mercredi 28 juillet 2010

Liberté _Seins dénudés_Anonymité



La version sein dénudé d'origine nous vient des sculptures et des bas-reliefs grecs représentant les Amazones, qui se drapaient le corps ainsi, peut-être par commodité. Ci-dessus Hercule et Hippolytè (entre v. 500 et v. 300 av. J.-C.).
L'amazone incarne la femme libre de toute domination masculine. Cependant comme on le voit sur ce relief, elle est sur le point d'être vaincue et tuée.


La version sein dénudé du XVIIe siècle : Clélie, héroine de l'époque romaine, à peu près contemporaine d'Hippolytè (507 av. J.-C.) dévoile, sur cette peinture inspirée de la plastique grecque, un sein, mais "involontairement". Son vêtement n'est pas celui d'une amazone. Cependant Clélie incarne la femme qui reprend sa liberté. De plus, elle est montée sur un cheval. Le peintre veut donc officiellement faire une allusion à Hippolytè, officieusement imprégner le tableau d'érotisme, le meublant essentiellement de jeunes filles vêtues comme dans une chambre à coucher.




Version seins dénudés du XIXe siècle : dans "La Liberté guidant le peuple, Théroigne de Méricourt, le modèle ayant servi à la réalisation de cette allégorie, a perdu son identité. Il est même devenu difficile de trouver un document qui fasse encore le rapprochement entre la femme qui marchait devant, sur les barricades, telle que Delacroix l'aurait "imaginée", et celle qui croyait que la Révolution voulait dire Libération. Il y a pourtant dix ans seulement, c'était encore le cas. Mais le révisionnisme ne s'arrête jamais. Théroigne laisse donc la place à une allégorie sans nom et montre deux seins, cette fois. Pourtant elle n'est même pas à cheval !




Seins dénudés version XXIe siècle : sur cette couverture de magazine, la "Liberté" est un corps de femme faisant allusion à un homme : Cohn-Bendit. Un joli corps complètement anonyme. Ce n'est ni Hippolytè, ni Clélie, ni Théroigne. La seule différence qui existe entre cette parfaite inconnue censée représentée la liberté féminine (n'y avait-il donc aucune féministe en 1968 ?), et Cohn-Bendit sont les seins nus. Plus de figure allégorique. C'est encore trop. Les seins nus comme symbole de liberté, c'est bien suffisant pour les filles. Et puis surtout : c'est tout ce qu'on leur demande !

mardi 27 juillet 2010

Clélie, la championne de l'évasion, vue sous un certain angle...

Gravure médiévale sur bois : Clélie traverse le Tibre à cheval, une compagne en croupe. Quelques compagnes sont déjà en lieu sûr, d'autres attendent leur tour (inscription en onciale : "Cloelia").

Fresque allégorique de Filippo Lippi : Clélie et ses compagnes traversent le Tibre à la nage. D'un côté, un campement avec les envahisseurs qui ont pris Rome, de l'autre côté un palais rouge et or avec une entrée bordée de sphinges féminines attendant les fugitives.

Clélie prend la poudre d'escampette. Les gardiens ont-ils absorbé un somnifère ? L'une des femmes à la suite du cheval jette un coup d'oeil sur des hommes affalés sur le bord du chemin. Clélie est un peu embarrassée par une femme qui ne sait pas monter sur un cheval, on dirait.

Clélie version mythologique : des divinités fluviales aident les jeunes filles à traverser le Tibre, notamment en leur faisant la courte échelle pour monter à cheval. A croire que se hisser sur un cheval toute seule est au dessus de leur force...Au loin, les gardiens accourent depuis le campement, pour empêcher les femmes de fuir.

Clélie version harem à ciel ouvert : femmes semi-nues comparant leur épilation de jambes (à droite) ? se recoiffant vite fait pendant que Clélie drapée de rouge (couleur discrète pour une fuyarde) montre le chemin à ses compagnes vélléitaires et quelque peu frivoles. On se demande comment elles parviennent finalement à exécuter leur plan.

Jolie scène bien qu'un peu érotisée et statique pour une fuite. L'une des jeunes filles semblent goûter si l'eau est bonne.

Encore une scène qui fait douter de l'efficacité de la fuite et qui ressemble plus à un étalage de chair qu'à autre chose. La blonde à droite a même droit à une main masculine bien placée au niveau du popotin de la part d'une "divinité" fluviale, sous prétexte de l'aider à enfourcher le canasson. C'est la version de Rubens.

Toutes ces représentations (hormis la gravure pour laquelle on peut émettre un doute) sont l'oeuvre d'hommes. Il est, bien entendu, inutile de le préciser. Une version de cet exploit féminin, mal connu, de l'histoire romaine, selon une optique autre que masculine, reste encore à réaliser.
Mesdames à vos pinceaux !

lundi 26 juillet 2010

Clélie, le courage de prendre des risques et la solidarité féminine


Cette peinture atticiste (coloris clairs et lumineux, sujets empruntés à l'antiquité) est postérieure au XVIe siècle puisque son auteur y est né tout à fait à la fin, en 1596.

Il s'agit du détail d'un tableau intitulé "Clélie passe le Tibre".

Si j'ai choisi de le placer ici même si historiquement j'empiète sur le XVIIe siècle, c'est pour présenter une autre de ces femmes ressenties comme exemplaires et appartenant au paysage féminin mental de la période qui s'étend de la chute de l'empire romain à la Révolution : la romaine Cloelia francisée Clélie. Clélie a servi parfois d'allégorie de la Force : "Fortitudo", comme dans une tapisserie qui orne une salle du château de Chenonceau.
Clélie a donc nourrit l'imaginaire des femmes éprises d'acte de bravoure pendant plusieurs siècles, et a souvent été un sujet de prédilection chez les peintres, depuis Filippo Lippi jusqu'à Rubens.
Quand il s'agit de se choisir un modèle non pas dans la Bible, cette fois, mais dans l'antiquité romaine, c'est Clélie qui remporte les suffrages féminins, loin devant Lucrèce puisque cette dernière se suicide après avoir été violée, ce qui ne peut franchement pas correspondre à un idéal !
Parquée avec ses compagnes pour être livrée comme esclave à Porsenna après la défaite de Rome, Clélie profite d'un instant d'inattention de ses gardiens pour s'enfuir en encourageant les autres femmes à la suivre. Grâce à l'intrépidité de Clélie, toutes traverseront le Tibre à la nage ou à cheval et recouvreront ainsi leur liberté échappant ainsi au traitement humiliant et aux sévices qui les attendaient.

Sur le détail de cette peinture de Jacques Stella, Clélie aide l'une de ses compagnes à monter avec elle sur son cheval. Le sein dénudé est, bien entendu, destiné à érotiser la scène. Une habitude masculine dont je reparlerai. Malheureusement, je n'ai pas trouvé de représentation féminine de Clélie. "Clélie" a été peinte par de nombreux italiens et flamands, aucun francais. Mais un énorme roman de 10 volumes a été écrit par notre célèbre Madeleine de Scudéry nationale qui n'a pas tant voulu par cette oeuvre rendre un hommage direct à la capacité féminine de refuser l'esclavage, de prendre en main son destin, de lutter pour sa propre liberté et d'entraîner ses soeurs d'infortune à suivre son exemple, que de proposer des modèles de conduite dans l'amour. Mais comme pour cette grande femme de lettres, il faut s'y prendre par la douceur pour faire évoluer les mentalités, un message d'émancipation est sans doute à lire entre les lignes. Ici et ici deux notes différentes sur le personnage de la Clélie de Madeleine dont le nom du moins est en rapport avec l' héroïne dont elle s'inspire.

samedi 24 juillet 2010

Mireille Huchon, une universitaire de papier

Mireille Huchon n'existe pas. C'est une sorte de poupée inventée par un groupe de masculinistes bien décidés à dégommer Louise Labé entrée pour la première fois, quatre siècles et demi après la parution de son oeuvre, au programme du concours de l'Agrégation de Lettres Moderne en 2005. C'était l'élévation suprême de la poétesse à l'honneur de l'autel littéraire à côté des plus grands noms, presque tous masculins.

Mais cet avènement ne devait pas durer plus longtemps. Une année, ce fut déjà trop. Dès l'année suivante une certaine Mireille Huchon édite à Genève un essai soutenant la théorie de l'inexistence de Louise Labé !

Louise Labé, une créature de papier" ne craint-elle pas et contre toute évidence, d'intituler l'ovni.

