle, d'un visage sans peur, lui répondit : « Celui qui connaît le coeur de ses serviteurs m'en rendra autant d'honneur devant lui que vous ne sauriez faire de honte devant les hommes ; parquoi, puisque votre malice en est juste là, j'aime mieux qu'elle parachève sa cruauté envers moi que le désir de son mauvais vouloir, car je sais que Dieu est juste juge. » A l'heure il s'en alla assembler tout le chapitre et fit venir devant lui à genoux soeur Marie, à laquelle il dit par un merveilleux dépit : « Soeur Marie, il me déplaît que les bonnes admonitions que je vous ai données ont été inutiles en votre endroit, et que vous êtes tombée en tel inconvénient que je suis contraint de vous imposer pénitence contre ma coutume : c'est que, ayant examiné votre confesseur sur aucun crime à lui imposé, m'a confessé avoir abusé de votre personne au lieu où les témoins disent l'avoir vu. Parquoi, ainsi que je vous ai élevé en état honorable et maîtresse des novices, j'ordonne que vous soyez mise non seulement la dernière de toutes, mais mangeant à terre devant toutes les soeurs pain et eau, jusqu'à ce que l'on connaisse votre contrition suffisante d'avoir grâce. » Soeur Marie, étant avertie par une de ses compagnes qui entendait toute son affaire que, si elle répondait chose qui déplût à son prieur, il la mettrait in pace, c'est à dire en chartre perpétuelle, endura cette sentence, levant les yeux au ciel, priant Celui qui a été sa résistance contre le péché vouloir être sa patience contre sa tribulation. Encore défendit le prieur de Saint-Martin que, quand sa mère ou ses parents viendraient, l'on ne la souffrit de trois ans parler à eux, ni écrire, sinon lettres faites en communauté".

(à suivre)

Le portrait est une oeuvre du photographe néerlandais Hendrik Kerstens né en 1956.

lundi 11 octobre 2010

Les aventures extraodinaires de Marie Héroët, épisode 4


"Ainsi s'en alla cet hypocrite à Saint-Martin, auquel lieu ce méchant feu qu'il avait en son coeur ne cessa de brûler jour et nuit, et de chercher toutes les inventions possibles pour venir à ses fins. Et pour ce que sur toutes choses il craignait l'abbesse, qui était femme vertueuse, il pensa le moyen de l'ôter de ce monastère. S'en alla vers Madame de Vendôme, pour l'heure demeurant à La Fère où elle avait édifié un couvent de saint Benoît nommé le Mont d'Olivet. Et comme celui qui était le souverain réformateur, lui donna à entendre que l'abbesse du Mont d'Olivet n'était pas assez suffisante pour gouverner une communauté, la bonne dame le pria de lui en donner une autre qui fut digne de cet office. Et lui, qui ne demandait autre chose, lui conseilla de prendre l'abbesse de Gif pour la plus suffisante qui fût en France. Madame de Vendôme incontinent l'envoya quérir, et lui donna la charge de son monastère du Mont d'Olivet. Le prieur de Saint-Martin, qui avait en sa main les voix de toute la religion, fit élire à Gif une abbesse à sa dévotion. Et après cette élection, il s'en alla audit lieu de Gif essayer encore une autre fois si, par prière ou par douceur, il pourrait gagner soeur Marie Héroët. Et voyant qu'il n'y avait nul ordre, retourné désespéré à son prieuré de Saint-Martin, auquel lieu, pour venir à sa fin et pour se venger de celle qui lui était trop cruelle, de peur que son affaire fût éventée, fit dérobée secrètement les reliques dudit prieuré de Gif, de nuit. Et mit à sus au confesseur de léans, fort vieil et homme de bien, que c'était lui qui les avaient dérobées ; et pour cette cause, le mit en prison à Saint-Martin. Et durant qu'il le tenait prisonnier, suscita deux témoins, lesquels ignoramment signèrent ce que Monsieur de Saint-Martin leur commanda : c'était qu'ils avaient vu dedans un jardin ledit confesseur avec soeur Marie en acte vilain et déshonnête. Ce qu'il voulut faire avouer au vieux religieux. Toutefois lui, qui savait toutes les fautes de son prieur, le supplia l'envoyer en chapitre, et que là, devant tous les religieux, il dirait la vérité de tout ce qu'il en savait. Le prieur, craignant que la justification du confesseur fût sa condamnation, ne voulut point entériner cette requête. Mais, le trouvant ferme en son propos, le traita si mal en prison que les uns disent qu'il y mourut, et les autres qu'il le contraignit de laisser son habit et de s'en aller hors du royaume de France. Quoi qu'il en soit, jamais depuis on ne le vit".

