lundi 16 mai 2011

Violence et abus sexuels : qu'est-ce qui a changé en 460 ans ?

Oui, je sais, 460 ans c'est long. Mais justement, Nous sommes censés avoir fait des progrès faramineux depuis tout ce temps ! Nous sommes censé nous être développés, civilisés, humanisés, droidelomisés, libérés, solidarisés, égalisés.

Depuis qu'il est de nouveau question d'agression sexuelle à la une, j'ai relu l'Heptaméron de Marguerite de Navarre car se niche là la France profonde de l'attentat sexuel. Attentat sexuel qui n'a cessé d'être plus ou moins vu comme ÉLÉMENT de la vie amoureuse et privée. Si, si. En France l'agression sexuel reste assimilé dans l'esprit masculin à une sorte d'"avance" !

Exemple : dans la 41e nouvelle, M. de N. raconte que dans la nuit de Noel, un confesseur après avoir écouté les confessions d'une jeune fille qu'il dut trouver sans doute alléchante, lui donna une drôle de pénitence à exécuter pour la rémission de ces péchés. Elle devait ceindre la corde de la robe du moine confesseur en question sur sa peau nue et prier dans cette tenue étrange. La jeune fille répondit qu'à cela ne tienne, elle prendrait la corde avec elle et irait exécuter la pénitence tranquille dans sa chambre. Mais le moine expliqua qu'elle ne serait absoute que si elle se déshabillait sous ses yeux, ben voyons. La jeune fille, bien que du XVIe siècle et donc ne lisant aucun journal ni blog, comprit quand même qu'il y avait quelque chose de pas catholique là dessous et se plaignit de lui à qui de droit.
Je résume cette nouvelle parce que les réactions des auditeurs consignées à la fin m'intéressent plus que l'histoire elle-même. En effet, le principe de ce livre a une certaine parenté avec un blog puisqu'à la fin de chaque histoire, la même bande de commentateurs y va de sa réflexion sur ce qui vient d'être narré.
Pour souligner l'intéressant écart entre les réactions féminines légitimement scandalisées et masculines nettement plus solidaires du criminel, je désigne les intervenants sous le nom d'"homme" et de "femme" et je les numérote puis je traduis un peu les idées émises pour faciliter la compréhension.

Homme 1 (le conteur de la nouvelle) : Regardez, mesdames, si en une maison si honorable ils n'ont point peur de déclarer leurs folies, qu'ils peuvent faire aux pauvres lieux où ordinairement ils vont faire leurs quêtes, où les occasions leur sont présentées si faciles que c'est miracle quand ils échappent sans scandale. Qui me fait vous prier, mesdames, de tourner votre mauvaise estime en compassion. Et pensez que celui qui aveugle les Cordeliers n'épargne pas les dames quand il le trouve à propos.
Homme 1 veut dire que puisque les moines ont de très grosses facilités à abuser des jeunes femmes pauvres et le font si massivement que c'est miracle qu'ils ne se fassent pas prendre, il faut donc mesdames être compatissante en voyant que les moines s'en prennent aussi bien à de grandes dames (la jeune fille appartient à la célèbre maison d'Egmont) et que "celui qui les aveugle" (le diable?) ne fait pas de différence sociale = l'agression sexuel serait moins grave si elle est socialement égalitaire !!!

Femme 1 : Vraiment, voilà un bien méchant Cordelier ! Être religieux, prêtre et prédicateur, et user de telle vilenie au jour de Noel, en l'église et sous le manteau de confession, qui sont toutes circonstances qui aggravent le péché !
Femme 1 pour sa part, ne voit que des circonstances aggravantes et aucune circonstance atténuante.

Homme 2 : Il semble à vous ouir parler que les Cordeliers doivent être des anges, ou plus sages que les autres. Mais vous en avez tant oui d'exemples que vous les devez penser beaucoup pires. Et il me semble que cette nuit est bien à excuser, se trouvant tout seul, de nuit, enfermé avec une belle fille.
Homme 2 plaide la sacro-sainte erreur humaine, la quantité des cas qui banalise celui-ci, la solitude qui manque de gaieté sans parler de la beauté de la fille, c'est de sa faute.

