lucia mel qui aime revenir sur l'affaire des deux Eve (Lilith et Eve) m'a rappelé l'affaire des trois Madeleine qui aurait défrayé la chronique du XVIe siècle s'il y avait eu une chronique officielle en ce temps-là. Néanmoins elle a fait couler beaucoup d'encre et de salive.
Comme je l'ai lu dans le métro tout à l'heure (oui il y a des citations dans le métro chez moi) : La croyance aux préjugés passe dans le monde pour bon sens. (Helvétius) et parfois, comme dans le cas que je vais citer, il y a même tout à fait intérêt à croire aux préjugés sinon on vous assomme.
En 1516 Louise de Savoie (mère de Marguerite de Navarre et grand-mère de Jeanne d'Albret) demanda à Francois Desmoulins, aumônier du roi son fils, d'écrire une vie de sainte Madeleine.
Desmoulin se met au travail et ne tarde pas à s'apercevoir que le culte populaire a réuni en une seule 3 personnes différentes : Marie de Béthanie, soeur de Marthe et de Lazare, Marie de Magdala qui est la première à avoir vu Jésus après sa Résurrection et la femme pécheresse qui a répandu du parfum sur les pieds de Jésus chez le Pharisien.
Desmoulins consulte Lefèvre d'Étaples qui, pour rétablir la vérité rédige un traité expliquant que sainte Madeleine a été concu à partir de 3 personnes. Aussitôt un chanoine (Marc de Grandval) publie une réfutation.
Lefèvre d'Étaples ne se décourage pas et avec Joss Clichtove répond par deux nouveaux traités. Le débat s'amplifie. Noel Béda, syndic de la faculté de théologie, John Fisher, évêque de Rochester, Érasme et Symphorien Champier, tout le monde s'en mêle.
Mais Lefèvre d'Étaples et Clichtove ont consulté les Pères de l'Église : Origène, Ambroise, Jérôme et Jean Chrysostome. Or aucun d'entre eux ne confond Marie de Béthanie, Marie de Magdala et la pécheresse. La "tradition" est récente et remonte à 590-604 avec le pontifat de Grégoire le Grand.
En passant Clichtove dénonce la propension des théologiens de tout figer en dogme.
Il estime qu'un sujet comme les Madeleine doit pouvoir être discuté avec les doctes même ceux qui ne sont pas théologiens. Cette argumentation met aussitôt en jeu la Tradition dont l'Église est dépositaire.
Lefèvre et Clichtove arguent que sans concile oecuménique se prononcant par un décret, une telle tradition est réfutable.
Mais John Fisher réplique : "Notre mère l'Église qui pendant des siècles a enseigné qu'il n'y avait qu'une Madeleine ne va t-elle pas être soupconnée d'erreur?"
Lefèvre et Clichtove estiment que les Pères de l'Église et les conciles oecuméniques doivent avoir la primeur sur les papes. Ils déclarent la tradition liturgique muable et la coutume populaire contestable.
Certains prêtres sont impressionnés par ces arguments et le 25 juillet 1521, fête de la sainte Madeleine, Martial Mazurier prêche à Meaux l'existence de trois personnes différentes.
Aussitôt la faculté de théologie réagit en promulguant une "Determinatio" obligeant à prêcher qu'il n'y a qu'une seule Madeleine et Noel Béda se démène pour faire déclarer Lefèvre comme hérétique.
Francois Ier intervient et fait examiner les écrits sur les trois Madeleine par son confesseur qui n'y trouve rien à redire. On décide de ne pas donner suite mais si Lefèvre d'Étapes est sauvé, il est tout de même prié de ne pas insister.
La Tradition triomphe donc de la vérité.
Et la tradition c'est la misogynie.
En effet : a t-on besoin de trois Madeleine ? Une qui suit Jésus, lui lave les pieds et est là quand il ressucite pour aller faire la commission aux autres, c'est bien assez, non ? Sans compter qu'avec son passé indigne, elle est un peu grillée. Les trois Madeleine en une, cela vous concote le curriculum parfait pour prêter le flanc à la misogynie !
oui, cette question de la représentation des femmes dans les évangiles est symptomatique de ce qu'en ont fait la misogynie des saint Pierre et de saint Paul puis des théologiens qui ont suivi.
RépondreSupprimerje vous indique ici un site intéressant à ce sujet
http://www.marie-madelaine.com/sommaire.html
ça va très loin cette affaire, car il semblerait que dans les évangiles de saint Jean, seul à ne pas être disciple de Paul parmis les évangélistes, il soit possible de penser que l'indication que la première personne à avoir vu le Jésus réscucité soit une femme, et plus particulièrement celle qui accompagnait le plus souvent Jésus et qui était semble-t-il une femme instruite, veuille dire que le message de Jésus soit que la révélation, la sortie du monde "mauvais" passe d'abord par la prise de conscience féminine. Que donc Jésus, ou les évangiles, indique que c'est d'abord par une reconsidération radicale des femmes dans le monde que le monde puisse être sauvé.
d'où terrible jalousie rivalitaire des mâles dominants évidemment...
bref... Jésus serait, par saint Jean, le premier féministe... ainsi que le premier communiste, mais c'est une autre question.
Même Proust ne pourrait démentir...
RépondreSupprimerCertain(e) exegetes pensent que des apôtres
RépondreSupprimerou disciples auraient été masculanisés pour les mêmes raisons...
