Contrairement à aujourd'hui où nous ne laissons plus la moindre place aux animaux qui ne sont plus du tout nos amis et qui nous sont devenus aussi étrangers que (nous mêmes et) les plantes (d'ailleurs sont-elles encore percues comme appartenant au "vivant" ?), nos ancêtres du XVIe siècle n'auraient pu se passer de cotoyer ces créatures aimantes bien que dissemblables, de les chérir, de les avoir partout et en toutes circonstances avec soi. Châteaux ou chaumières accueillaient toutes les espèces qui se plaisent dans la compagnie des gens pour peu que ces gens les traitent bien. La litière (ancêtre du carosse) d'Henri III était surnommée "l'arche de Noé" tant elle était remplie de bestioles (chiens, singes, perroquet, pigeons, etc), Francois Ier affectionnait particulièrement les hérons et les cigognes, Jeanne d'Albret comme la jeune femme sur le portrait d'Holbein possédait un écureuil à elle, entre autres animaux, la reine Eléonore une hermine (mais ce n'est pas la dame du tableau de Leo d. Vinc.), les dames d'honneur, d'atours ou de compagnie avaient chacune leur(s) animal(ux) de compagnie et Mellin de Saint-Gellais composait des épitaphes quand l'un de ces amis non-humains à poils ou à plumes mourraient. Il ne viendrait pourtant pas à l'idée des cinéastes qui réalisent des films historiques de peupler le décor d'autres choses que de gens, sauf s'il s'agit de montrer des chevaux (ex bagnole) combats de coq (ex tiercé), des dresseurs d'ours (ex cirque) ou autres instrumentalisation de la "bête". Le cliché de l'animal que l'on chasse, mange, martyrise ou fuit est si gravé aujourd'hui dans les esprits qu'il nous est impossible de nous représenter cette omniprésence de non-humains partout et toujours dans la vie d'un.e individu.e de la Renaissance.
Epitaphe du Passereau d’une damoiselle
Venus deësse de beaulté
Je me plains de la cruaulté
Que la villaine mort ha faict
En tuant mon oiseau parfaict !
Mon Passereau de plume blonde
Qui estoit le plus beau du monde !
Si gay, si prompt, si vigoreux,
Si plaisant, & tant amoureux
Qu’on ne peut oster de mon esme
Que ce ne fust Amour luy mesme !
Comme Amour æsles il avoit ?
Comme Amour voller il sçavoit ?
Comme Amour estoit affecté
Et ainsi plain de gayeté !
Vray est que d’arc ne portoit point
Mais de son bec poinctu, qui poinct
En lieu de fleches il s’aidoit
Faisant aymer ceulx qu’il mordoit :
Qu’il ne soit vray mon cœur ardit
Depuis le temps qu’il me mordit.
D’ond pourroit venir le martire
De tel amour ? il fault bien dire
Qu’elle procede de l’oyseau,
Ou bien de quelque damoiseau !
Quoy qu’il en soit. Le pouvre est mort.
Qui de regret trop me remord.
Au matin quand je me levois
J’ouy crier sa tendre voix,
Pi pi pi faisoit le petit
Qui desja avoit appetit :
Il n’avoit garde de souffrir
Qu’autre luy vint du pain offrir
Sinon ma main qui le paissoit,
Comme mere il me cognoissoit.
Helas le petit oyselet
Il mengeoit du miel, & du laict
Tout ainsi qu’une creature.
O Mort de perverse nature,
Qu’as tu gaingné de le saisir ?
Mon Dieu qu’on me faict desplaisir
Qu’on ne le pleure comme moy !
Je vous prometz en bonne foy
Que tout le monde le deust plaindre !
Quand à moy je le feray paindre
Pour d’une telle creature
Avoir la belle pourtraicture.
Son petit corsaige joly,
Son petit bec si bien poly,
Sa petite teste follette
Esveillée comme une Belette,
Ses plumettes si bien lisées
Ses jambettes tant deliées,
Ses petiz piedz d’ond le follastre
A petiz faulx s’alloit esbatre :
Sa petite queue troussée
Un peu contremont herissée,
Et son petit je ne sçay quoy
Que je tastois du bout du doy.
Mon Dieu que tout ce, sera beau
S’ilest bien painct en un tableau,
J’oserois bien gaiger ma vie
Que le Roy en auroit envie,
S’il luy plaist il le pourra prendre
Mais qu’un autre vint entreprendre
De l’avoir, il s’abuseroit
Car on le luy refuseroit.
(Mellin de Saint-Gelais, v. 1540)
(Je dédie ce billet à Hypathie)
Merci d'en parler Euterpe! Ces animaux parfois étranges en effet, si présents dans la peinture du XVIº.
RépondreSupprimerJe ne connaissais pas ce poème, très savoureux, imagé, une langue soyeuse.
Bonne fin de semaine y ¡gracias!
Parfois l'intérêt pour les animaux pouvait prendre des sentes un rien moins souriantes. Ainsi les procès "en bonne et due forme" intentés à des animaux accusés de bien des maux...
RépondreSupprimerJ'adooore toutes ces bestioles dans les portraits et les oeuvres de peintres ! Le petit chien, l'hermine et l'écureuil sont jolis et mignons comme tout (de toute façons, avec eux, j'ai tendance à gagatiser -même en peinture !).
RépondreSupprimer"Il n’avoit garde de souffrir
Qu’autre luy vint du pain offrir
Sinon ma main qui le paissoit,
Comme mere il me cognoissoit".