(à suivre)

Le portrait est une oeuvre du photographe néerlandais Hendrik Kerstens né en 1956.

dimanche 10 octobre 2010

Les aventures extraodinaires de Marie Héroët, épisode 3


"Et quand il vit que ses propos ne la pouvaient gagner, lui en va bailler d'un autre, disant : « Hélas, ma fille, il faut que je vous déclare mon extrême nécessité : c'est que j'ai une maladie que tous les médecins trouvent incurable, sinon que je me réjouisse et me joue avec quelque femme que j'aime bien fort. De moi, je ne voudrais pour mourir faire un péché mortel ; mais quand l'on viendrait jusque là, je sais que simple fornication n'est nullement à comparer à pécher d'homicide. Parquoi, si vous aimez ma vie, en sauvant votre conscience de crudélité, vous me la sauverez. » Elle lui demanda quelle façon de jeu il entendait faire. Il lui dit qu'elle pouvait bien reposer sa conscience sur la sienne, et qu'il ne ferait chose dont l'une ni l'autre fût chargée. Et pour lui demander le commencement du passe-temps qu'il demandait, la vint embrasser et essayer de la jeter sur un lit. Elle connaissant sa méchante intention, se défendit si bien de paroles et de bras, qu'il n'eut pouvoir de toucher qu'à ses habillements. A l'heure, quand il vit toutes ses inventions et efforts être tourné en rien, comme un homme furieux, et non seulement hors de conscience, mais de raison naturelle, lui mit la main sous la robe, et tout ce qu'il put toucher des ongles égratigna en telle fureur que la pauvre fille, en criant bien fort, de tout son haut tomba à terre, tout évanouie. Et à ce cri entra l'abbesse dans le dortoir où elle était, laquelle, étant à vêpres, se souvint avoir laissé cette religieuse avec le beau-père, qui était fille de sa nièce. Dont elle eut un scrupule en sa conscience, qui lui fit laisser vêpres et aller à la porte du dortoir écouter ce que l'on faisait. Mais, oyant la voix de sa nièce, poussa la porte que le jeune moine tenait. Et quand le prieur vit venir l'abbesse, en lui montrant sa nièce évanouie lui dit : « Sans faute notre mère, vous avez grand tort que vous ne m'avez dit les conditions de soeur Marie ! Car, ignorant sa débilité, je l'ai fait tenir debout devant moi et, en la chapitrant, s'est évanouie comme vous voyez. » Il la firent revenir avec du vinaigre et autres choses propices, et trouvèrent que de sa chute elle était blessée à la tête. Et quand elle fut revenue, le prieur, craignant qu'elle contât à sa tante l'occasion de son mal, lui dit à part : « Ma fille, je vous commande sur peine d'inobédience et d'être damnée, ce que vous n'ayez jamais à parler de ce que je vous ai fait ici, car entendez que l'extrémité d'amour m'y a contraint. Et puisque je vois que vous ne voulez aimer, je ne vous en parlerai jamais que cette fois, vous assurant que, si vous me voulez aimer, je vous ferai élire abbesse de l'une des trois meilleures abbayes de ce royaume. » Mais elle lui répondit qu'elle aimait mieux mourir en chartre perpétuelle que d'avoir jamais autre ami que Celui qui était mort pour elle en la croix, avec lequel elle aimait mieux souffrir tous les maux que le monde pourrait donner que contre lui avoir tous les biens ; et qu'il n'eût plus à lui parler de ces propos, ou elle le dirait à la mère abbesse, mais qu'en se taisant elle se tairait. Ainsi s'en alla ce mauvais pasteur lequel, pour se montrer tout autre qu'il n'était et pour encore avoir le plaisir de regarder celle qu'il aimait, se retourna vers l'abbesse, lui disant : « Ma mère, je vous prie, faites chanter à toutes vos filles un Salve Regina en l'honneur de cette Vierge ou j'ai mon espérance. » Ce qui fut fait, durant lequel ce renard ne fit que pleurer, non d'autre dévotion que de regret, qu'il n'avait de n'être venu au dessus de la sienne. Et toutes les religieuses, pensant que ce fût d'amour à la Vierge Marie, l'estimaient un saint homme. Soeur Marie, qui connaissait sa malice, priait en son coeur de confondre celui qui déprisait tant la virginité".

