vendredi 8 octobre 2010

Les aventures extraodinaires de Marie Héroët, épisode 1


Pour certaines femmes "les aventures extraordinaires" de l'existence consistent dans la fleur de l'âge à s'éreinter à déjouer les pièges tendus par des (ogres?) avides de chair fraîche afin de conserver intacte, si c'est possible, leur intégrité. Pendant que leurs frères de l'autre sexe ne connaissent pas cette expérience passionante de proie traquée, elles ont affaire au quotidien à un vrai parcours de la combattante.

Dans l'Heptaméron de Marguerite de Navarre où cette reine a rassemblé des choses vues, rapportées ou observées autour d'elles, l'un des contes rapportant ce genre d'"aventures extraordinaires" un peu spéciales, commence ainsi :

"En la ville de Paris, il y avait un prieur de Saint-Martin-des-Champs, duquel je tairai le nom pour l'amitié que je lui ai porté. Sa vie, jusqu'en l'âge de cinquante ans, fut si austère que le bruit de sa sainteté courut par tout le royaume, tant qu'il n'y avait prince ni princesse qui ne lui fit grand honneur quand il les venait voir. Et ne se faisait réformation de religion qui ne fût faite par sa main, car on le nommait le père de vraie religion. Il fut élu visiteur de la grande religion des dames de Fontevrault, desquelles il était tant craint que, quand il venait en quelqu'un de leurs monastères, toutes les religieuses tremblaient de la crainte qu'elles avaient de lui. Et pour l'apaiser des grandes rigueurs qu'il leur tenait, le traitaient comme elles eussent fait de la personne du Roi. Ce qu'au commencement il refusait, mais à la fin, venant sur cinquante ans, commença à trouver fort bon le traitement qu'il avait au commencement déprisé. Et s'estimant lui-même le bien public de toute religion, désira de conserver sa santé mieux qu'il n'avait accoutumé : et combien que sa règle portât de jamais ne manger chair, il s'en dispensa lui-même, ce qu'il ne faisait à nul autre, disant que lui était tout le faix de la religion. Par quoi si bien se festoya que d'un moine bien maigre il en fit un bien gras. Et à cette mutation de vivre se fit une mutation de coeur telle qu'il commença à regarder les visages dont paravant avait fait conscience, et en regardant les beautés que les voiles rendent désirables, commença à les convoiter. Donc, pour satisfaire à cette convoitise, chercha tant de moyens subtils qu'en lieu de faire fin de pasteur il devint loup, tellement que, en plusieurs bonnes religions, s'il s'en trouvait quelqu'une un peu sotte, il ne faillait à la décevoir. Mais, après avoir longuement continué cette méchante vie, la Bonté divine qui prit pitié des pauvres brebis égarées ne voulut plus endurer la gloire de ce malheureux régner, ainsi que vous verrez."

J'ai rehaussé en caractère gras un passage fort intéressant : ce représentant peu digne de Dieu s'est mis à manger de la chair et Marguerite ne voit pas d'autre explication à cette lubricité dépourvue de toute humanité dont il s'est mis à faire preuve à partir de ce moment-là.

A suivre, donc.

(Le rehaut en brun est une considération sur le voile, le fameux voile. Il attise le désir, dit Marguerite de Navarre, contrairement aux islamistes qui prétendent qu'il l'éteint).

Le portrait est une oeuvre du photographe néerlandais Hendrik Kerstens né en 1956.

3 commentaires:

  1. On est sur des charbons ardents : il "consomme de la chair fraîche" dans le sens littéral et le sens érotique du terme ?

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  2. Moine maigre devenu loup gras, mon Dieu - sera-t-il emporté par l'excès de cholestérol? Attendons la suite.

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  3. A Hypathie : j'ai justement pensé à toi en épaissisant ce passage. Et, en effet, le péché de chair est à comprendre de deux manière ! ;) D'ap. M. de N. : manger de la viande rendrait lubrique (on ne sait pas si elle parle d'influence sur le métabolisme ou d'un premier pas vers tous les abus). Mais je n'aimerais pas parler d'érotisme à propos de sa nouvelle. Je trouve le terme "lubricité" plus adéquat. Il s'agit quand même d'une histoire de harcèlement sexuel, ne l'oublions pas !

    A Tania : si seulement !:)

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