C'est étonnant comme ce poète et sa damoiselle se sont rendu compte dès le XVIème siècle de ce que Konrad Lorenz, père de l'éthologie moderne, appellera au XXème siècle l'imprégnation : l'oiseau qui s'identifie avec cellelui qui le nourrit, la prenant pour sa mère comme l'oie Martina qu'il avait élevée, qui le suivait partout et qui a inspiré à Konrad Lorenz des pages merveilleuses dans une discipline plutôt ardue ! C'est étonnant d'observation. Et merci pour ta dédicace que j'apprécie particulièrement ! :)))))
oh, c'est passionnant ! avait-on la même présence d'animaux de compagnie dans les chaumières des gens de peu ? des chats, des chiens ?
RépondreSupprimermerci pour eux :)
RépondreSupprimerCes chers bestioles le méritent grandement...
ce que nous leur faisons aujourd'hui est une insulte à l'humanité.
je rejoins l'interrogation de Lucia Mel
RépondreSupprimertout ça est fort juste pour une certaine population cultivée et sensible...
mais les descriptions que l'on relève des moeurs populaires à l'égard des animaux non humains... plus largement représentées démographiquement aux différentes époques...
semblent beaucoup plus proches de ce que nous faisons subir actuellement aux animaux...
bref...
suis pas du tout sûr que la barbarie soit en hausse à notre époque : on la regarde plus parce que le monde se fait mieux connaître et se met en spectacle avec des moyens beaucoup plus puissants que par le passé.
mais sur le fond ?
Je me faisais la réflexion dernièrement que les peintres animalier.e.s ont toujours eu plus de mal à rencontrer le succès (à quelques exceptions près comme Rosa Bonheur ou Pompon). Cette peinture ou sculpture est même désormais considérée comme mineure il me semble. Comme si l'humain (pléthorique dans toutes les expressions figuratives) était le seul sujet intéressant. L'animal n'a finalement de vraie place que dans les natures mortes.
RépondreSupprimerC'est vrai JEA, les animaux étaient jugés et condamnés, ce n'est pas réjouissant de le savoir mais au moins, ils avaient un statut juridique.
RépondreSupprimerAu XVI° et même plus tard, le peuple comme la noblesse avaient une autre relation à l'animal, on n'était pas encore à l'ère des villes et de l'élevage industriel.
L'alimentation était peu carné, et le aristocrates mangeaient surtout de la viande à plume, bovins et autres mammifères n'étaient pas courants dans les plats, y compris chez les paysans.
Mais hélàs c'est aussi l'époque de Descartes qui a décrété que l'animal n'était qu'une machine donc il ne pouvait souffrir. Heureusement qu'il était considéré comme un imbécile par ses contemporains.
Ce poème (même s'il est écrit par un noble) peut démontrer qu'on pouvait partager sa peine, sans doute trouvait il un écho dans la société. Mais rien n'est sûr.
A Colo : Mellin de Saint-Gellais a écrit plusieurs épitaphes d'animaux avec autant de sensibilité. Je les aime beaucoup moi aussi !
RépondreSupprimerA JEA : oui, en particulier à l'époque des chasses aux sorcières. Preuve que l'on croyait à une vraie complicité entre l'humain et l'animal!
A Hypathie : on peut aussi dire qu'il est étonnant que l'on est besoin d'une science, aujourd'hui, pour comprendre les animaux ;)
A lucia mel : on voit que tu ne connais pas la campagne ! Un chat mange les rongeurs et protège les provisions sans que cela ne coûte quoi que ce soit aux paysans. Un chien protège les chaumières des brigands et se contentent de vieux os comme nourriture. Donc, évidemment que les paysans avaient des chats et des chiens ! Ils s'en seraient difficilement passés ! Mais, tu as raison, on ne les portraitisait pas (pas plus que les gens). Cela coûtait beaucoup trop cher.
A hum(e) : entièrement de ton avis
A Paul : ce dont je parle dans mon billet c'est de l'amitié entre humains et non-humains. Je ne parle de la barbarie qui s'est aussi exercé contre eux, mais aujourd'hui, qui va écrire un TEL épitaphe pour un animal ? Où sont les animaux ? Combien de gens en entretiennent ? au XVIe siècle c'était TOUT LE MONDE ! Voilà la différence fondamentale. Toi qui a un chat tu ne t'en rends peut-être pas compte mais la plupart des gens ne voient pas un seul animal de toutes leurs journées. Dans un monde aseptisé, il n'y a pas de place pour eux.
A héloise : oui tout à fait. Et encore, Rosa Bonheur n'a eu de succès qu'en son temps. Maintenant que les animaux sont devenus des choses, ses magnifiques peintures n'intéressent plus grand monde...
A hébé : en effet, les animaux avaient un statut juridique et maintenant c'est devenu très difficile de l'obtenir à nouveau ! Tu as aussi raison pour Descartes qui arrive au XVIIe siècle avec sa théorie assassine.
Mais au XVIe siècle, une épitaphe comme celle-là était propre à tirer des larmes. Je pense que les gens étaient plus chaleureux que nous, cela se lit dans le poème lui-même.
A Emelire : ces animaux n'étaient pas précieux, en fait. Seuls les animaux exotiques l'étaient mais une hermine, un écureuil..il y en avait partout ! Non, sincèrement les gens aimaient les animaux, ils voulaient être immortalisés avec eux et ceux qui pouvaient se le payer le faisaient. Ils étaient très attachés à leurs compagnons à poils et à plumes comme on l'est pour une personne. mais aujourd'hui bien des gens s'attachent encore à leur compagnons non-humains en dehors de toute cette infâme industrie de la viande! Heureusement !
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