Quel éditeur s'est-il empressé d'imprimer un livre en forme d'enterrement de poétesse dont l'existence n'avait jusqu'alors posé problème à personne ? Remontons dans le temps.

En 1555, Louis Labé obtient le Privilège du Roy pour l'impression et la vente de son livre contenant ses poèmes. Le 12 août 1555 le livre est achevé d'imprimer.

Louise Labé est vraisemblablement comblée d'honneur, puisqu'elle réunit alors assez d'argent pour s'acheter une maison et dispenser des dons à l'intention des filles à marier pauvres afin qu'elles ne finissent ni prostituées ni dans un couvent.

Elle était donc reconnue comme une grande poétesse de son vivant et l'entreprise de diffamation l'aura éparnée jusqu'à son dernier souffle. Il faut dire qu'elle n'est pas morte bien vieille.

7 ans après sa mort, son nom est citée à propos de l'Histoire de Lyon par le chanoine (lyonnais) Paradin qui en fait un éloge appuyé. Mais, un rival, un jeune avocat bien décidé à prendre la place du vieil homme et qui n'a pas connu Louise, se sert d'elle pour évincer le gêneur. Il prétend que chacun sait que cette poétesse ne mérite pas les éloges que Paradin en fait, n'ayant été de son vivant rien autre qu'une courtisane impudique, une catin, quoi.

La polémique est enclenchée et se perpétue jusqu'au XVIIe siècle. Paradin ne cesse d'en prendre pour son grade, bientôt c'est une autre poétesse contemporaine, lyonnaise et collègue en quelque sorte de Louise, Pernette du Guillet qui est soudain assimilée à une traînée, puis une autre lyonnaise de la même veine, Jeanne Flore se transforme en homme, un prétendu Jehan Flore voulant se faire passer pour une femme, etc...

En 1790, en pleine Révolution, le vent tourne et Louise Labé devient le symbole de la liberté et du patriotisme. Voilà les vers qui figurent sur un drapeau de la garde nationale :

Tu prédis nos destins, Charly*, belle Cordière,

Car pour briser nos fers tu volas la première.

En 1824, en pleine ferveur romantique, les „Evvres“ de Louise Labé sont rééditées. Marceline Desbordes-Valmore et plus tard Sainte-Beuve la célèbrent l'une par un poème, l'autre par une Étude.

Dans les années 1960 où le roman historique à l'eau de rose fleurit, des spéculations démarrent quant à ses liaisons sentimentales, Elles servent d'ingrédients littéraires. On attribue soudain à Louise une liaison avec Clément Marot.

A partir des années 1970, Louise Labé devient une icône du féminisme : c'est la femme audacieuse qui a écrit et publié, non seulement une précise déclaration de parité entre les sexes (dans la Dédicace), mais surtout une Canzoniere, où la femme est le sujet qui exprime une position active dans le rapport amoureux, où elle avoue ouvertement sa sensualité, et un Débat qui thématise les rapports compliqués entre l'amour et le désir, l'harmonie et l'invention, la règle et l'inspiration, dans le discours littéraire, comme dans la musique et dans les arts.

Louise Labé remonte positivement à la surface. Ce n'est plus la courtisane licencieuse que l'on voyait en elle au XVIIe siècle, mais une progressiste, une sorte de Simone de Beauvoir avant l'heure.

En 1981, paraît à Genève L'édition critique d'Enzo Giudici qui met l'accent sur tout ce qu'il y a de génial dans l'écriture de Louise Labé, ouvrage qui va sans doute la consacrer. Il démontre avec quelle brio et originalité Louise Labé, Pernette du Guillet et Maurice Scève, entre autres, s'inspirent de la poésie du quatrocento, c'est-à dire de Pétrarque et de Tullia d'Aragona, pour ne citer qu'eux.

Et voilà que ce même éditeur 24 ans plus tard, publie un ouvrage censé signer l'arrêt de non existence de Louise Labé : Louise Labé n'a jamais existé prétend cet ouvrage ! Est-il pire arrêt de mort que la négation complète de l'existence d'un être ? Un membre de l'Académie francaise prend immédiatement parti pour cette publication largement controversée. Il sera le seul et unique soutien de l'essai révisionniste parmi tous les spécialistes de la littérature du XVIe siècle. Les autres ne doutent pas un instant de l'absurdité de la théorie Huchon. Mais voilà : cet unique monsieur siège à l'Académie francoise. C'est pas rien. Ainsi les deux pantins : Huchon et son académicien de service ont fait du beau travail et j'espère qu'ils mourront satisfaits de leur "oeuvre" commune.

Louise Labé va t-elle rester au programme du concours de l'Agrégation de Lettres dans ces conditions ?

Vraisemblablement....pas. Et le tour est joué.

Mais attendez !..2006, 2006...n'est ce pas la veille de 2007 ? L'année de l'avénement de l'ordre nouveau en forme de gouvernement d'extrême-droite déguisé en gouvernement postgaulliste édulcoré d'une "ouverture" à gauche ?

Travail, famille, patrie ? Les femmes aux fourneaux, les hommes au front, et la retraite à 62 ans ?

Le terrain se devait donc d'être préparé, sans doute. Que fiche une poétesse du XVIe siècle qui plus est icône du féminisme des années 1970 dans un programme d'agreg ! Par ici la sortie, s'il vous plaît !

Et pour obtenir cet admirable régression, heureusement, qu'il y a des femmes qui se disent telles et même qui croient exister en dehors du papier qu'elles noircissent si laborieusement de ce genre d'obscénité, afin de servir leur propre servitude.

* le vrai nom de Louise est : PERRIN, (Louise, Charly, Dame) dite Labé

(Merci à Paolo Budini pour sa Notice sur Louise La dont j'ai extrait ce résumé et merci à Héloise qui m'a inspiré cette note).

vendredi 23 juillet 2010

GAILLARDE (pour Alice)





Ces quelques pas de la "Gaillarde", qui ne durent pas longtemps malheureusement (mais donnent peut-être envie d'en savoir plus), appartiennent à une danse très à la mode au siècle que j'explore. Je les dédie tout spécialement à Alice qui a été la première à me citer sur son blog (dont j'étais déjà une lectrice assidue avant de blogger moi-même) et que j'ai quand même réussi à oublier de mentionner dans mes remerciements. Honte à moi !

Je souhaite réparer cet oubli ici en publiant des pas de danse de la Renaissance puisque c'est à une ballerine que je m'adresse. J'espère qu'elle aimera. J'ai longuement cherché un bon enregistrement présentant des groupes costumées mais s'il s'en trouve quelques uns, ils sont rarement de bonne qualité (flou, éclairs de flash, têtes qui bouchent la vue, décors anachroniques, etc...). Néanmoins l'ensemble "Révérence" de la compagnie des danses anciennes du Mans a l'air d'être une bonne adresse avec d'excellents danseu(r)-se-s.
Qu'ils s'efforcent de poster des films de bonne qualité sur youtube et je les publierai !

Pour ceux qui veulent en savoir plus sur les danses de la Renaissance, j'ai trouvé ceci.



Gaillarde (bis)

mercredi 21 juillet 2010

Properzia de Rossi, sculptrice




Properzia de Rossi vécut à Bologne vers 1490 et mourut en 1530. Elle fut, en son temps, une célébrité, oui une célébrité comme le furent Lucia et Sofonisba Anguissola, comme le fut Lavinia Fontana ainsi que Maddalena Casulana, etc. Qu'est ce qui peut expliquer qu'elles ne le soient pas restées ?
Properzia étonna le monde non seulement par son art de la sculpture auquel elle fut l'une des rares femmes à avoir accès, mais aussi par sa poésie et sa musique.
Elle se fit d'abord connaître en sculptant des noyaux de pêche. Elle transposa ainsi en miniature chaque étape de la Passion sur un noyau dont elle fit un collier. Les noyaux de pêches sculptés de sa confection sont encore visibles aujourd'hui au Museo Civico de Bologne et un noyau de cerise au musée des Offices de Florence.
Le bas-relief du portail de la chapelle San Petronio à Bologne représentant Joseph et Putiphar (ci-dessus) est sculpté dans le marbre et possède un pendant sur ce même portail représentant la visite de Salomon à la reine de Saba.
La sculpture ci-dessus montre l'amazone Hippolytè aux prises avec Hercule. Elle est exposée au palazzo Vecchio de Florence.
Experte en gravure également, nombre d'oeuvres de Raphael gravées l'ont été de sa main.
Pour les anglicistes un poème dédié à Properzia ici.
Une traduction en francais ici du même poème de Felicia Hemans (1793-1835) qui évoque la fin solitaire et désaimée de la sculptrice. Il se poursuit p. 95.

mardi 20 juillet 2010

Louise Labé, les preuses et les peureuses



Hélisenne de Crenne dans son combat contre la misogynie l'a citée (ici) :

"Prenez la veuve Judith pour exemple de chasteté et la magnifiez par louange triomphale, et par cantiques perpétuels car celui qui est rémunerateur de sa chasteté l[']a faite, non seulement digne d'être imitée des femmes mais aussi des hommes, et l[']a tant favorisée qu'il lui a concédé telle vertu, qu'elle a obtenu victoire de celui qui demeurait invincible de tous et a supédité [surmonter] celui qui était insupérable [insurmontable].