Femme 1 : Voire, mais c'était la nuit de Noel !
Pour Femme 1 ce moine ne respecte rien.

Homme 3 : Et voilà qui augmente son excuse, il voulait essayer à faire un petit enfant, pour jouer au vif le mystère de la Nativité !
Homme 3 trouve là l'occasion de faire une fine plaisanterie à l'époque où se donnait encore des "mystères", ces interprétations bibliques sous forme de scénettes.

Femme 2 : Vraiment ,s'il eût pensé à Joseph et à la Vierge Marie, il n'eût pas eu la volonté si méchante. Toutefois c'était un homme de mauvais vouloir, vu que pour si peu d'occasion il faisait une si méchante entreprise.
Femme 2 rappelle que Joseph et la vierge Marie étaient chastes entre eux et qu'utiliser une occasion comme Noel afin d'attenter à la pudeur de quelqu'une est en dessous de tout.

Femme 3 : Mais à savoir mon, si elle fit bien de scandaliser ainsi son prochain, et s'il eût pas mieux valu qu'elle lui eût remonté ses fautes doucement que de les divulguer ainsi.
Alors là, personnellement je reconnais bien Femme 3, la missionnaire qui croit qu'il faut rééduquer GENTIMENT le petit garcon et ne pas le blâmer. C'est trop méchant. La pauvre victime c'est lui, tout compte fait.

Homme 4 : Je crois que c'eût été bien fait, car il est commandé de corriger notre prochain entre nous et lui, avant que le dire à personne ni à l'Église. Aussi, depuis qu'un homme est éhonté, jamais se peut-il amender, parce que la honte retire autant de gens du péché que la conscience.
Homme 4 s'engouffre dans la brèche. Ben oui, enfin, est-ce qu'on dénonce comme ca un pauv' moine sans prévenir ? C'est lui faire honte et une fois montrer du doigt comment voulez-vous qu'il regrette son péché qui d'ailleurs du coup n'en est plus un ?

Femme 2 : Je crois qu'envers chacun se doit user le conseil de l'Évangile, sinon envers ceux qui la prêchent et font le contraire, car il ne faut point craindre à scandaliser ceux qui scandalisent tout le monde. Et il me semble que c'est grand mérite de les faire connaître tels qu'ils sont, afin que nous ne prenons pas un doublet pour un rubis.
C'est Femme 2 qui a le mot de la fin : il ne faut pas craindre du tout de faire honte à ceux qui se comportent de manière scandaleuse, au contraire. Ainsi on dévoile au grand jour qui ils sont vraiment et on ne peut plus se méprendre sur eux et sur leur valeur.

Dans ces sept personnages on reconnaît parfaitement les types de réactions que l'on observe aujourd'hui encore, dès qu'il est question de ce genre d'affaire. Il y a ceux qui font semblant de s'indigner tout en trouvant dans le crime lui-même un élément qui le transformerait en héroisme, celleux qui s'indignent (normal), ceux qui généralisent à l'humanité entière (pas des anges) et qui ne trouvent que des circonstances atténuantes, ceux qui trouvent cela drôle et banal, celleux qui blâment la victime, celleux qui en rajoutent quand on blâme la victime et celleux qui dénoncent normalement un acte répréhensible.

