lundi 4 octobre 2010

Françoise de Bourdeille, emmonastérisée

Dans son livre "Les noces salées" sous-titré "La révolte de la Grande Gabelle dans l'Ouest", l'auteur Robert Ducluzeau, raconte ceci à propos de Françoise de Bourdeille : "le sort de F. de B. ne s'était pas amélioré (...) puisqu'on venait de la placer au couvent de Sainte-Croix de Poitiers où elle devait prononcer ses voeux définitifs quelques mois plus tard malgré ses pleurs et ses protestations violentes. On ne sait même pas si ses parents prirent le temps d'aller visiter la petite moniale de treize ans dans son couvent Sainte-Croix lors de leur passage à Poitiers. Il lui faudra 25 ans de lutte et de protestations incessantes pour qu'elle arrive è rompre ses voeux, à recouvrer sa liberté et à pouvoir enfin se marier !".
On ne sait pas si Françoise de Bourdeille, l'une des soeurs de Brantôme que je cite ici, s'est convertie au protestantisme pour se sortir de ce guêpier dans lequel elle n'avait en rien choisi de se fourrer. Ce qui ressort en tout cas de cette période, c'est que l'espoir suscité par la Réforme auprès des femmes de la Renaissance est assez identique à celui soulevé par le Christianisme au temps des Romains. Tant de jeunes filles d'alors furent jetées aux lions pour avoir adhéré à une doctrine qui les délivraient enfin du droit de vie et de mort que possédait sur elles le Pater Familias du système patriarcal à la sauce romaine !
Les saintes Blandine, Agnès, Félicité, Cécile, Christine, Nadège, Sabine, Emerita, Digna, Philomène, Victoire, Bibiane, Parascève, Agrippine, Zoé, Suzanne, Justine, Rufine, Seconde, Eugénie, Praxède, Béatrice, Anastasie, Irène, Lucie, Perpétue etc, dites "vierges et martyres" (à Rome), cannonisées par les papes successifs sont à ajouter sur la liste du gynécide dénoncé ici, au même titre que toutes leurs consoeurs qui ont payé le prix fort pour avoir voulu s'affranchir d'une façon ou d'une autre du joug masculin.

Au temps de le Réforme, on a vu que les hommes et les femmes se sont massacrés à part plus ou moins égales mais quand il s'est agit d'honorer les morts, tout le mérite s'en est allé aux hommes.
Marie d'Ennetières (que je soupçonne d'avoir été rebaptisée Marie Dentière par ses ennemis pour lui donner des allures carnassières) ne figure pas parmi les grands réformateurs statufiés à Genève. Alors qu'elle a effectué un vrai travail de missionnaire en se rendant de couvent en couvent pour persuader les nonnes de se rallier à la nouvelle religion. Quelle ingratitude !
En comparaison, l'église catholique s'est tout de même montrée moins avare de reconnaissance !

Certain.e.s me diront : mais pourquoi toutes ces considérations sur la religion ? N'est-elle pas un instrument d'asservissement comme un autre, voire pire ? Je leur répondrais : mais qu'est ce donc que la religion sinon une idéologie ?
A ce titre, l'apparition d'une idéologie nouvelle qui révise le statut des femmes un tant soit peu à leur avantage est bonne à prendre sur le moment et a, d'ailleurs, tôt fait de faire des adeptes !
Ainsi il ne faut pas appréhender ici la religion d'une façon moderne mais pour ce qu'elle a impliqué comme modifications dans la vie des femmes a un moment donné de l'histoire. Il faut penser la religion comme mouvement et laisser de côté rites, dogmes, pratiques et croyances. Il faut voir la religion comme un instrument, en effet : de libération un jour, d'asservissement le lendemain, et un beau matin : d'aliénation. Avant que la ronde ne recommence...

11 commentaires:

  1. ça me passionne cette question du protestantisme et de l'émancipation des femmes, merci encore pour toutes tes recherches. Pour ce qui de la religion... (ou de la spiritualité) et de ce qu'elle peut recouvrir, ou apporter, d'autre, je te renvoie à Hildegarde de Bingen ;-)) car, ici dans notre monde, tout n'est pas forcément toujours très simple. Bien amicalement, L/M

    RépondreSupprimer
  2. Enmonastérisée ... j'adore !!!