Elle semble penser que Dieu a donné à Judith sa force en récompense de sa chasteté mais il ne faut pas oublier que la chasteté féminine obsédait en ce temps le mâle occidental comme elle obsède aujourd'hui le mâle oriental, avec même injonction de tenir son regard baissé devant un homme et de porter une coiffe pour dissimuler ses cheveux.
Hélisenne est obligée de souligner la chasteté de Judith pour qu'il ne soit pas dit qu'elle était une prostituée et que son geste n'a donc aucune valeur.

Judith entre dans le panthéon des preuses par la grande porte n'ayant pas fauté sexuellement.


Dans cette note , je citais les neuf preuses peintes sous forme de fresque dans la chapelle des Marquis du castello della Manta à Saluces, comme suis :
Sémiramis, Thomyris, Teuca, Déiphylle, Penthésilée, Ménalippe, Lampétho, Hyppolitè, Cinopé.
Mais c'est une liste qui date du XIVe siècle, époque à laquelle on ne trouvait aucun inconvénient d'avoir pour exemples de femmes fortes, des figures non chrétiennes qui plus est, majoritairement, issues des peuplades amazones.
Au XVIe siècle, exit les amazones. Le chiffre 9 est conservé mais on choisit de prélever trois fois trois femmes de différentes "origines".
Antique, d'abord avec Lucrèce (qui se poignarde après avoir été violée), Véturie (qui réussit à convaincre Coriolan d'épargner Rome) et Virginie (joueuse de lyre tuée par son père en sacrifice), puis juive avec Esther (qui a convaincu Assuérus de ne pas exterminer les juifs), Judith et Yael (qui tuent toutes deux un chef d'armée) et enfin chrétienne avec sainte Hélène (de Constantinople), sainte Brigitte (de Suède) et sainte Elisabeth (de Hongrie).

Fortes peut-être mais pas forcément épargnées par une fin tragique dans la fleur de l'âge.

La poétesse Louise Labé voit les choses autrement. Les grandes figures tragiques antiques ne vont pas sortir les femmes de leur condition. Elle leur préconise plus de courage au quotidien et surtout d'être un peu moins popote.
Sous forme d'une lettre à une influente dame de la société lyonnaise, elle harangue ces contemporaines. Qu'elles lâchent donc un peu la quenouille pour se mêler des affaires publiques :


A.M.C.D.B.L. (A Madame Clémence de Bourges, lyonnaise)
Estant le tems venu, Mademoiselle, que les severes loix des hommes n'empeschent plus les femmes de s'appliquer aus sciences et disciplines: il me semble que celles qui ont la commodité, doivent employer ceste honneste liberté que nostre sexe ha autre fois tant désirée, à icelles apprendre : et montrer aux hommes le tort qu'ils nous faisoient en nous privant du bien et de l'honneur qui en pouvoit venir.

Je ne puis faire autre chose que prier les vertueuses dames d'eslever un peu leur esprits par dessus leurs quenouilles et fuseaux, et s'employer à faire entendre au monde que, si nous ne sommes faites pour commander, si ne devons nous estre desdaignées pour compagnes tant es afaires domestiques que publiques, de ceuxs qui gouvernent et se font obéir...

Et pour ce que les femmes ne se montrent volontiers en publiq seules, je vous ay choisie pour me servir de guide, vous dediant ce petit euvre, que ne vous envoye à autre fin que pour vous acertener du bon vouloir lequel de long tems je vous porte, et vous inciter et faire venir envie, en voyant ce mien euvre rude et mal bati, d'en mettre en lumiere un autre qui soit mieus limé et de meilleur grace.

lundi 19 juillet 2010

Gabrielle de Coignard et Judith

La femme du XVIe siècle comme la femme du XXIe siècle a besoin d'un modèle de femme forte pour exister ; un modèle de Powerwoman, de Superwoman, de femme d'action, de femme qui incarne la "puissance féminine", l'agir féminin, le courage au service de l'humanité, la grandeur d'âme, la force de l'esprit et du caractère et s'identifie mal au naturel à ce modèle de femme esclave que l'on cherche en permanence à lui imposer. Voir dans cette note d'Emelire * du blog "Le féminin l'emporte", l'illustration de ce modèle d'esclave féminin qui sert l'homme jusqu'à la fin des temps, "ad vitam eternam" donc, sous forme de squelettes souriant encore à un invisible, immuable et mécanique photographe de pub imaginaire.
Ce genre de modèle, aucune femme ne souhaite s'y conformer ni n'en afficherait la représentation sur son mur.

Dans un siècle où les femmes étaient réduites à l'impuissance et bien plus évincée de la vie publique qu'aujourd'hui, elles rêvaient de la puissance de Judith, imaginaient qu'un jour, peut-être, elles auraient l'occasion elles aussi, de montrer à la face du monde de quoi elle étaient capables, mais ce genre d'occasion ne se présentait pour ainsi dire jamais.

Si en Italie, le monde de la peinture s'était largement emparé de ce thème, ce n'était pas le cas en France où l'on privilégiait les lettres.
Plusieurs auteurs écrivirent des poèmes épiques en hommage à Judith, dont une femme : la toulousaine Gabrielle de Coignard (1550-1586).
Malheureusement, je ne peux obtenir des extraits de son poème : "Imitation de la victoire de Judich (sic)" que d'un ouvrage comparant le traitement de Guillaume Salluste Du Bartas à celui de Gabrielle de Coignard. Du moins c'est une comparaison rédigée par une spécialiste féminine de la Renaissance: Colette H. Winn. Elle cite par exemple la présentation des deux auteurs :

Je chante les vertus d'une vaillante veuve,

Qui pour sauver Jacob trempa le juste glaive

Dans l'infidèle sang du prince assirien

Qui tenoit assiegé le mur betulien.

Toy qui, pour garantir ton Isaac de la rage

Du peuple incirconcis, aceras le courage

De la foible Judit d'une masle vigueur...

Introduction de „La Judit“ (1574) de Guillaume Salluste du Bartas qui : „commémore le „courage viril“ de la femme d'armes fortifiée par la grâce de Dieu“ dit Colette H. Winn. Gabrielle de Coignard, elle, ne parle pas de "mâle", bien sûr, mais de "belle guerrière" :

Soubs ta saincte faveur je veux prendre carriere,

Voulant chanter le los d'une belle guerriere,

Estoille de son temps qui encore reluit

D'un esclat flamboyant sur nostre obscure nuict.

(Vv. 1-4)

Colette H. Winn écrit à ce sujet :

„A la Renaissance, la figure de la „femme forte“ prête à bien des équivoques. On peut comprendre la réticence des moralistes à donner comme modèle de vertu exemplaire celle qui transgresse le rôle passif qui lui est assigné pour accomplir un acte ordinairement réservé aux hommes. Judith est une femme du passé, dit Vivès dans le Livre de l'institution de la femme chrestienne (1542). Le passé „idéalisé“ ne semble être évoqué que pour dénoncer les faiblesses des femmes contemporaines et rappeler la nécessité de surveiller une féminité dangereuse pour l'homme:

Judith & Delbora vainquirent par armes de l'Eglise & spiritueles leurs ennemis, qui sont jeusnes, oraisons, abstinences & saincteté. L'une trencha la teste du capitaine Holofernes, c'est du diable; & l'autre comme roine, jugea le peuple d'Israel: mais telles sont de presents esvanouies.

"de présent évanouies" = il n'y en a plus. C'est fini les femmes fortes ou de pouvoir.

C'est du passé. Elles n'ont existé que dans la Bible, il veut dire.

Comme quoi revisiter le passé à la sauce sexiste a déjà énormément de bouteille !