(à suivre)

Le portrait est une oeuvre du photographe néerlandais Hendrik Kerstens né en 1956.

samedi 9 octobre 2010

Les aventures extraodinaires de Marie Héroët, épisode 2


"Un jour, allant visiter un couvent près de Paris qui se nomme Gif, advint qu'en confessant toutes les religieuses en trouva une nommée Marie Héroët, dont la parole était si douce et agréable qu'elle promettait le visage et le coeur être de même. Par quoi seulement pour l'ouïr fut ému d'une passion d'amour qui passait toutes celles qu'ils avait eu aux autres religieuses. Et en parlant à elles, se baissa fort pour la regarder, et aperçut la bouche si rouge et si plaisante qu'il ne se put tenir de lui hausser le voile pour voir si les yeux accompagnaient le demeurant ; ce qu'il trouva, dont son coeur fut rempli d'une ardeur si véhémente, qu'il perdit le boire et le manger, et toute contenance, combien qu'il la dissimulait. Et quand il fut retourné en son prieuré, il ne pouvait trouver repos, parquoi en grande inquiétude passait les jours et les nuits, en cherchant les moyens comme il pourrait parvenir à son désir et faire d'elle comme il avait fait de plusieurs autres. Ce qu'il craignait d'être difficile, parce qu'il la trouvait sage en paroles et d'un esprit si subtil qu'il ne pouvait avoir grande espérance. Et d'autre part se voyait si laid et si vieux qu'il délibéra de ne lui en parler point, mais de chercher à la gagner par crainte. Parquoi, bientôt après, s'en retourna audit monastère de Gif, auquel lieu se montra plus austère qu'il n'avait jamais fait, se courrouçant à toutes les religieuses, reprenant l'une que son voile n'était pas assez bas, l'autre qu'elle haussait trop la tête, et l'autre qu'elle ne faisait pas bien la révérence en religieuse. En tous ces petits cas se montrait si austère que l'on le craignait comme un Dieu peint en jugement. Et lui, qui avait les gouttes, se travailla tant de visiter les lieux réguliers que, environ l'heure de vêpres, heure par lui apostée, se trouva au dortoir. L'abbesse lui dit : « Père révérend, il est temps de dire vêpres. » A quoi il répondit : « Allez, mère, allez ! Faites-les dire, car je suis si las que je demeurerai ici, non pour reposer, mais pour parler à soeur Marie, de laquelle j'ai ouï très mauvais rapport : car l'on m'a dit qu'elle caquette comme si c'était une mondaine. » L'abbesse, qui était tante de sa mère, le pria de la vouloir chapitrer et la lui laissa toute seule, sinon un jeune religieux qui était avec lui. Quand il se trouva seul avec soeur Marie, commença à lui lever le voile et lui commander qu'elle le regardât. Elle lui répondit que sa règle lui défendait de regarder les hommes. « C'est bien, ma fille, lui dit-il, mais il ne faut pas que vous estimiez qu'entre nous religieux soyons hommes. » Parquoi soeur Marie, craignant faillir par désobéissance, le regarda au visage : elle le trouva si laid qu'elle pensa faire plus de pénitence que de péché à le regarder. Le beau père, après lui avoir dit de plusieurs propos de la grande amitié qu'il lui portait, lui voulut mettre la main au tétin, qui fut par elle repoussé comme elle devait. Et fut si courroucé qu'il lui dit : « Faut-il qu'une religieuse sache qu'elle ait des tétins ? » Elle lui dit : « Je sais que j'en ai, et certainement que vous ni autre n'y toucherez point, car je ne suis pas si jeune et ignorante que je n'entende bien ce qui est péché et ce qui ne l'est pas !"

