mardi 26 octobre 2010

Les balbutiements de la pornographie

Du début du XVIe siècle au Concile de Trente, on va peindre beaucoup de Marie Madeleine nue. En fait, tous les prétextes seront bons pour peindre des femmes nues dont les cheveux défaits ajouteront à l'érotisme.

Voici un texte extrait de "La nudité et la gloire" de Pascal Bonafoux sur le site de Clio, à propos du nu dans l'art à la Renaissance.

(...) dans les années 1480, Botticelli [peut] concevoir pour Laurent le Magnifique le premier nu de l'histoire de l'Europe chrétienne qui ne soit pas associé au péché [et j'ajouterais : le premier nu teinté d'érotisme], La Naissance de Vénus, œuvre imprégnée autant par la philosophie néoplatonicienne que par les Métamorphoses et les Fastes d'Ovide. Qui plus est, ce symbolisme nuptial tient alors lieu de justification aux princes qui commandent d'autres Vénus. Dans ce siècle qui n'est pas chaste – il est le siècle des « folastries » de Ronsard, de l'éclat de rire d'un Rabelais qui assure que les « vases spermatiques » sont « comme un gâteau feuilleté » et qu'il ne faut « point mourir les couilles pleines » – les princes de l'Église se passent d'une telle justification pour les nus qu'ils commandent… Et qu'importe que l'on ait à faire à des sculptures ou des peintures. En 1527, l'Arétin, auteur de sonnets pornographiques, écrit à Federigo Gonzague de Mantoue pour le rassurer : « Jacopo Sansovino, avec son rare talent, ornera votre chambre d'une Vénus si vraie et si vivante qu'elle emplira de concupiscence l'âme de tout spectateur ». Presque vingt ans plus tard, en septembre 1544, l'Arétin prévient encore le cardinal Alessandro Farnese que « Titien a presque terminé, sur commande de Monseigneur, un nu qui risquerait d'éveiller le démon même chez le cardinal San Silvestro. Le nu que Monseigneur a vu à Pesaro dans les appartements du duc d'Urbino est une religieuse à côté d'elle. » Et dix ans plus tard, à propos d'une autre Vénus, un autre visiteur de l'atelier du Titien qui vient de voir une toile prête à partir pour Madrid, écrit : « Je vous jure, Monseigneur, qu'il n'existe pas d'homme perspicace qui ne la prenne pour une femme en chair et en os. Il n'existe pas d'homme assez usé par les ans, ni d'homme aux sens assez endormis, pour ne pas se sentir réchauffé, attendri et ému dans tout son être. »

Comme conclusion à cet extrait, je rappelle que si les femmes étaient "autorisées" à poser nues, il leur était absolument interdit d'étudier l'anatomie et de peindre elle-même des personnes dévêtues, sous peine de mort.

7 commentaires:

  1. Incroyable!
    Comme d'habitude, pas de demie mesure pour les femmes! la peine de mort, rien que ça.
    Décidément, ces siècles de "dressage" ont pu nous rendre "timides" en art, c'est sûr...
    C'est un peu pour cette raison même que j'ai introduit au coeur de mon roman une nouvelle pornographique...
    ça m'a totalement amusé comme idée... mais je ne pense pas que les maisons d'édition aiment ça, et si ça se trouve, tout ceux à qui j'ai envoyé mon roman ne sont pas même arrivés jusque là dans leur lecture, vu qu'ils feuillètent distraitement l'oeuvre la plupart du temps...
    Tant pis, ils se sont privés d'un réel plaisir!

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  2. A bric à brac baroque : Baldassare Castiglione définit clairement, dans Le Courtisan (1528), le champ d’action d’une femme artiste :
    « …aussi longtemps qu’elle conserve une douce et délicate tendresse, un air de douceur dans chacun de ses mouvements (…) afin de paraître toujours une femme, sans aucune ressemblance avec un homme, elle est libre de s’orner des plus raffinés accomplissements recommandés aux gentilshommes… »
    Sinon question édition : tu savais que tu pouvais faire évaluer ton manuscrit chez "Rue des auteurs" ? Ce n'est pas donné mais c'est intéressant. Voilà le lien si ca te dit : http://www.ruedesauteurs.fr/

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  3. La nudité des femmes (et des hommes d'ailleurs) n'est pas en soi pornographique : cela dépend de la façon dont il est montré et regardé ; la pornographie c'est la domination des femmes par les hommes. Très intéressante, ta conclusion : mais qu'elle pouvait bien être l'utilité d'une telle interdiction ? Se garder le savoir, la connaissance, donc le pouvoir ?

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  4. A Hypathie : dans le cas que je présente, il s'agissait de peindre des nus qui "empli[ssent] de concupiscence le spectateur", soit qui provoque en eux une excitation sexuelle, c'est pourquoi je les associe à la pornographie. Car c'est ce à quoi est destinée l'image pornographique. Aujourd'hui on ne prend plus de prétexte, encore moins religieux, pour créer de l'image pornographique. Sauf dans le cas de la pub, où on donne comme excuse la religion capitaliste qui soit-disant en aurait besoin. On retrouve donc cette même prétendue "nécessité" de représenter des femmes nues. Un commandement divin en quelque sorte !

    Pour l'interdiction, je dirais que le but en était de s'accaparer le corps. Dans tous les domaines.

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  5. Ah! Euterpe, voilà un bon moment que je n'étais plus venue lire ton blog posément (je rame avec mon boulot comme pas possible et j'ai été malade par dessus le marché).

    Bref, en écho à ce que dit Hypathie sur la pornographie, je trouve que les hommes ont fait de la sexualité en général et du nu en particulier un instrument de domination. Et l'on peut sans peine constater qu'au plus les femmes sont émancipées au plus le nu et la pornographie prennent des tours humiliatoires (porno gonzo, gang-bangs, etc.). On en parlait il y a peu sur le forum féministe à propos de la fellation, activité plutôt neutre en soi, qui est devenue un acte d'humiliation (cf. le "Tu suces?").

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  6. A Héloise : ah ! ca fait plaisir de te lire à nouveau. J'espère que tout va mieux maintenant pour toi. Oui je me suis posée beaucoup de question sur la nudité depuis l'affaire "Marie-Madeleine" et j'ai remarqué que parallèlement aux débats "pro ou contra" les femmes (!) du début du XVIe siècle, ont démarré synchro les représentations de nus féminins à caractère érotique ! C'est donc bien une volonté délibérée d'inférioriser les femmes par des moyens inédits qui était à l'oeuvre, qui perdure et qui s'aggrave. Si on se rappelle qu'au siècle dernier la tonte et la nudité, étaient surtout un moyen d'humilier et de détruire les déportés dans les camps de concentration, on voit l'"utilité" aujourd'hui du rasage intégral qui s'ajoute à la nudité, et puis bien sûr à tout ce que tu décris . Il semble qu'il n'y ait pas de limite...les prétextes pour se faire s'appellent : religion, art, science, pub, mode, cinéma, ...en bref, tout ou presque, car tous les prétextes sont bons.

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  7. Oui, ça va mieux !!! Merci ;)

    Je n'avais jamais fait le rapprochement entre l'humiliation que représentent nudité/la tonte des déporté.e.s et celle qui touche les femmes à travers la nudité et le rasage intégral mais je trouve que c'est une thèse à creuser. De toute façon, la nudité c'est la vulnérabilité (exposition au froid, au regard des autres) et l'objettisation (l'intimité du sujet et donc sa dignité sont niées pour en faire un objet).

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