(* sans laquelle ce blog n'existerait pas car elle m'a encouragée à en créer un et je l'en remercie énormément !)

dimanche 18 juillet 2010

Judith et sa servante










Encore une ultime note sur le traitement pictural de Judith qui m'a été inspirée par un commentaire sur la note précédente concernant la servante de Judith, celle à qui échoit la tâche de transporter la tête d'Holopherne. Sur la peinture de Fede Galizia, on remarque, en effet, que même si les deux femmes ne se regardent pas et sont censées appartenir à des conditions différentes, un lien humain, féminin, une complicité, une solidarité totalement indépendante et extérieure au monde masculin semble exister entre elles.
J'ai alors eu envie de comparer deux autres tableaux : ceux d'Artémisia Gentileschi (les deux premiers du haut) qui représentent la scène des deux femmes restées seules avec la tête coupée, à trois autres tableaux masculins cette fois-ci : de h. en b., ceux du Corrège, de Cranach et d'Orazio Gentileschi, père d'Artémisia.
Dans les deux premiers tableaux, on remarque que les deux femmes regardent dans la même direction. Elles épient les bruits, ont peur d'être surprises. Elles poursuivent un seul et même but, elles forment une unité et la tête Holopherne n'est plus qu'un objet à acheminer à bon port qu'il faut bien chercher pour retrouver dans l'image.
Dans les tableaux masculins, on a une représentation exactement inverse : les deux femmes se perdent dans la contemplation de la tête coupée placée au premier plan, ou regardent dans des directions différentes, faisant converger les lignes de la composition vers la tête qui est toujours plus grosse que celle des deux femmes et particulièrement dans le cas du tableau d'Orazio Gentileschi, est placée au centre de l'image, tenue quasiment comme un nourrisson dans ses langes. Bien que le thème soit en principe un hommage à la force de caractère d'une femme qui n'a pas eu peur de risquer sa vie pour abattre un danger public, le personnage principal ne semble pas se trouver spécialement magnifié par ce traitement et la relation entre les deux femmes liées par le danger n'est pas du tout soulignée comme chez Artemisia. En fait ces trois tableaux ont tout faux et sont quasiment hors sujet si on se donne la peine de les analyser vraiment. Ils ont un peu réduit le propos à un sordide fait divers !

vendredi 16 juillet 2010

Fede Galizia et Judith


Fede Galizia (1578-1630), la fille du miniaturiste Nunzio Galizia, surtout connue pour ses remarquables natures mortes, n'a pu se dérober à la mode de son temps et a peint à son tour une "Judith et la tête d'Holopherne". Du moins, une toile de sa main sur ce thème est exposée dans un musée de Floride. Ce qui ne veut pas dire qu'elle n'en a peint qu'une. Celle-ci est problament due à la commande d'une noble dame étant donné l'accent mis sur les riches habits, les bijoux et le maintien de son modèle. Même la tête morte d'Holopherne semble admirer la belle jeune femme.
Fede est la cinquième peintresse que je présente ici ayant traité le sujet "Judith" sur une période d'un siècle.
Et même les historiens de l'art masculins qui font la pluie et le beau temps dans ce domaine, s'accordent à dire que concernant Judith et Holopherne, Artemisia Gentileschi surpasse ses confrères. Il me paraît évident que pour peindre les hauts-faits d'une femme, un homme est moins bien requis.
Vous allez me dire "haut-fait" ? Mais c'est d'un meurtre assez dégoûtant qu'il s'agit !

Il ne faut pas oublier que même aujourd'hui certains assassinats restent considérés comme des actes héroiques. Si Claus von Stauffenberg et ses copains n'avaient pas raté leur opération Walkirie, ils auraient été portés aux nues et célébrés comme des héros. D'ailleurs ils le sont, célébrés, mais comme des martyrs. Et pourtant ils ont belle et bien essayé d'assassiner quelqu'un. Poser une bombe au QG d'Hitler dans l'espoir de l'éliminer est bien une tentative de meurtre, que je sache.
Bien sûr une bombe, ce n'est pas une épée. Réduire un corps en charpie ce n'est pas séparer la tête du corps. Mais sur ce point le monde a changé. On ne disposait pas des mêmes moyens ni d'explosifs dans l'antiquité et ne pouvait donc considérer que c'était LA méthode pour se débarrasser de l'ennemi. Si l'explosif remplace le glaive aujourd'hui, on considère encore et toujours qu'un ennemi mort ne peut l'être que démantelé . Un ennemi mort ne saurait conserver un corps intact. Cette idée est encore parfaitement actuelle.

Lavinia Fontana et Judith




D'Artemisia Gentileschi, cinq tableaux sur le thème de Judith et Holopherne sont parvenus jusqu'à nous, deux représentant Judith et sa servante à la tâche, les trois autres illustrant d'autres passages du récit.

De la peintresse Lavinia Fontana (1552-1614) en voici trois représentations.

Lavinia a préféré contourner la scène d'horreur et représenter Judith, son geste héroïque une fois accompli. Elle s'est plutôt attachée à faire ressortir le mysticisme du modèle biblique en train de lever les yeux vers le ciel et qui semble dire " Le Seigneur tout-puissant les [les ennemis] a contrés par la main d'une femme". (Extrait du livre de Judith)
La tête d'Holopherne gise en bas à droite du tableau, plate comme un dessin sur une surface noire.
La seconde Judith est empressée et se débarrasse négligement de la tête détachée du corps sur lequel elle tourne une dernière fois un visage satisfait d'être parvenu à son but.
Pour le troisième, Lavinia a prêté au personnage le visage d'une aristocrate élégante, probablement une commanditaire qui souhaitait être représentée en Judith.

mercredi 14 juillet 2010

Judith, la coupeuse de tête





Au XXIe siècle, l'Olympe (le domaine des dieux) pour nous qui représentons la masse indistincte de la foule plus ou moins bêlante ou rebelle selon les cas, ce sont les acteurs/chanteurs que nous désignent les médias et aussi quelques intellectuel-le-s acquis-es à la cause médiatique. Chacun de puiser ses héros, ses héroines et ses stars là-dedans, de comparer, d'échanger, d'imiter, d'adorer, de détester en commun ces idoles, bref de ressentir une appartenance commune à travers elles.
Au XVIe siècle, il se passe la même chose. Mis à part que que la référence universelle faisant office de télévision et plus si affinités, c'est la Bible. Retenez bien ce nom. Mais je crois que vous l'avez déjà fait. Quelques dieux grecs, le polythéisme ayant été mal éradiqué, l'astrologie et la cabale, en marge du livre sacré comptent également quelques figures fascinantes certes, mais leur impact reste mineur et c'est la Bible qui remporte le pompon en matière de figures de projection. La femme du XVIe siècle y puisent ses stars préférées dont la première au hit parade est sans conteste Judith du Livre de Judith.
En me promenant sur les blogs, j'ai trouvé un billet sur Lucas Cranach d'une blogoniste qui se posait des questions sur la série de "Judith et Holopherne" réalisée par ce peintre.
Comme je connais Cranach qui avait peut-être plus le sens du commerce que de la peinture d'après moi, il a du en faire faire à la chaîne par son atelier pour toutes les groupies qui en souhaitaient un poster.
Judith délivre son peuple du tyran Holopherne en lui coupant la tête. Ce courage d'une faible femme qui s'attaque au plus puissant d'entre les puissants et qui l'égorge comme un vulgaire poulet, a fasciné les foules. La plus célèbre scène de décapitation d'Holopherne est d'Artemisia Gentileschi, peinture dans laquelle elle semble exprimer une formidable rage misandre mais c'est peut-être une interprétation. D'autres paintresses italiennes du XVIIe siècle ont traité ce thème : Virginia Vezzi (1597-1638) (portrait de Judith ci-dessus, avec l'arme du crime) et Elisabeth Sirani (1638-1665). Au XVIe siècle les éternels peintres de renom : Le Caravage, Véronèse, Mantegna, Botticelli, Le Tintoret, Michel-Ange ont peint cette scène d'une autre manière. Le Caravage a l'air de se mettre dans la peau d'Holopherne et Judith fait figure d'une chochotte un peu dégoûtée, qui ne sait pas manier le tranche-lard.
Quant à la poétesse francaise Gabrielle de Coignard, elle a dédié à cette héroine biblique des sonnets homériens.