(à suivre)

Le portrait est une oeuvre du photographe néerlandais Hendrik Kerstens né en 1956.

vendredi 8 octobre 2010

Les aventures extraodinaires de Marie Héroët, épisode 1


Pour certaines femmes "les aventures extraordinaires" de l'existence consistent dans la fleur de l'âge à s'éreinter à déjouer les pièges tendus par des (ogres?) avides de chair fraîche afin de conserver intacte, si c'est possible, leur intégrité. Pendant que leurs frères de l'autre sexe ne connaissent pas cette expérience passionante de proie traquée, elles ont affaire au quotidien à un vrai parcours de la combattante.

Dans l'Heptaméron de Marguerite de Navarre où cette reine a rassemblé des choses vues, rapportées ou observées autour d'elles, l'un des contes rapportant ce genre d'"aventures extraordinaires" un peu spéciales, commence ainsi :

"En la ville de Paris, il y avait un prieur de Saint-Martin-des-Champs, duquel je tairai le nom pour l'amitié que je lui ai porté. Sa vie, jusqu'en l'âge de cinquante ans, fut si austère que le bruit de sa sainteté courut par tout le royaume, tant qu'il n'y avait prince ni princesse qui ne lui fit grand honneur quand il les venait voir. Et ne se faisait réformation de religion qui ne fût faite par sa main, car on le nommait le père de vraie religion. Il fut élu visiteur de la grande religion des dames de Fontevrault, desquelles il était tant craint que, quand il venait en quelqu'un de leurs monastères, toutes les religieuses tremblaient de la crainte qu'elles avaient de lui. Et pour l'apaiser des grandes rigueurs qu'il leur tenait, le traitaient comme elles eussent fait de la personne du Roi. Ce qu'au commencement il refusait, mais à la fin, venant sur cinquante ans, commença à trouver fort bon le traitement qu'il avait au commencement déprisé. Et s'estimant lui-même le bien public de toute religion, désira de conserver sa santé mieux qu'il n'avait accoutumé : et combien que sa règle portât de jamais ne manger chair, il s'en dispensa lui-même, ce qu'il ne faisait à nul autre, disant que lui était tout le faix de la religion. Par quoi si bien se festoya que d'un moine bien maigre il en fit un bien gras. Et à cette mutation de vivre se fit une mutation de coeur telle qu'il commença à regarder les visages dont paravant avait fait conscience, et en regardant les beautés que les voiles rendent désirables, commença à les convoiter. Donc, pour satisfaire à cette convoitise, chercha tant de moyens subtils qu'en lieu de faire fin de pasteur il devint loup, tellement que, en plusieurs bonnes religions, s'il s'en trouvait quelqu'une un peu sotte, il ne faillait à la décevoir. Mais, après avoir longuement continué cette méchante vie, la Bonté divine qui prit pitié des pauvres brebis égarées ne voulut plus endurer la gloire de ce malheureux régner, ainsi que vous verrez."

J'ai rehaussé en caractère gras un passage fort intéressant : ce représentant peu digne de Dieu s'est mis à manger de la chair et Marguerite ne voit pas d'autre explication à cette lubricité dépourvue de toute humanité dont il s'est mis à faire preuve à partir de ce moment-là.

A suivre, donc.

(Le rehaut en brun est une considération sur le voile, le fameux voile. Il attise le désir, dit Marguerite de Navarre, contrairement aux islamistes qui prétendent qu'il l'éteint).

