"Cet acte ici, et plusieurs autres, fit ce bon religieux, durant trois ans qu'il fut amoureux de la religieuse. Laquelle, comme j'ai dit, bailla par la grille à son frère tout le discours de sa piteuse histoire. Ce que le frère porta à sa mère, laquelle, toute désespérée, vint à Paris où elle trouva la Reine de Navarre, soeur unique du roi, à qui elle montra ce piteux discours en lui disant : « Madame, fiez-vous une autre fois en vos hypocrites ! Je pensais avoir mis ma fille aux faubourgs et chemins de paradis, et je l'ai mise en celui d'enfer, entre les mains des pires diables qui y puissent être. Car les diables ne nous tentent, s'il ne nous plaît, et ceux-ci nous veulent avoir par force où l'amour défaut ! » La Reine de Navarre fut en grande peine, car entièrement elle se confiait en ce prieur de Saint-Martin, à qui elle avait baillé la charge des abbesses de Montivilliers et de Caen, ses belles-soeurs. D'un côté le crime si grand lui donna telle horreur et envie de venger l'innocence de cette pauvre fille qu'elle communiqua au chancelier du roi, pour lors légat en France, de l'affaire. Et fut envoyé quérir le prieur de Saint-Martin, lequel ne trouva nulle excuse, sinon qu'il avait soixante-dix ans. Et parlant à la Reine de Navarre, la pria sur tous les plaisirs qu'elle lui voudrait jamais faire, et pour récompense de tous ses services et de tous ceux qu'il avait désir de lui faire, qu'il lui plût de faire cesser le procès, et qu'il confesserait que soeur Marie Héroët était une perle d'honneur et de virginité. La Reine de Navarre, oyant cela, fut tant émerveillée, qu'elle ne sut que lui répondre, mais le laissa là, et le pauvre homme tout confus se retira en son monastère, où il ne voulut plus être vu de personne, et ne vécut qu'un an après. Et soeur Marie Héroët, estimée comme elle devait par les vertus que Dieu avait mises en elle, fut ôtée de l'abbaye de Gif où elle avait eu tant de mal, et faire abbesse, par le don du Roi, de l'abbaye de Gy près de Montargis, laquelle elle réforma. Et vécut comme celle qui était pleine de l'esprit de Dieu, le louant toute sa vie de ce qu'il lui avait plu lui redonner son honneur et repos".
Fin
Le portrait est une oeuvre du photographe néerlandais Hendrik Kerstens né en 1956.
Ce serait bien que tu nous les commentes ces photos, comme tu les comprends... car elle sont toutes d'une très belle facture, mais est-ce qu'on distingue bien le propos du créateur??
RépondreSupprimerEst-ce par exemple simple volonté esthétisante ou cherche-t-il aussi le malaise...?
Ce sont les questions que je me pose personnellement.
A Bettina : qu'en dire ? J'ai lu une interview du père et de la fille (Paula Kerstens) et ce que je sais c'est qu'ils font depuis longtemps ce job en commun, qu'elle se sent très à l'aise, se définit comme une muse. Elle a un copain et étudie les "sciences culturelles" (Kulturwissenschaft). Elle aimerait être galeriste à Berlin. Lui est influencé par Vermeer et s'intéresse à la religion mais sur un plan artistique, je ne sais pas exactement. En tout cas ils travaillent tous deux actuellement pour l'opéra bavarois. Ici l'affiche du "Dialogue des Carmélites de Poulenc, entre autres (il faut cliquer en bas de page sur les affiches format timbre poste, elles s'agrandiront) : http://blog.staatsballett.de/blog/duerfen-wir-vorstellen-das-ist-paula
RépondreSupprimerJe voulais ajouter que moi je trouve qu'il (le photographe) traduit bien une certaine fragilité, une certaine solitude et une certaine oppression qui, dans cette société, sont ressentis par beaucoup de femmes. Les fonds obscurs (= solitude), le visage exagérément mis en relief (= exposition sans protection), l'expression toujours légèrement apeurée (= oppression).
RépondreSupprimerEt puis après il y a une composante à la fois humoristique et satirique, c'est le couvre-chef. Cela m'a fait pensé que même nos cheveux nous les portons comme un couvre-chef. Certaines coiffures sont ridicules comme des chapeaux. Et puis cela veut un peu dire "L'habit (le chapeau, le bout de tissu ou de plastic sur la tête) ne fait pas le moine" ce qui va bien avec l'histoire de Marie Heroët.
Ouf, l'histoire finit bien !
RépondreSupprimerJe suis allée un peu voir le texte de Marguerite de Navarre : son Heptaméron et ses histoires sont disponibles sur le site de la BNF en accès libre. Merci pour cette découverte.
A Hypathie : je suis très ravie d'avoir pu t'intéresser à Marguerite de Navarre qui semble t-il ne raconte que des histoires réelles !
RépondreSupprimerAvec beaucoup de plaisir, je viens de lire les 7 épisodes qui en plus sont très bien illustrés...
RépondreSupprimerComme Hypathie je me suis dit OUF. Mais, il y a toujours un mais, l'âge exempt-il le châtiment?
RépondreSupprimerLa série de photos est des plus intéressante, tes explications aussi. Merci pour tout.
Merci pour ce récit. Tu m'as fait découvrir cette histoire et moi aussi je me suis dit un grand "ouf" de soulagement. Ca fait du bien!
RépondreSupprimerA Fille du Midi, Colo et Alice : je suis très contente que la combinaison texte et illustrations vous ait plu ! Merci pour vos éloges.
RépondreSupprimerA Colo : On peut se consoler en se disant que pour un ignoble hypocrite comme ce prieur, être démasqué, perdre la face, sa belle notoriété et être désormais considéré comme un monstre, est déjà un châtiment en soi. Marguerite de Navarre lui a peut-être su gré de ne pas avoir nié et au lieu d'accuser la victime, ce qui se pratique beaucoup aujourd'hui, l'avoir au contraire blanchie de toutes les calomnies qu'il avait répandues sur elle. Mais bien sûr c'est un peu frustrant quand même, je reconnais.
A Alice : Heureusement que M.H. a pu bénéficier d'une aide extérieure. Seule elle n'avait aucune chance. Pendant toute la première moitié du XVIe siècle où elle a vécu, Marguerite de Navarre a tiré tant de gens d'affaire qu'il était devenu naturel de faire appel à elle en cas de problème.