En réalité, les femmes de l'Antiquité qui semblent avoir été de célèbres coupeuses de tête, sont au nombre de trois : Judith, Salomé et Thomyris. Et il y a toujours un tyran à la clé.
Judith coupe la tête d'un tyran, Tomyris fait couper la tête à un tyran et un tyran fait couper la tête d'un saint afin d'obtenir le corps de Salomé.
Conclusion : là où il y a un tyran il y a au moins une mort brutale et horrifiante quelque part.
Et parfois là où on s'y attend le moins.
Alors attention les tyrans.

mardi 13 juillet 2010

Remerciements

Je voulais faire part de celles et ceux qui me rendent hommage, à l'aide d'une sorte de gadget qui s'appelle "les blogs qui parlent de moi" où un truc dans le genre, afin de les honorer à mon tour, mais je n'ai pas encore trouvé le bitoniau "kifo" parmi la flopée de fonctions mises à ma disposition. Hélas, je ne suis qu'une blogoniste du dimanche, je l'avoue. Donc je le fais là :

Il y a eu Olympe et le plafond de verre et grâce à elle, la twitteuse Lau Bee.
Merci également à Floreal du blog Chroniques lustrales qui me cite ici

Dans son dernier billet, Héloïse me rend un hommage tout particulier à son tour, en thématisant le fait que l'on va jusqu'à mettre en doute l'existence de certaines poétesses (à lire absolument).

Et en tapant le nom de mon blog pour n'oublier personne, j'ai découvert que, parallèlement, je sers à vendre des toitures garnies de cellules photovoltaiques ici, cela me surprend bien un peu, mais bon, la poésie de Catherine des Roches va peut-être y gagner.

Pour finir, mon billet sur Henri VIII vient d'être traduit en italien sur E-Blogs, la revue européenne des blogs, par Sara Gianfelici. Je la cite et la félicite parce que l'on oublie trop les traducteurs et, surtout, bien entendu : les traductrices (dont je fais partie) !
Merci, bien sûr, à Cathy Nivez qui est l'initiatrice du projet E-Blogs et de cette traduction. J'espère qu'elle passe de très bonnes vacances !

dimanche 11 juillet 2010

Anne de Marquets, contre-réformatrice



Voici la biographie d'Anne de Marquets (1533-1588).
Elle fut à n'en pas douter une grande poétesse puisque ses poésies sont encore étudiées aujourd'hui en littérature même si on n'entend pour ainsi dire jamais parler d'elle.
Petite digression historique :
En vue de maintenir la paix religieuse en France, Catherine de Médicis eut l'idée de réunir dans le prieuré royal Saint-Louis quarante-six prélats catholiques, douze ministres du culte protestant et une quarantaine de théologiens pour s'entendre sur une cohabitation des partis. Cette réunion est connue dans l'histoire sous le nom de Colloque de Poissy et se tint du 9 au 26 septembre 1561. Mais les théologiens orientèrent le débat sur la question de la présence du Christ dans l'Eucharistie et le colloque ne déboucha sur aucune entente de part et d'autre. Le chancelier Michel de l'Hospital exposa la volonté royale : « il faut rétablir l'ordre et l'unité par la douceur ; pour le royaume, la paix est plus importante que le dogme ». Mais ce message n'a pas semblé avoir touché les théologiens.

Du fond de son couvent d'où les femmes ne sortaient jamais, Anne de Marquets se fit alors connaître par ses Sonnets rimés pour « l’assemblée de messieurs les prélats et docteurs, tenue à Poissy » qui n'étaient pas, j'imagine, favorable à un accord mutuel puisqu'Anne de Marquets est connue pour avoir appartenu au mouvement de la Contre-Réforme.

Je ne m'étendrai donc pas sur les opinions "politiques" d'Anne de Marquets (la religion ayant fait office de politique à l'époque) mais citerai plutôt ce poème étudié parfois dans les classes littéraires et qui paraît plus s'adresser aux hommes misogynes de son temps qu'à des huguenots, peut-être les deux se confondent-ils dans son esprit ?


Ne jetez plus sur nous d'injures si grands* sommes

Ne jetez plus sur nous d'injures si grands sommes,
Hommes par trop ingrats et de coeur endurci,
Dieu n'a-t-il pas de nous comme de vous souci ?
N'est-il pas créateur des femmes et des hommes ?

Je sais bien qu'entre vous il y a maints prud'hommes,
Maintes femmes y a vertueuses aussi ;
Et l'un et l'autre sexe il n'y a nul sans si,
Car d'une même chair environnés nous sommes.

Voyez comme aujourd'hui les femmes ont l'honneur
Les premières de voir le souverain Seigneur,
De lui baiser les pieds, d'aller dire aux Apôtres

Qu'il a vaincu la mort et qu'ore il est vivant.
De nous blasonner donc cessez dorénavant :
N'enviez nos honneurs, contentez-vous des vôtres.

*grands signifie ici : grandes.
(La peinture représente le Colloque de Poissy avec Catherine de Médicis vêtue de noir et, à sa g., le petit Charles IX. Catherine comme Marguerite sur l'enluminure du billet précédent porte l'habit de veuve. L'une est veuve d'Henri II, l'autre bien que remariée au roi de Navarre porte encore le deuil de son premier mariage. Toutes les deux resteront vêtues ainsi jusqu'à leur mort. Selon moi parce qu'il devait être moins difficile de se faire respecter à l'époque en tant que femme vêtue d'un uniforme austère qu'avec des dorures et des dentelles !).

Réforme, Contre-Réforme, Schisme, Guerres de Religions : vue d'ensemble.


Le XVIe siècle se lève sur fond d'orage. La dénonciation publique des abus de l'Église par un moine saxon nommé Luther trouve des échos partout. Malgré son excommunication par le pape Léon X, une foule de sympathisants adhère à ses idées d'une réforme de l'Église en profondeur. Les paysans rhénans, se feront massacrés par dizaine de milliers pour avoir vu là une occasion de secouer le joug du servage. Un mouvement de Contre-Réforme se met en place afin de s'opposer par tous les moyens à un quelconque changement. Même le nouveau pape Paul III n'est pas si radical, lui qui débat de ces problèmes sous forme épistolaire avec Marguerite de Navarre, favorable aux réformateurs. Mais il ne va pas jusqu'à inviter Luther au concile de Trente où sera débattu du bien-fondé d'une Réforme. C'est le schisme. Il n'est plus du tout question désormais de réformer l'Église. Il y a maintenant deux religions chrétiennes en occident. Marguerite de Navarre n'adhère pas à la nouvelle religion contrairement à sa fille qui protestantisera tout le sud-ouest. Marguerite meurt au début de la moitié du XVIe siècle au moment où se dessine la guerre civile que l'on appelera "guerres de religions". Les fanatiques de chaque camp veulent la disparition de l'autre. Ceux qui se tiennent en dehors de cette lutte et ne sont pour la disparition de personne, sont baptisés "politiques". C'est le cas de Catherine de Médicis. Ces "politiques" détestés des deux bords sont eux-même menacés par protestants et catholiques. Après les massacres et assassinats que nous savons, Henri IV met temporairement fin à la guerre civile dans le royaume. Henri IV est le petit-fils de Marguerite de Navarre. Le petit-fils a oeuvré de son mieux à rétablir la Paix et à instaurer la Tolérance en France inspiré qu'il fut par une grand-mère exemplaire dans ce domaine. J'en reparlerai.

(L'illustration ci-dessus (v. 1540) où l'on voit Marguerite en conversation avec un paysan, est tirée de son livre "La coche ou le débat d'amour").

vendredi 9 juillet 2010

Nicole Estienne Liébaut dite "Olympe"


Malheureuse en mariage, Nicole Estienne (v. 1545- ap. 1584), nièce du célèbre imprimeur Robert Estienne composa d'admirables stances sur la misère de la femme mariée qui, peut-être, lui avaient été inspirées par le passage du "Miroir" de Marguerite de Navarre cité précédement (thème encore abordé de nos jours par exemple sur ce blog). Mais lisons ces vers intitulés :

Les Misères de la Femme mariée, où se peuvent voir les peines et tourmens qu’elle reçoit durant sa vie, mis en forme de stances par Madame Liebault.
À Paris, chez Pierre Menier, demeurant à la Porte Sainct Victor. In-8.

Muses, qui chastement passez vostre bel aage
Sans vous assujettir aux loix du mariage,
Sçachant combien la femme y endure de mal,
Favorisez-moy tant que je puisse descrire
Les travaux continus et le cruel martyre
Qui sans fin nous tallonne en ce joug nuptial.