Le portrait est une oeuvre du photographe néerlandais Hendrik Kerstens né en 1956.

lundi 4 octobre 2010

Françoise de Bourdeille, emmonastérisée

Dans son livre "Les noces salées" sous-titré "La révolte de la Grande Gabelle dans l'Ouest", l'auteur Robert Ducluzeau, raconte ceci à propos de Françoise de Bourdeille : "le sort de F. de B. ne s'était pas amélioré (...) puisqu'on venait de la placer au couvent de Sainte-Croix de Poitiers où elle devait prononcer ses voeux définitifs quelques mois plus tard malgré ses pleurs et ses protestations violentes. On ne sait même pas si ses parents prirent le temps d'aller visiter la petite moniale de treize ans dans son couvent Sainte-Croix lors de leur passage à Poitiers. Il lui faudra 25 ans de lutte et de protestations incessantes pour qu'elle arrive è rompre ses voeux, à recouvrer sa liberté et à pouvoir enfin se marier !".
On ne sait pas si Françoise de Bourdeille, l'une des soeurs de Brantôme que je cite ici, s'est convertie au protestantisme pour se sortir de ce guêpier dans lequel elle n'avait en rien choisi de se fourrer. Ce qui ressort en tout cas de cette période, c'est que l'espoir suscité par la Réforme auprès des femmes de la Renaissance est assez identique à celui soulevé par le Christianisme au temps des Romains. Tant de jeunes filles d'alors furent jetées aux lions pour avoir adhéré à une doctrine qui les délivraient enfin du droit de vie et de mort que possédait sur elles le Pater Familias du système patriarcal à la sauce romaine !
Les saintes Blandine, Agnès, Félicité, Cécile, Christine, Nadège, Sabine, Emerita, Digna, Philomène, Victoire, Bibiane, Parascève, Agrippine, Zoé, Suzanne, Justine, Rufine, Seconde, Eugénie, Praxède, Béatrice, Anastasie, Irène, Lucie, Perpétue etc, dites "vierges et martyres" (à Rome), cannonisées par les papes successifs sont à ajouter sur la liste du gynécide dénoncé ici, au même titre que toutes leurs consoeurs qui ont payé le prix fort pour avoir voulu s'affranchir d'une façon ou d'une autre du joug masculin.

Au temps de le Réforme, on a vu que les hommes et les femmes se sont massacrés à part plus ou moins égales mais quand il s'est agit d'honorer les morts, tout le mérite s'en est allé aux hommes.
Marie d'Ennetières (que je soupçonne d'avoir été rebaptisée Marie Dentière par ses ennemis pour lui donner des allures carnassières) ne figure pas parmi les grands réformateurs statufiés à Genève. Alors qu'elle a effectué un vrai travail de missionnaire en se rendant de couvent en couvent pour persuader les nonnes de se rallier à la nouvelle religion. Quelle ingratitude !
En comparaison, l'église catholique s'est tout de même montrée moins avare de reconnaissance !

Certain.e.s me diront : mais pourquoi toutes ces considérations sur la religion ? N'est-elle pas un instrument d'asservissement comme un autre, voire pire ? Je leur répondrais : mais qu'est ce donc que la religion sinon une idéologie ?
A ce titre, l'apparition d'une idéologie nouvelle qui révise le statut des femmes un tant soit peu à leur avantage est bonne à prendre sur le moment et a, d'ailleurs, tôt fait de faire des adeptes !
Ainsi il ne faut pas appréhender ici la religion d'une façon moderne mais pour ce qu'elle a impliqué comme modifications dans la vie des femmes a un moment donné de l'histoire. Il faut penser la religion comme mouvement et laisser de côté rites, dogmes, pratiques et croyances. Il faut voir la religion comme un instrument, en effet : de libération un jour, d'asservissement le lendemain, et un beau matin : d'aliénation. Avant que la ronde ne recommence...

