dimanche 29 mai 2011

Catherina Tirs, nonne de Münster

D'après le musicologue allemand Christian Bettels, les comtes et surtout comtesses de Loon, Clèves, Gueldre, Brabant, Blois, Champagne et Bretagne s'occupaient traditionnellement du développement et de la conservation des chants lyriques de cour, mais aussi de quelques chants liturgiques et profanes comme dans le cas d'Amalia de Clèves, ceci du moins jusqu'au milieu du XVIe siècle qui voit le chant supplanté par les madrigaux.
Ainsi un vaste champ artistique paneuropéen s'était créé grâce à l'attention muée en tradition de quelques un.e.s autour de la musique.
Parallèlement des nonnes comme Catherina Tirs (ou Thiers, ou Thirs) rédigeaient leurs propres chansonniers avec des compositions plus spécifiques à la vie des couvents.
Son chansonnier passe pour la dernière source existante de chants religieux médiévaux sur le sol allemand.

Catherina Tirs, nonne de Münster :

(Photo: les cages, encore visibles aujourd'hui, où furent en 1534 suspendus les chefs anabaptistes, sur la flèche de l'église Saint-Lambert de Münster).

A l'époque de la Réforme le nombre de nonnes diminue considérablement au couvent de Niesing près de Münster en Westphalie car elles s'enfuient toutes à Ahlen non loin de là. Münster qui comprend en ce temps 5000 femmes et seulement 2000 hommes est entièrement sous l'influence des anabaptistes, une religion dissidente dérivée du christianisme, qui refusent le baptême. Ses adeptes seront tous massacrés (les cadavres des chefs Jan van Leiden, Knipperdollinck et Rothmann exposés dans des cages suspendus à la flèche de l'église Saint-Lambert) parallèlement à la grande répression des paysans allemands.
Après la recatholisation de la ville, Catherina Tirs entre au couvent de Niesing aujourd'hui Marienthal quelque part entre 1550 et 1580. Nous ne savons rien de sa famille ni même si elle était originaire de la région de Münster. Ni même si son nom est exact.
Elle lit et écrit le latin et le bas-allemand. Elle a signé un chansonnier contenant 79 chants liturgiques dont malheureusement l'original a disparu dans l'incendie de la bibliothèque du couvent de Niesing où il était conservé.

Catherina Tirs byn ick genanth. Ik stelle alle myne sake in godes hant.“
(on m'appelle Catherina Tirs. Je place tout ce que je possède dans la main de dieu).

C'est ainsi que son chansonnier est dédicacé.

Les prêtres de l'époque n'avaient rien contre le chant car ils disaient que "celui/celle qui chante, ne pèche pas".

Or chanter permettait aux nonnes d'extérioriser librement leurs sentiments ce qu'elles ne pouvaient guère faire autrement. Elles exprimaient amour, joie, gaieté, enthousiasme, jubilation mais aussi tristesse, peur et désespoir et s'offraient par ce moyen une consolation. Elles pouvaient probablement détourner ainsi la loi du silence et échapper à la solitude, cela leur permettait même de critiquer leurs supérieurs ou s'adonner à des moqueries dissimulées.

Je n'ai pas trouvé le moindre enregistrement se référant à ce chansonnier mais sur l'universalité du chant, j'ai eu envie de vous faire entendre non le Benedicamus domino chantée selon la version des nonnes de Marienthal puisque je ne dispose pas d'enregistrement, mais avec des voix masculines sous une forme qui n'est pas sans évoquer la mélopée traditionnelle arabe qui, personnellement, me touche en raison de son aspect spirituel et intemporel.
Vous n'aimerez peut-être pas mais tant pis, ne m'en voulez pas quand même !.
Moi j 'aime.

6 commentaires:

  1. Je trouve ces chants sublimes, et ils me rappellent plutôt des chants corses.
    Les cages de la photo en revanche font froid dans le dos.

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  2. Splendide.
    Et pourtant je ne suis pas fan des voix de ténor.

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  3. Comment pourrait-on vous en vouloir de nous faire connaître de si beaux chants ? Même si les paroles sont pour moi de l'"hébreux" je n'en apprécie pas moins la mélodie , la force , l'harmonie et la profondeur qui s'en dégagent mais aussi à mon avis une certaine mélancolie ..voire plus .La vie des êtres vivants en somme ..
    Mais comme Hypathie , ces cages , symbole de l'enfermement physique et moral , de la cruauté des hommes , sur une église qui se veut celui de l'élévation des esprits vers un dieu hypothétique , a quelque chose de barbare et "d'o-dieux" !
    Le contraste entre ces deux aspects de la religion est en effet saisissant .

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  4. A Hypathie : chants corses, kurdes, tibétains...je trouve qu'il y a une extraordinaire parenté !
    Les cages...oui...Münster est une ville très gaie, très agréable et puis on voit ces cages qui sont devenues un folklore, une attraction touristique...il y a aussi la salle où a été signé le fameux traité de Westphalie dans laquelle se trouve le squelette d'une main coupée. C'est extrêment troublant ces traces d'événements très lourds et déterminants du passé au milieu de l'insouciance du présent !

    A mebahel : contente qui tu aimes aussi ces voix-là malgré tout !

    A coup de grisou : moi je vois cela comme le chant de toutes les âmes réunies dans ce fameux nirvana hindou. C'est ce que les religieux et les religieuses arrivaient apparemment à approcher par la méditation, la prière et l'ascèse.
    Très bien vu ce contraste sidérant entre la beauté des chants liturgiques et l'horreur des supplices perpétrés au nom de la religion !
    Rome exercait une véritable dictature en ce temps et il ne régnait aucune liberté de conscience. On imposait la foi par la force. Mais si on remplace aujourd'hui le mot catholiscisme par capitalisme on s'apercoit que la différence n'est pas si énorme.
    Aujourd'hui on n'a aucun choix économique (la nouvelle religion étant l'économie). OK, on ne nous enferme pas dans des cages...quoique....;)

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  5. Cette vibrante basse continue m'évoque l'éternelle et languissante plainte humaine.
    Aujourd'hui comme hier, ce sont les esprits qu'on enferme dans des cages invisibles, même si les corps sont libres de leurs mouvements.
    C'est la censure intériorisée.

    fa#

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  6. Merci fa# pour cette très belle réflexion pleine de profondeur qui me parle beaucoup.

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