Du soleil tout voyant la lampe journalière
Ne sçauroit remarquer, en faisant sa carrière,
Rien de plus miserable et de plus tourmenté
Que la femme subjette à ces hommes iniques
Qui, depourveuz d’amour, par leurs loix tiraniques,
Se font maistres du corps et de la volonté.

Ô grand Dieu tout-puissant ! si la femme, peu caute,
Contre ton sainct vouloir avoit fait quelque faute,
Tu la devois punir d’un moins aigre tourment ;
Mais, las ! ce n’est pas toy, Dieu remply de clemence,
Qui de tes serviteurs pourchasses la vengeance :
Tout ce mal’heur nous vient des hommes seulement.

Voyant que l’homme estoit triste, melancolique,
De soy-mesme ennemy, chagrin et fantastique,
Afin de corriger ce mauvais naturel,
Tu luy donnas la femme, en beautez excellente,
Pour fidèle compagne, et non comme servante,
Enchargeant à tous deux un amour mutuel.

Ô bien heureux accord ! ô sacrée alliance !
Present digne des cieux, gracieuse accointance,
Pleine de tout plaisir, de grace et de douceur,
Si l’homme audacieux n’eust, à sa fantaisie,
Changé tes douces loix en dure tyrannie
Ton miel en amertume, et ta paix en rigueur !

À peine maintenant sommes-nous hors d’enfance,
Et n’avons pas encor du monde cognoissance,
Que vous taschez desjà par dix mille moyens,
Par presens et discours, par des larmes contraintes,
À nous embarasser dedans vos labyrintes,
Vos cruelles prisons, vos dangereux liens.

(...)

(...)

(...)

Si c’est quelque pauvre homme, helas ! qui pourroit dire
La honte, le mespris, le chagrin, le martyre
Qu’en son pauvre mesnage il luy faut endurer !
Elle seulle entretient sa petite famille,
Eslève ses enfans, les nourrit, les habille,
Contre-gardant son bien pour le faire durer.

Et toutes fois encor l’homme se glorifie
Que c’est par son labeur que la femme est nourrie,
Et qu’il apporte seul ce pain à la maison.
C’est beaucoup d’acquerir, mais plus encor je prise
Quand l’on sçait sagement garder la chose acquise :
L’un despend de fortune, et l’autre de raison.

S’elle en espouze un riche, il faut qu’elle s’attende
D’obeir à l’instant à tout ce qu’il commande,
Sans oser s’enquerir pour quoy c’est qu’il le fait.
Il veut faire le grand, et, superbe, desdaigne
Celle qu’il a choisie pour espouze et compaigne,
En faisant moins de cas que d’un simple valet.

Mais que luy peut servir d’avoir un homme riche,
S’il ne laisse pourtant d’estre villain et chiche ?
S’elle ne peut avoir ce qui est de besoin
Pour son petit mesnage ? Ou si, vaincu de honte,
Il donne quelque argent, de luy en rendre compte,
Comme une chambrière, il faut qu’elle ait le soin.

Et cependant monsieur, estant en compagnie,
Assez prodiguement ses escus il manie,
Et hors de son logis se donne du bon temps ;
Puis, quand il s’en revient, fasché pour quelque affaire,
Sur le sueil de son huis laisse la bonne chère6.
Sa femme a tous les cris, d’autres le passe-temps.

Il cherche occasion de prendre une querelle,
Qui sera bien souvent pour un bout de chandelle,
Pour un morceau de bois, pour un voirre cassé.
Elle, qui n’en peut mais, porte la folle enchère,
Et sur elle à la fin retombe la colère
Et l’injuste courroux de ce fol insensé.

Ainsi de tous costez la femme est miserable,
Subjette à la mercy de l’homme impitoyable,
Qui luy fait plus de maux qu’on ne peut endurer.
Le captif est plus aise, et le pauvre forçaire
Encor en ses mal heurs et l’un et l’autre espère ;
Mais elle doit sans plus à la mort esperer.

Ne s’en faut esbahir, puis qu’eux, pleins de malice,
N’ayans autre raison que leur seulle injustice,
Font et rompent les loix selon leur volonté,
Et, usurpans tous seuls, à tort, la seigneurie
Qui de Dieu nous estoit en commun departie,
Nous ravissent, cruels ! la chère liberté.

Je laisse maintenant l’incroyable tristesse
Que ceste pauvre femme endure en sa grossesse ;
Le danger où elle est durant l’enfantement,
La charge des enfans, si penible et fascheuse ;
Combien pour son mary elle se rend soigneuse,
Dont elle ne reçoit pour loyer que tourment.

Je n’auray jamais fait si je veux entreprendre,
Ô Muses ! par mes vers de donner à entendre
Et nostre affliction et leur grand’ cruauté,
Puis, en renouvellant tant de justes complaintes,
J’ay peur que de pitié vos ames soient atteintes,
Voyant que vostre sexe est ainsi maltraicté.


(Nicole Estienne fut aimée d'un poète nommé Jacques Grévin qui réalisa un oeuvre composé de sonnets, de chants, d'odes, de vilanelles, etc..intitulée "Olympe" et dédiée à Nicole. Il l'aurait épousé et sans doute rendue heureuse s'il n'était mort âgé de 29 ans sans avoir pu l'épouser. On associe souvent à Nicole Estienne Liébaut le nom d'Olympe).

jeudi 8 juillet 2010

En quoi le "Miroir" de Marguerite de Navarre est-il un brûlot ?


En quoi ce poème religieux de plus de 1500 vers a t-il pu devenir un brûlot ?

Sans vouloir disséquer toute l'oeuvre, on peut en prélever des extraits et chercher ce qui a pu faire bondir les sorbonnards :

A cette époque, ces censeurs examinaient en premier lieu tout ce qui ressortait de la foi. Et les doctrines théologiques de Martin Luther transpirent quelque peu dans le poème de Marguerite. Elle se décrit comme «de la boue avant la vie, de la fiente après », elle déclare que ses péchés l'accablent : [ils sont] « en grand nombre », que son corps est voué « au mal, à l’ennui, à la douleur, à la peine, à une vie très brève et une fin incertaine. »

Cette dévalorisation de la nature humaine revient à séparer le temporel et les affaires d’ici-bas du spirituel et les affaires d’En-Haut en accordant la priorité au premier. Scandale !

Plus grave encore, elle affirme explicitement que l'âme humaine ne peut faire appel à ses propres ressources pour se corriger, car elle « gît à terre, sans clarté ni lumière, chétive, esclave et prisonnière, les pieds liés par la concupiscence ».

Elle conteste même l'utilité de la prière : car Jésus « n’attend pas qu’humblement on le prie ». Ce serait même plutôt son Esprit qui « pousse un gémissement dans le coeur » de celui qui crie à l’aide.

Bref, la grâce, c’est-à-dire l’intervention directe de Dieu dans le cœur humain, est la seule bouée de sauvetage de l'âme qui se noie. Marguerite décrit la grâce comme ce qui « illumine les ténèbres par sa clarté », qui vient « déchirer le voile de l’ignorance » et « donner l’intelligence » de toutes choses.

Cette idée que la grâce divine se passe d'Eglise institutionnelle, c'est bien exactement le cri de guerre de Luther. Sola gratia (la grâce seule) qui exclue absolument l'intercession du prêtre. Les ecclésiastiques se sentent menacés. Il en va de la stabilité de la société.


Extrait :

Où est l'Enfer remply entierement
De tout malheur, travail, peine et tourment?
Où est le puitz de malediction,
D'où sans fin sort desesperation?
Est il de mal nul sy profond abysme
Qui suffisant fust pour punir la disme
De mes pechés, qui sont en sy grand nombre
Qu'infinité rend sy obscure l'ombre
Que les compter ne bien voir je ne puys?
Car trop avant avecques eux je suis.
Et qui pis est, je n'ay pas la puissance
D'avoir d'un seul, au vray, la congnoissance.
Bien sens en moy que j'en ay la racine,
Et au dehors ne voy effect ne signe,
Qui ne soit tout branche, fleur, fueille et fruit,
Que tout autour de moy elle produit.


Dès la première strophe, Marguerite pose la question de savoir où se trouve l'Enfer ? Sa réponse : il est ici-bas puisque l'enfer C'EST le péché sur lequel l'être humain n'a pas le pouvoir que lui prête le dogme catholique...horreur !