Quel trouble dans les soutanes! Bon, la femme est l'avenir de l'homme. cqfd.
Une seule femme, c'est bien assez comme tu dis, avec deux faces : la maman et la putain. La fââââme, quoi ! Pourquoi s'embêter ?
RépondreSupprimernous avions déjà également eu l'occasion d'échanger, chère Euterpe, sur le cas de Marie Madeleine, Myriam de Magdala, oui, il y a plusieurs Marie... dans les Evangiles, celle-ci (celle qui nous intéresse) serait la première disciple du Christ. Fut-elle pécheresse ? elle fut certainement une femme cultivée, et surtout une femme libre, qui avait choisi, comme d'autres avec elle, de suivre celui qu'elles appelaient Maître... et qu'elle Marie nommait Rabbouni.
RépondreSupprimerRappelons le travail de Jean-Yves Leloup, et sa traduction de l'Evangile de Marie (de Magdala), la première disciple de Jésus.
Et, oh découverte ! voici, l'adresse de son blog :
http://www.jeanyvesleloup.com/fr/texte.php?type_txt=0&ref_txt=67
Rappelons les ouvrages de Jacqueline Kelen, "Marie-Madeleine, un amour infini", ou "Les sept visages de Marie Madeleine".
http://www.cles.com/entretiens/article/la-beaute-est-une-manifestation
A Paul : d'ailleurs saint Jean est le prétendu apôtre mâle qui pose sa tête sur les genoux ou l'épaule de Jésus sur les tableaux représentant la scène alors qu'il pourrait bien plutôt s'agir de Marie de Magdala, épouse de Jésus, tout simplement.
RépondreSupprimerCela dit, on voit que, de tout temps, ceux parmi les hommes qui essaient de faire triompher la vérité sont aussi perdant que les femmes.
A JEA : la Madeleine de Proust est unique, en effet :)
A Simon Gaetan : oui, toujours cette logique d'effacer les femmes ! Pour l'avenir, je ne sais pas...ne serait-ce pas trop tard avec l'apocalypse japonais ?
A Hypathie : cette histoire prouve également jusqu'où la misogynie est prête à aller et combien elle est virulente face à ceux (hommes ou femmes) qui voudraient tenter de briser cette image
A lucia mel : ce n'est pas tant Madeleine qui m'intéresse dans cette histoire que la facon dont on protège le mensonge par la menace. C'est une histoire symbolique que l'on peut rapprocher de quelques unes plus contemporaines.
D'autre part, si Lefèvre d'Etaples n'avait pas été menacé de mort, on ne parlerait plus aujourd'hui d'une seule Madeleine...
on parlerait encore de celle qui est mentionnée dans l'Evangile de Jean, à qui Jésus apparaît dans le jardin au moment de sa résurrection, et qui l'appelle "Rabbouni", ainsi que de la femme à qui on a attribué un Evangile apocryphe. "L'Evangile de Marie" (Myriam de Magdala) est le premier traité du "papyrus de Berlin" (acquis au Caire par C.Reinhardt en 1896 et conservé depuis lors au département d'Egyptologie des musées nationaux de Berlin). Amusant, non ?
RépondreSupprimerJe citerai pour terminer Jean-Yves Leloup dans "Une femme innombrable- Le roman de Marie-Madeleine" :
"Fallait-il distinguer, comme le font les historiens et certains exégètes, Marie la pécheresse, Marie de Béthanie et Marie de Magdala ? Ou au contraire, comme le fait la tradition ancienne, ne voir en ces "trois Marie" qu'une seule et même femme ? Nous ajouterions une seule et même femme à des étapes différentes de sa vie, chacune de ces étapes manifestant une mutation intérieure, une métamorphose de son désir et un nouveau visage féminin".
Il est important surtout, me semble-t-il, de reconnaître la présence de femmes auprès de Jésus, elles étaient ses disciples tout comme les hommes, et Marie, Myriam de Magdala était la première d'entre eux.
"la facon dont on protège le mensonge par la menace. " oui, c'est aussi cet aspect qui m'intéresse... et me navre.
RépondreSupprimerMerci Euterpe.
bon alors je suis tombé sur une autre page intéressante concernant l'évangiles de marie
RépondreSupprimerhttp://www.infologisme.com/art/EvangileMarie.html
A lucia mel : oui, c'est pourquoi j'avais fait un billet "les 12 apôtresses" (mais il y en avait plus !). Pour Jean-Yves Leloup, c'est bien qu'il mentionne les trois Madeleine quelque part mais on est quand même loin du courage d'un Lefèvre d'Étaples qui se met l'Église à dos au nom de la Vérité à une époque où l'Église possédait le même pouvoir que se taille aujourd'hui la finance internationale.
RépondreSupprimerAvec plaisir (si je puis dire...), mebahel. C'est là qu'on voit que les procédés utilisés pour maintenir un pouvoir en place sont toujours les mêmes, malheureusement.
A paul : ton précédent lien se réfère à deux livres de recherche sur Marie Madeleine que j'ai lu intégralement (deux pavés très intéressants).
Sur l'Evangile de Marie, j'ai déjà fait un billet en septembre, je crois.
On peut voir que l'Église ne fait pas plus évoluer la "tradition" aujourd'hui, bien au contraire.