vendredi 1 octobre 2010

Marie d'Entière, Dentière, ou d'Ennetières, théologienne


Parmi les nonnes des couvents, celles qui passent à la Réforme sont les plus cultivées d'entre elles, les abbesses.
Philippe (autrefois prénom féminin) de Chasteigner, abbesse de Saint-Jean de Bonneval se convertit et s'enfuit à Genève avec huit de ses nonnes.
Charlotte de Bourbon (tante d'Henri IV), abbesse de la Jouarre, saute par-dessus les murs du couvent et s'exile hors de France.
Marie d'Entière, abbesse de Tournai, fait également le mur. Elle épouse le curé de Tournai, converti lui-aussi à la Réforme. Tous deux s'exilent à Strasbourg, ville particulièrement indépendante et intellectuellement très active, en ce temps. Le couple de "défroqués" aura trois filles. Devenue veuve, Marie épouse un compatriote de Guillaume Farel (théologien réputé de l'époque), de 19 ans plus jeune qu'elle et qui fut pasteur à Thonon-les-Bains avec lequel elle aura encore deux enfants. Le couple s'installent à Genève.
La "Première femme deschassée pour l'Évangile" dira t-on, sera alors autrice de la première publication littéraire protestante :

La guerre et délivrance de Genève (1536)*

Puis en mars 1539, Marie fait imprimer à Genève son Epistre tres utile ... dédiée à la reine Marguerite de Navarre (encore elle). La majeure partie des 1 500 exemplaires du pamphlet sont saisis par les autorités genevoises. Froment (le mari de la pamphlétaire) est convoqué devant le Conseil et l'imprimeur Jean Gérard est jugé et emprisonné quelques jours. Ce serait le premier texte victime de la censure réformée à Genève. Le texte est considéré comme une attaque contre les autorités genevoises du moment, en fait, il dénonce l'hypocrisie ambiante et la corruption du clergé genevois, réclame une participation active des femmes en matière de religion, affirme que hommes et femmes sont égaux quant à leur capacité à comprendre les textes sacrés. Une petite grammaire hébraïque accompagne cet ouvrage, rédigée par Jeanne, la fille de Marie.

Citations tirées de l'Epistre tres utile :

« [...] affin que désormais [les femmes] ne soyent en elles-mesmes ainsi tormentées et affligées, ains plustost resjouyes, consolées et esmeues à suyvir la vérité, qui est l'Évangile de Jésus-Christ. »

"[ce que Dieu a] à nous femmes révélés, non plus que les hommes ne le devont cacher et fouir dedans la terre [et il n'est pas défendu] de s'admonester l'une l'autre [à défaut de pouvoir prêcher publiquement...
J'espère que les] femmes ne seront plus tant mesprisées comme par le passé"

« Avons-nous deux Evangiles, l'un pour les hommes, et l'aultre pour les femmes? L'un pour les sages, et l'aultre pour les folz? Ne sommes-nous pas un en nostre Seigneur? Au nom duquel sommes-nous baptisez, de Pol ou d' Apollo, du Pape ou de Luther. »
— Marie Dentière, Espitre tres utile.

Marie d'Entière ne sépare pas l'exhortation à vivre selon l'Évangile de l'exhortation au mariage. Elle se flatte d'avoir quitté cette "chétive vie" (de nonne), d'avoir eu "cinq beaux enfants" et de vivre "salutairement".

Toutes les, plus tard, qualifiées d'"infectées luthériennes" usent des mêmes arguments, "louent l'estat de mariage et de liberté, alléguant que les Apostres avoient tous esté mariés et que St-Paul lui-même a dit que c'est bonne chose d'estre marié et deux en une chair".

Correctif 1er mai 2011 : "La Guerre et deslivrance de la ville de Genesve" a été attribuée à Marie d'Entière à la fin du XIXe siècle. Des analyses récentes indiqueraient toutefois qu'elle n'en serait pas l'autrice principale. (Remarque d'un(e) lecteur/trice anonyme). Je reste cependant réservée. Au cours de l'histoire, il est rare qu'une oeuvre attribuée à un homme le soit un jour à une femme. Curieusement l'inverse se produit constamment. Cela peut, par exemple, commencer comme ici par un doute sur la maternité exclusive de l'oeuvre...et avec beaucoup d'interprétations à apparences de preuves indiscutables aboutir à une paternité exclusive. Cela se voit tout le temps.