Tout ou presque dans ce poème interroge et donc remet en cause en profondeur les doctrines qui servent de fondements à la société de l'époque.
C'est donc un pavé dans la mare.
Le genre de pavé dans la mare qui, pour donner un exemple actuel, consisterait à affirmer que le concept de développement durable est totalement absurde.

Bien sûr, on ne pendra pas les personnes qui énoncent cette "hérésie" mais elle sera indéniablement percue comme telle (cette époque n'étant pas plus que le XVIe siècle exempts de croyances, loin s'en faut).

Mais dans le "Miroir" on ne trouve pas que des théories empruntées à la Réforme.
On trouve bien d'autres choses comme cette critique des maris :

Si pere a eu de son enfant mercy,
Si mere a eu pour son filz du soucy,
Si frere à sœur a couvert le peché,
Je n'ay point veu, ou il est bien caché,
Que nul Mary, pour à luy retourner,
Ayt à sa femme onc voulu pardonner.
Assez en est qui pour venger leur tort,
Par jugement les ont fait mettre à mort.
Autres, voyans leur peché, tout soudain
A les tuer n'ont espargné leur main.
Autres, voyans leurs maux trop apparentz,
Renvoyées les ont chez leurs parentz.
Autres, cuydans punir leur mauvais tour,
Enfermées les ont dens une tour.
Bref, regardez toutes complexions,
La fin n'en tend qu'à grands punitions.
Et le moins mal que j'en ay peu sçavoir,
C'est que jamais ilz ne les veulent voir.
Plus tost feriez tourner le firmament
Que d'un Mary faire l'appointement,
Quand il est seur du peché qu'elle a fait,
Pour l'avoir veüe ou prinse en son meffait.

Autant le pardon entre parents directs semble une évidence, autant l'époux se montre incapable de passer l'éponge sur les impairs de sa femme, n'hésitant pas éventuellement à l'assassiner, déclare Marguerite, à une époque où les femmes qui ont à souffrir de la condition d'épouse sont bien plus nombreuses qu'aujourd'hui. La preuve : la majorité des très jeunes veuves de la noblesse (comme Louise de Savoie la propre mère de Marguerite, veuve à dix-huit ans) refusait absolument de se remarier.



L'historien de la littérature Abel Lefranc (1863-1952) dit de Marguerite de Navarre :

« La poésie religieuse et philosophique, celle qui ne craint pas de laisser au second plan les joies et les plaintes de l’amour pour s’attacher de préférence aux grands problèmes et aux anxiétés qu’ils provoquent dans l'âme humaine, est, pour une grande part, redevable à Marguerite de son existence... »

(Précision : cette reine de Navarre là n'est pas "la reine Margot" c'est sa grande-tante. Autrefois on l'appelait "Marguerite d'Angoulême". Du moins était-elle citée sous ce nom dans les livres scolaires).

mercredi 7 juillet 2010

Pourquoi a t-on pendu Antoine Augureau ?


Antoine Augureau était imprimeur/éditeur/libraire (ces métiers n'en formaient qu'un au XVIe siècle) à Paris. Le créateur Claude Garamond du caractère typographique éponyme encore utilisé aujourd'hui, apprit ce métier auprès de lui. Après avoir publié Francois Villon et Clément Marot, il fut pendu sur la place Maubert le 24 décembre 1534 pour avoir imprimer le premier livre de Marguerite de Navarre : "Le miroir de l'âme pécheresse" qui ne plaisait ni aux ecclésiastiques ni à la Sorbonne.
Après la pendaison, son corps et ses livres furent brûlés. Comme nous n'avons pas vraiment de portrait de lui, je lui prête le visage de l'archéologue contemporain Bjoern en costume du XVIe siècle.

(Cette histoire est relaté sous forme de roman dans l'excellent livre d'Anne Cunéo "Le Maître de Garamond" aux édit. Stock, 2003).

La reine de Navarre s'excuse d'oser écrire alors qu'elle n'est qu'une femme


La grande, l'immense Marguerite de Navarre dont j'ai déjà parlé ici et qu'Hélisenne de Crenne donne en exemple à la fin de son énumération de personnages féminins tirées de la Bible bien qu'elle soit un personnage contemporain, fut, si je peux me permettre cette comparaison, la Marguerite Yourcenar du XVIe siècle et bien plus encore. Elle couvre de son ombre majestueuse la vie intellectuelle de l'époque, les grands hommes de toute l'Europe ne cessent de lui exprimer leur admiration et de lui rendre hommage, Rabelais lui dédie son oeuvre, elle est l'amie d'Erasme, de Calvin, du pape Paul III et d'autres encore, quant au poète Clément Marot, il est son valet.

Tout cela ne l'empêche pas de s'excuser d'écrire, afin de se prémunir des attaques misogynes et préface l'une de ses oeuvres ainsi :


Si vous lisez ceste oeuvre toute entiere

Arrestez vous , sans plus, à la matiere,

En excusant le rhythme et le langage

Voyant que c'est d'une femme l'ouvrage


Marguerite de Navarre

lundi 5 juillet 2010

Avertissement : il y a un bug sur mon blog. J'ai essayé deux fois de répondre à vos commentaires mais mes réponses ont disparu après enregistrement. Je vous prie donc de bien vouloir m'excuser de cette panne qui, je l'espère est momentanée.

La bataille d'Helisenne contre la misogynie

Avec ses Epistres familieres et invectives, Helisenne de Crenne (v.1510-v.1560), écrivaine et traductrice, répond à ceux qui vouent une détestation aussi furieuse qu'imbécile à la partie du genre humain qui a eu le malheur de naître femmes dans une société où il faut coexister avec elle.

Je vous livre son combat contre les mysogynes sous forme de commentaires de blog avec insultes de phallocrates tirées de la Bible contre arguments antisexistes tirés de cette même Bible (entre autres) :

Gratien Du Pont a dit : Le créateur a plus estime en somme / Le plus méchant, et le plus infect homme / Le plus mauvais, et plus vilain infâme / Que la plus sainte, et plus dévôte femme.
[elle est] Luxurieuse, sans fin pensant en mal / L'aide et secours du grand prince infernal. Tout mal provint de femme anciennement / Témoin Adam, décu vilainement.

Exemples sur le péché de luxure. Et premièrement des histoires de la sainte écriture :

"femme abuseresse," "de maulx affluante," "infaicte meschante," "au monde nuysante," "grande tromperesse," "en bien negligente," "en luxure ardente," "charogne puante," "de vices regente," "en scavoir asnesse," "de vertu impotente," "de mal instiguante," "des bons bayssante," "grande pecheresse," "oeuvre insuffisante," "a Dieu malplaisante," "d'orgueil la deesse," "de l'homme servante,"


Philippe Fournel a dit : [je dirais même plus] "de lubricité attaincte, de luxure fétides & maculées, il faut [lui] inférer [donner] punition, telle que [son] inique scélératesse l'a desservie. Son effrénée lascivité, sa luxure abominable, et beauté, fard et ornements, dont tant de malheurs s'ensuivent car il est notoire qu'étant la féminine condition de luxure prévenue, une merveilleuse audace l'associe"

Pour certain il n'y a plus superbe ni périlleux ennemi de l'homme que la femme . . . . O que infélices [malheureuses] sont vos beautés, fards et ornements, dont tant de malheurs s'ensuivent . . . la guerre aucunes fois est cause de nous faire en leurs lacs (lacets, piège) déceptifs succomber.


Helisenne a dit : Mais voyant que généralement tu détestes la féminine condition, m[']a semblé que trop est grande l'injure, puis qu'elle est universelle. Et pour ce passant sous silence, ce que je pourrais répondre, à ce que particulièrement tu me dis, je donnerai principe [je commencerai par] à approuver [prouver] fausse l'accusation, que tu fais de nos malicieuses oeuvres.


Philippe Fournel a dit : "[les] femmes sont infidèles, inconstantes, frauduleuses et déceptives [décevantes]"

"que l'on ne doit entendre la tromperie d'une femme, c'est qu'on se doit préserver de l'iniquité féminine et de la melliflue [mielleuse] prononciation d'une femme estrange [antipathique].

Helisenne a dit : [dans la Bible] qu'en la femme forte et bonne le coeur de son mari repose et s'y est dit aussi que la femme est la couronne de l'homme, édifie sa maison, et que c'est sa consolation et hilarité (joie).