Franchement, qu'est ce qui a changé ? Les hommes de la France d'aujourd'hui ont-ils compris entre temps que l'attentat sexuel est un crime, ou ne l'ont-ils toujours pas plus compris que ces hommes de l'Ancien Régime à peine sortis du moyen âge ?

ajout de 11.31 h. : envie de relayer le billet de Juan qui donne l'impression qu'il pourrait être la voix manquante au septuor de l'Heptaméron.
Et puis des textes que je place là pour rappeler que rien n'a été jugé (suite au commentaire de JEA) : ici + ici

17 commentaires:

  1. 460 c'est long et en plus ça ne change pas grand chose au final :(

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  2. Ha oui 'femme3' est un modèle de nana constamment repérable et qui intéresse bien le système en place: les femmes doivent être les nounous, infirmières, instits, mômans, anges gardiens..des hommes.
    Mais bien sûr...
    Et surtout doivent clamer leur féminisme 'gentiment' au risque de ne pas être entendues si elles revendiquent, car ce n'est pas féminin de ne pas être 'gentille', et c'est pas pédagogique de réclamer un droit au lieu de le demander poliment et sans insister (car insister c'est impoli) comme un privilège pour lequel on remercierait abondamment en ne s'en servant aps, de préférence...
    Ouh chuis remontée, ce matin.

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  3. A Héloise : n'est ce pas que c'est consternant ?

    A mebahel : oui moi aussi elle me fait bondir !

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  4. Il y a aussi celles et ceux qui se savent pas, forcément. Qui ne font pas semblant de savoir. Qui n'instrumentalisent pas l'actualité pour la formater au(x) moule(s) de leurs choix idéologiques. Qui attendront le temps qu'il faudra pour savoir.

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  5. Vous me prêtez beaucoup de pouvoir et d'influence en parlant d'instrumentalisation, de "moule" et de "choix idéologique", JEA. Je me mêle au débat de la manière qui m'intéresse, n'en ai-je pas le droit ? L'affaire d'agression sexuelle dont le monde entier parle, m'inspire les réflexions ci-dessus. A d'autres elles inspirent autre chose. Je ne vois pas pour ma part l'obligation de se taire et d'attendre pour "savoir" ce que nous ne saurons probablement jamais.

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  6. Bon ben je vais reformuler l'introduction de ce billet, si vous voulez.

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  7. @ JEA (homme n° 4 ?)

    Nous ne savons pas encore pour cette histoire. En revanche, comme le souligne Mauvaise Herbe sur son blog, nous savons pour l'ensemble de son oeuvre. Et il y a des affaires de viol et d'abus de pouvoir antérieures à celle-ci. Justement je me disais que le traitement médiatique de cette affaire était hautement idéologique: réduire les diverses agressions sexuelles de DSK au rang de "frasques sexuelles" ou dans le meilleur des cas "d'affaires de moeurs". Si c'est pas du langage patriarcalement orienté, qu'est-ce ? Les seuls espaces où sont employés les vrais termes sur les actes dont il est soupçonné ainsi qu'une pensée sur la présumée victime sont les blogs féministes.

    La solidarité masculine a mille voies pour s'exprimer, vous c'est la présomption d'innocence comme la plupart (un non-lieu lavera donc ses méfaits passés ?).

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  8. @ Euterpe et à Héloïse

    Là, je ne proposais qu'une remarque générale. Presque en m'excusant de sa banalité. Sans y mettre le moindre intentionnel. Surtout pas en énonçant je ne sais quelle leçon déplacée. Pour faire éventuellement entendre une voix sans poids mais qui se souhaite mesurée.
    Nous assistons à une curée générale. Dans des sens contradictoires d'ailleurs.
    Plusieurs années comme conseiller dans un ministère de la Justice m'ont au moins appris que plus les tempêtes médiatiques se lèvent, plus les meutes s'en donnent à coeur joie, plus les hypothèses et les supputations et les préjugés remplacent les preuves et plus la justice mettra du temps - si elle y parvient - à dire qui est victime, qui est coupable et pourquoi et de quoi, pour ensuite condamner ou non...
    Par contre, lire par exemple que la présomption d'innocence serait synonyme de solidarité sexuelle, navrerait. Cette base essentielle de l'arsenal judiciaire ne souffre pas d'exception, tout comme, toutes proportions gardées, l'abolition de la peine de mort. Là nous sommes dans la confirmation ou non d'avoir choisi, aussi malaisé que ce soit, une société civilisée.

