samedi 30 octobre 2010

La belle dame sans mercy

Anne de Graville a donc adapté sous forme de rondeaux le poème d'Alain Chartier qui a été repris au XIXe siècle par le poète anglais John Keats "La belle dame sans merci" ce qui veut dire la dame sans pitié (pour le pauvre amoureux).

En voici un extrait dont j'ai adapté l'orthographe au nôtre.


Cette oraison de coeur dite à merveilles

Vint a Venus jusque au fond des oreilles

Et tout à coup vit le temple éclairci

Qui signe était d'avoir don de sa merci

Et qu'elle avait bien sa prière ouie

Dont Pallamon en pensée en jouie

La [re]mercia puis se leva joyeux

Se promenant par ce lieu somptueux

Et apercoit que peinte y est jeunesse

Plaisir désir secret espoir liesse

Que d'un accord de toute leur puissance

Faisaient honneur à dame jouissance

Cupidon fut dessus une fontaine

Les yeux bandés qui de main incertaine

Flèches tirait à plusieurs dommageuses

En faisant plaie à chacun dangereuses

Deux flèches eut aigües par les pointes

Et deux aussi par grandes douceurs ointes

Quatre en avait fort bien enferrées d'or

Qui tira hors de son riche trésor

Dont il tirait et rendait ses sujets

Trop mieux tenus que nul oiseau par geai

Près de ses pieds y avait fait de bois

Un bel étui qu'on appelle un carquois

Bien peu usé car on n'y touchait guère

Flèches y eut d'une étrangère manière

Longues seraient et fâcheuses à décrire

Dont n'est besoin de plus autant dire

Hors qu'ils étaient à la turque envenimées

Par quoi faisaient leurs plaies ennimées

Et n'en peut on le frappe secourir

Qu'il n'ait le mal toujours jusqu'au mourir

Mais Cupidon eut de sa mère un don

Pour les brûler toutes de son brandon

Ce qui fut fait se montrait la peinture

Hors une flèche oubliée d'aventure

Mais connaissant l'heure très opportune

Tout doucement la dérobait Fortune

Qui la vendit depuis à Cupidon

Puis l'essayer sur la reine Didon*

Si la trouva de si semblable vertu

Et tel effet que au premier avait eu

Bien l'approuva Sapho* Iseult* Phyllis*

Sigismonde Felice Amordelis

La dame aussi qu'on nommait d'Escallot*

Qui trop aima messire Lancelot

Et cette la née en Northumberland

Pour qui Phébus fit mainte chose grande

Oenone* Aulde Laodamie*

Et Sollomine de gloriant amie

Ixiphile Sorbine et Thessala

Qui en mourant Absalon acolla

De telle mort fut prise et succombée

La vertueuse dame et très belle Thisbé*

Semblablement en fut par trop friande

La belle dame et sage Clariande

Aussi mourut pour Lion trop amer

Celle qui fut comtesse de Gomer

Et si puis bien avec elle mettre

De Jéromine outrée pour Silvestre

Puis la nièce au bon duc de Bourgogne

Que son ami fit mourir sans vergogne

Autres assez dont laisse le propos

Car leur esprit sont au port de repos

Depuis ce temps antique et de long âge

Nous aurons eu en France l'avantage

Que cette flèche a peu exécuté

Car maint amant d'aimer s'est rebuté

Comme on m'a dit avant le sein trépas

S'ils ont bien fait je ne le mécrois pas


En fait si la dame est sans pitié, c'est quand même un peu parce qu'elle a en tête une longue liste d'héroines amoureuses dont l'épopée sentimentale s'est très mal terminée.

Exemple : Didon, Sapho, Phyllis, Thisbé, Laodamie, Oenone qui se suicident, Iseult qui meurt de chagrin, la dame d'Escallot qui "meurt d’amour" pour Lancelot indifférent à sa personne (et je ne connais pas les autres héroines du poème mais "Clariandre aussi mourut pour Lion" et "la dame de Bourgogne" est assassinée, etc...).

Et si Benoîte Groult a écrit "La touche étoile" un roman ou l'amoureuse n'aurait pas un "destin tragique" c'est bien parce que voilà une chose tout à fait exceptionnelle dans la littérature !

9 commentaires:

  1. C'est magnifique même si j'ai beaucoup de mal avec l'ancien français ...
    Merci pour cet article !

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  2. Beau poême en tous cas ! Une anecdote qui n'a pas grand chose à voir (quoique...) : je me demande si je n'ai pas rencontré une de tes lectrices en allant renouveler ma recharge de Quo Vadis chez mon libraire favori. Une dame rejoint deux jeunes gens en brandissant un gros livre de poche comme un trophée qu'elle vient de trouver : elle leur montre le livre avec enthousiasme avant de rejoindre la caisse pour payer ; je n'ai pas entendu ce qu'elle disait mais j'ai vu la couverture ; je te le donne en mille, c'était l'Heptameron de Marguerite de Navarre !

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  3. Oui, très beau poème d'une époque où l'amour était une maladie parfois mortelle, oui, mais peut-on vraiment parler d'un "destin tragique" le fait de tomber amoureux et de ne pas être correspondu? Ne serait-ce pas plutôt celui d'être mariée de force? Enfin, j'imagine qu'il y a un peu de tout, tu me le diras peut-être Euterpe. Bonne semaine à toi.

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  4. A Karine : merci pour ton enthousiasme ! Ne t'en fait pas : je ne comprends pas toujours tout moi-même...mais j'essaie !

    A Hypathie : ouah ! Si je fais des émules de Marguerite de Navarre, quelle joie ! Merci pour l'anecdote, elle me donne la pêche !

    A Colo : le destin tragique, ce sont tous ces suicides féminins, assassinats, morts de chagrin, etc.. mais il est vrai que dans certaines des histoires citées, le destin tragique est partagé : Pyrame se suicide avec Thisbé, Tristan meurt aussi de chagrin, Osée (l'homme) sauve Gomer (la femme) de l'esclavage et je n'ai pas encore réussi à identifier toutes les histoires. En ce qui concerne le mariage forcé, on ne le sait pas, mais il était interdit et, avec des preuves, pouvait être annulé par le pape, seulement, chez les princes, on mariait souvent les enfants au berceau et on les habituait à se considérer d'avance comme un couple. Et puis aujourd'hui il y a aussi parfois des mariages volontairement "forcés" par ceux qui ont peur d'être seuls. C'est peut-être un phénomène consécutif aux anciens mariages forcés...Ah mais tu me donnes une nouvelle matière à réflexion, là, Colo ! Merci et bonne semaine à toi aussi!

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  5. Oh, aimer... comme c'est risqué (que l'on soit homme ou femme), mais en France, comme ailleurs, les amants renoncent ("car maint amant d'aimer s'est rebuté") et préfèrent ne pas s'aventurer en ces terres où la mort accompagne leurs pas, on se range des voitures... dans une vie confortable et rassurante (nos enfants la poursuivront après nous, se dit-on). On s'endort gentiment... dans l'ennui de vivre.

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  6. A lucia mel : oui comme tu le dis si bien, tout le monde n'a pas le courage qui convient à l'amour et beaucoup préfère s'abstenir d'aimer plutôt que de s'exposer à souffrir...

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  7. Oh lala, Mesdames, quelle vision pessimiste de l'amour.
    Et c'est moi qui vous le dis (! ?) [veuve depuis 15 ans, et jeune mamie ! ]
    fa#

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  8. A Fa# : n'empêche que je pense avec Victor Hugo qu'il n'y a que l'amour qui vaille quelque chose !

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  9. Ah bon, vous me rassurez Euterpe !
    fa#

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