„Et si elle causait si mauvais effets comme tu dis, en Deutéronome, ne serait permis aux enfants d'Israel, d'élire entre les captives et prisonnières, les belles femmes"

"Nous lisons du serviteur d'Abraham, que quand il eut dressé sa vue sur Rebecca fille d'admirable beauté, il dit secrètement en soi même, icelle est la femme que Dieu a appareillée pour Isaac"

"Je me recorde [souvient] aussi d'Abiguail femme de Nabal, très malicieux homme : laquelle n'était moins prudente que belle, qui pour occasion de conserver la vie et les biens de son mari, nonobstant la férocité de David, et ainsi fut l'homme inique préservé par la beauté de sa femme"

"Car David lui répondit les paroles qui s'ensuivent. "Vas en paix en ta maison car j'ai ouie ta voix et ai honoré ta face" et quand à ce que tu dis de la curiosité féminine, en somptueux et riches accoutrements, Saint Jérôme a rédigé par écrit, que les femmes et filles sont désireuses de précieux vêtements et savait plusieurs dames pudiques le faire, non pour complaire aux fols, ni par orgueil, mais par honnêteté ayant regard à l'état et noblesse de leurs maris, ou de leur père.

Suzanne lors qu'elle fut molestée de la perversité des deux vieillards se mundifioit [se lavait] a la fontaine, et avait envoyé investiguer [quérir] par ses pedissecques [servantes] onguens odoriférants, pour la conservation de sa naturelle beauté, et pour complaire à son mari. Et pour ce que les choses mentales nous sont occultés, nous ne devons être prompts à faire jugements des intentions d'autrui et pour ce que les occasions nous sont ignorées, nous devons toujours prendre les choses de la meilleure part"

"Prenez la veuve Judith pour exemple de chasteté et la magnifiez par louange triomphale, et par cantiques perpétuels car celui qui est rémunerateur de sa chasteté l[']a faite, non seulement digne d'être imitée des femmes mais aussi des hommes, et l[']a tant favorisée qu'il lui a concédé telle vertu, qu'elle a obtenu victoire de celui qui demeurait invincible de tous et a supédité [surmonter] celui qui était insupérable [insurmontable].

Car je suis certaine que tu ne voudrais être du nombre d'aucunes pusillanimes femmes. (...) son nom primitif, qui était Hélisa, mais subséquentement appelée fut Didon, qui en langage Phénicien est interprété, et vaut autant à dire comme Virago, exercant oeuvres viriles. Certainement c'était celle que l'adverse fortune ne pouvait aucunement superer [supporter] Car à l'heure que icelle instable la voulait totalement prosterner en permettant la mort immaturée de son fidèle mari, cette Didon fit grande démonstration de sa vertu . . . par elle fut construite et édifiée la noble cité de Carthage laquelle depuis fut très fameuse et renommée.

"Bien pourrait-on dire pourtant, qu'en un passage de son Livre touchant les Angoisses amoureuses, elle donne une fâcheuse touche a tout détracteur de Femme, quand en une lettre qu'elle envoya a un certain Elenot (qui maintenait fort et ferme les Femmes ne se devoir mêler que de filer) elle renverse aussi plaisamment ses ironiques Raisons"

"les filles de Lélius, & celles de Hortensius (très fameux orateurs) [qui] rendirent par leurs savoirs, l'élégance de leurs pères singulièrement recommandée"

"Damas, fille de Pythagore [qui] fut si très périte [supérieure] et savante en Philosophie, qu'après que les troys soeurs eurent coupé le fil vital à son père, elle exposait les difficultés de ses sentences"

"la reine Zénobia [qui] fut tellement instruite par Longin philosophe a que pour l'abondante et reluisante science des écritures, fut nommée Ephinisa, dont Nicomaque translata [traduisit] les saintes & sacrées oeuvres"

"en Grec Déborah [qui] fut tant prudente et discrète, que comme l'on lit au livre des Juges, pour quelque temps exerca l'office de Judicature sur le peuple d'Israel"

"Valérie vierge Romaine [qui] fut si experte en lettres Grecques & Latines, qu'elle expliqua les vers et mètres de Virgile, à la foi et aux mystères de la religion chrétienne"

"Aspasie [qui] fut de si extrême savoir remplie, que Socrate philosophe tant estimé, ne fut honteux d'apprendre quelque science d'elle"

"Alpaides, vierge & religieuse [qui] fut de la grace divine tant illuminée, qu'elle eut le sens des livres de la sainte Bible"

"la très illustre et magnanime princesse, ma dame la reine de Navarre en laquelle réginale, excellente et sublime personne, réside la divinité platonique, la prudence de Caton, l'éloquence de Cicéron, et la socratique raison"

[Le texte de Judith est l'une de] tant de véritables histoires à l'encontre de [son] invétérée malice faveur [lui] prêtant jugement, que le sexe féminin, plus que le masculin était lubrique" (...) [il faut] "extirper [les] damnables opinions"
"le Dieu éternel . . . que par grâce spéciale, de telle obstination [le] libère"


Philippe Fournel a dit : (la femme) "derelinquant [délaissant] la raison, à la sensualité adhère" l'injure universelle" on "ne se peut garder d'incréper [de détracter] en général la condition muliebre [féminine]"

Helisenne a dit : Si plusieurs en y a de perverses, cela n'argue ni montre la malice de la nature, non plus que des hommes, entre lesquels plusieurs sont larrons, meurtriers, faux et déloyaux. Entre iceux aucuns ont écrit par leur curiosité invectives contre le sexe feminin, qui les devaient attribuer à tous les deux"

"les hommes sont plus brutaulx que les autres animaulx"

O que c'est une exécrable iniquité d'homme de telle faute à la femme attribuer, vue qu'en cela sa secrète conscience le juge et sait bien que lui même toujours s'efforce d'être le décepteur. Car depuis que l'homme par luxurieux désir, jette ses yeux impudiques sur l'honnête beauté de quelque dame, il use de continuelle poursuite, de sorte qu'il semble qu'il ne s'efforce moins de la subjuguer, que si par machine ou instruments belliqueux, prétendait à l'obsession d'une [à assieger une] cité (...)

"si . . . tu persiste en ton antique folie, qui serait cause de faire émouvoir la fureur de ma plume laquelle me stimulerait de t'écrire propos plus facheux, que tu ne pourrois précogiter [imaginer]"

Philippe Fournel a dit : "Si tu veux femme, prend la de ton voisin/Car maintes fois, tant par monts que par vaux/L'on est trompé , en femmes et chevaux"

Helisenne a dit : "Ne sais-tu que la chaste Suzanne de faux délateurs fut accusée ? Mais étant la splendeur de sa sincérité bien grande, par faux rapport, ne se peut longtemps occulter. Par quoi son innocence fut purgée et démontrée. Si cela en ta mémoire assiste, facilement ta douleur mitigeras"

"Mais pour timeur [crainte] que remontrances ne fussent suffisantes, pour extirper tes damnables opinions, m'en déporterai et dormant repos à la fatiguée plume, le Dieu éternel exorterai, que par grâce spéciale, de telle obstination jugement, que le sexe féminin, plus que le masculin était lubrique" te libère [délivre]"

"Et parlant en général tu dis que femmes sont de rudes et obnubilés esprits par quoi tu conclus, que autre occupation ne doivent avoir que de filer. Ce m'est une chose admirable de ta promptitude, en cette détermination. J'ai certaine évidence par cela [que si en ta faculté était] tu prohiberais le bénéfice littéraire au sexe féminin L'impropérant [la soupconnant] de n'être capable des bonnes lettres"

(extraits)

Mais les mysogynes poussent comme du chiendent et en 1617 Jacques Olivier éprouve le besoin irrépréssible de composer un „Alphabet de l'imperfection et malice des femmes“. Sa dédicace : "la plus imparfaicte creature de l'univers, l'ecume de la nature, le seminaire de malheurs, la source de querelles, le jouet des insenses, . . . l'allumette du vice, la sentine d'ordure, un monstre de nature, un mal necessaire."

Chacun de ses 25 portraits ou perceptions des femmes correspond à une lettre de l'alphabet. Par exemple, "Advissimum animal, animal tres avide; Bestiale baratrum, abime de betise; Concupiscentia carnis, concupiscence de la chair; Duellum damnosum, duel dommageable; Estuans aestans, ete brulant"; etc...

(Gratien Du Pont „Controverses des sexes masculin et femenin (Suivi de: requeste du sexe masculin contre le sexe féminin)
Philippe Fournel mari de Helisenne de Crenne dont elle se séparera comme on s'en doute !)