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  9. @ Euterpe

    En résumé, vous remerciant d'accepter chez vous un commentaire peut-être discordant, je ne réponds évidemment pas à votre hospitalité avec malveillance et suffisance.

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  10. Merci JEA. Néanmoins la solidarité féminine est tout de même quelque peu inévitable et quelque part légitime. Et en tant que femme offrir un contrepoids à la pression médiatique en faveur de DSK me paraît plutôt salutaire quand on ne compte plus les hyperbolismes qualifiant l'arrestation de DSK : séisme, tsunami, cruauté insoutenable...je viens même de lire cette horreur qui se met à circuler : "laissons cette putain aux puritains" en parlant de la femme de ménage ! La curée est plutôt très unilatérale et dans ce cas un contrepoids paraît plus que nécesssaire. Si la justice doit être entravée par les préjugés, que leurs représentant.e.s sachent au moins que les francais.e.s ne parlent pas surtout pas d'une seule voix ! Je ne veux pas en me taisant être associée à cette campagne de victimisation à l'extrême du présumé innocent.
    Maintenant bien sûr que vous avez le droit d'apporter un son discordant. Cela permet d'alimenter positivement le débat et je trouve tout à fait intéressant ce que vous dites à propos de la Justice.

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  11. Et merci aussi à Héloïse ;)

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  12. J'ai également horreur des curées médiatiques et des sorties de tribunaux où les meutes de gens haineux vomissent leurs horreurs .
    Mais je déteste tout autant ceux qui parlent de "présomption d'innocence" et oublient les "présumées victimes" . Car ce premier terme passe-partout remet en cause le deuxième .

    Même s'il y a quelquefois des victimes qui n'en sont pas dont je ne connais pas le pourcentage exact mais qui doit être très faible , lorsqu'il y a face à face un tout-puissant et une pauvre femme c'est elle qui tout à coup devient la "supposée coupable" ( argent , complot , etc..)

    Il y a avait dans l'émission C dans l'Air de Calvi un certain Bruno Thouzellier , avocat , qu'on ne peut qualifier de sale gauchiste qui disait qu'en France dans un tel cas de figure tout aurait été étouffé et que l'accusation n'aurait pas tenu deux minutes !!!
    Effectivement rien n'a donc vraiment changé et je reconnais aujourd'hui beaucoup de ces personnages de votre texte qui sont très préoccupés par le "qu'en dira-ton" . Chut , taisons-nous au nom de la sérénité de la justice !

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  13. Boah ne pas oublier que le viol est le seul crime pour lequel la victime doit prouver qu'elle n'est pas coupable.
    Et l'agression sexuelle, le harcèlement.. les seuls délits pour lesquels...etc.

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  14. Ce commentaire a été supprimé par un administrateur du blog.

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  15. A coup de grisou : il y a aussi la sacro-sainte loi sur le respect de la vie privée des personnes publiques, loi qui n'existe pas dans les pays anglo-saxons. La réviser serait un grand progrès. Car les comportements abusifs, sexuels ou pas, ne relève pas du privé, je trouve.

    A mebahel : oui c'est fou !

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  16. Euterpe:Non , les comportements abusifs comme le harcèlement ne relèvent pas pour moi non plus du privé surtout lorsqu'on a affaire à une personne publique et de plus responsable à très haut niveau . Je n'ai jamais compris comment on pouvait élire des menteurs , des tricheurs , des harceleurs , des dictateurs , des escrocs ou des obsédés sexuels à la Berlusconi .
    En France la presse est très complaisante avec les puissants . C'est l'omerta sur leur vie dite privée . Internet a un peu rétabli la vérité et dévoilé ces derniers temps des conflits d'intérêts de certains ministres .
    Il faudrait effectivement réformer cette loi sur la vie privée en évitant quand même qu'elle ne soit pas la porte ouverte à tous les bruits d'alcôves quand ce ne sont pas ceux des WC !

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  17. à coup de grisou : oui, tout le problème est là ! En France on manque furieusement de mesure. Ou c'est l'omerta ou c'est la curée !

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