    Tu vas encore te faire taper sur les doigts pour ce néologisme (néologisme d'ailleurs ?) inventif !!!

    Très juste ta remarque sur la religion qui a pu constituer un espoir d'émancipation dans un certain contexte historique.

    RépondreSupprimer
  3. A lucia mel : entièrement de ton avis (d'ailleurs je vais en parler de cette "Grande Femme"!). Je ne milite pas contre les religions non plus parce que je considère qu'il y a des religions qui n'en portent pas le nom : la technoscience, le capitalisme, entre autres, et qui en sont.

    A Héloise : ben oui, on dit bien "embastillé" ! J'ai trouvé que "cloîtrée" n'avait aucun d'impact.

    RépondreSupprimer
  4. Bonjour Euterpe,

    très intéressant !
    Effectivement, les femmes ont été très peu mises en valeur dans la tradition protestante, alors que Jeanne d'Albret et la confession de foi de La Rochelle, c'est quand même pas rien.
    Heureusement les historiens ont quand même su, depuis quelques temps, leur rendre justice.

    RépondreSupprimer
  5. A Artémise : Jeanne d'Albret figurerait-elle dans les derniers publications scolaires ? Serait-elle enseignée à l'école ? J'en serais heureusement surprise !

    RépondreSupprimer
  6. Marianna de Leyva, entrée en religion contre son gré, sous le nom de sœur Maria Virginia, et connue comme "la religieuse de Monza" (dont s'est inspiré Alexandre Manzoni pour un des personnages de son roman "Les fiancés"), est un cas tout à fait représentatif, et emblématique de la triste condition réservée aux femmes à cette époque. Cas assez fréquent jusqu'à la fin du XVII° siècle. Au XVIII°, les couvents deviendront davantage des institutions d'éducation pour jeunes filles de bonne familles avant leur mariage au cas où elles ne souhaitent pas prononcer leurs vœux (on se souviendra cependant de "La religieuse" de Diderot...)

    RépondreSupprimer
  7. A Floréal : j'ai trouvé la bio de cette soeur en allemand avec tous les détails. Cela tombe bien, je voulais justement aborder dans mon prochain billet le fait que les nonnes bien qu'enfermées n'était pas pour autant protégées des agressions sexuelles. Une soeur francaise est "célèbre" (dans la mesure où une femme non-alibi est célèbre) pour en avoir essuyées elle aussi.

    RépondreSupprimer
  8. Euterpe,

    je ne sais pas, je n'ai pas de bouquin d'histoire de seconde sous la main, mais partant du constat que l'histoire de la Réforme est très mal enseignées, c'est pas sûr qu'on y trouve Jeanne d'Albret. Je cherche et je vous dis !

    L'université, en revanche, a fait à ces grandes dames la place qu'elle mérite - voir par exemple l'Histoire et Dictionnaire de la Renaissance et celui des guerres de religion, sous la direction d'Arlette Jouanna.

    RépondreSupprimer
  9. Très intéressantes tes recherches, merci de partager tes découvertes! Je n'ai rien à ajouter, je n'y connais pas grand chose, mais je prends grand plaisir et intérêt à te lire, et à lire les commentaires instructifs. A bientôt.

    RépondreSupprimer
  10. A Artémise : oui je possède ce livre, bien sûr, mais je dois dire que je ne suis pas étonnée outre mesure d'y trouver Jeanne d'Albret qui est difficilement contournable dans un ouvrage comme celui-là d'autant que des publications sur J. d'A., il y en a quand même régulièrement. Rien que dans ma bibliothèque j'ai six livres uniquement sur elle : ceux du baron de Ruble (deux ouvrages publiés au XIXe s.), de Nancy Roelker, de Bernard Nabonne, de Bernard Berdou d'Aas, de Francoise Kermina (mais je ne l'apprécie pas celui-là) et bien que ce livre soit indirectement un livre sur elle, celui de Ducluzeau, maintenant, cité dans ce billet. Pour les avoir tous, il m'en manque deux, en fait.
    Ce qui est incroyable c'est qu'elle ne figure pas dans les manuels scolaires !

    A Colo : merci de tes encouragements. Cela me touche beaucoup.

    RépondreSupprimer
  11. Merci Adèle de m'avoir signalé l'erreur ! (emmonastérisée et non enmonastérisée)

    RépondreSupprimer