samedi 14 août 2010

Les regards au XVIe siècle selon que vous êtes une femme ou un homme : la famille De Mucheron



Dans ce portrait de la famille De Mucheron du peintre flamand Cornelis de Zieeuw, la règle des regards est encore plus flagrante. Hormis le fait que les membres de la famille sont strictement divisés dans l'image selon le sexe : les hommes à droite dans la configuration spatiale réelle (à g. sur le tableau) et les femmes à gauche, la position dans l'espace réelle comptant plus que celle obtenue en la restituant sur une toile (à la différence d'aujourd'hui où ce serait la position dans l'image qui compterait), tous les membres masculins à part le plus petit tout en bas du tableau, regardent le peintre bien en face en commencant par le père de famille, tandis que les filles jusqu'à la plus petite en bas du tableau à gauche, baissent complètement ou sensiblement les yeux, effleurent à la grande rigueur le visage du peintre sans le regarder vraiment, avec, pour commencer, la mère de famille qui NE REGARDE PAS du tout le peintre.
Afin de pouvoir mieux distinguer le phénomène, je vous invite à cliquer (2 fois = zoom) sur le tableau et à vous promener dans l'image, ou encore à cliquer ici où l'on peut obtenir un agrandissement à 200% et étudier chaque visage l'un après l'autre.

11 commentaires:

  1. c'est sidérant ! on en trouve quand même une ou deux qui le regardent (surtout une, celle qui dépasse d'une tête les autres femmes alors qu'elle est derrière, à droite (pour nous) de la mère), cela n'enlevant rien à ta démonstration, bien au contraire, qui est cette femme ? que représente-t-elle pour cette société ? une femme "libre" ? je pense au film "Spartacus" (vu hier à la télé, pour la première fois) : la première révolte pour l'esclave étant de regarder le maître en face, il y a dans ce film un traitement très intéressant du regard de l'esclave...

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  2. après vérification : la femme en question ne regarde pas le peintre ! en effet, tous les hommes regardent vers (notre) gauche : là où se trouve le peintre ? et cette femme regarde vers (notre) droite... ;-)))

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  3. Edifiant ! Seul le petit garçon à l'avant-plan ébauche un sourire... contre la règle du sérieux ?

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  4. La mise en scène, parfaitement étudiée par le peintre, est fort intéressante!
    La séparation hommes-femmes à table ne me surprend pas trop vu que ça arrive encore ici, parfois, à des repas où on est nombreux,(pour ne pas parler de l'église où, aux funérailles, ça se fait toujours).
    Ce qui me frappe aussi et toujours dans les tableaux, ce sont les mains. Ici la posistion si peu naturelle de la main droite de celui que j'appelle "manche rouge", celui à côté du père.Étrange.
    Ce qu'hommes et femmes ont en commun, c'est qu'ils n'ont pas l'air fort joyeux. Cette gravité que tu montres dans tous ces tableaux, même quand ce ne sont pas, comme ici, des portraits officiels.
    Merci pour toutes ces découvertes, à bientôt.

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  5. A lucia mal : bien vu, la comparaison avec Spartacus ! Oui, le regard est significatif dans la relation de soumission.
    Je suis en train de lire ce qu'était le statut juridique de la femme à l'époque et c'est bien un statut caractérisé par une absence quasi totale de liberté, donc très proche de celui de l'esclave.

    A Tania : je pense que le peintre a voulu éviter par là une totale rigidité. Le petit enfant qui se retourne, sert aussi à rompre l'uniformité des attitudes masculines. De plus, petite fille et petit garcon, en avant plan se tournent ainsi le dos. Cela sert à l'évitement complet de la mixité.

    A Colo : les mains des jeunes hommes désignent une assiette. C'est une tradition d'époque que de représenter les membres de la famille en train de désigner la nourriture et la vaisselle, marques de richesse. Il y en a aussi toujours un qui pointe un doigt vers le ciel pour désigner Dieu. Comme dans un célèbre tableau de Léonard de Vinci.
    Un autre tient un couteau, symbole militaire, un autre une coupe de vin. Les filles tiennent une fleur, un fruit, l'une joue de l'épinette. Tous ces gestes ont un sens.
    Quant à la séparation hommes-femmes, elle n'est aucunement fortuite et comparable à aujourd'hui. Il faut savoir qu'un tableau comme celui-là coûtait très cher. C'était un objet de grand prestige qui témoignait d'une grande fortune et devait montrer la famille telle que les conventions l'exigeaient. Rien n'y est donc laissé au hasard. Se faire faire un tableau comme celui-là équivalait à peu près à s'acheter une maison à la campagne aujourd'hui !

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  6. Les hommes à droite et les femmes à gauche : dextre et senestre. A senestre, les femmes, le mauvais côté, la gauche, les mauvais auspices, senestre, devenu sinistre dans le langage des assurances par exemple...

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  7. A Hypathie : exact ! La senestre qui a aussi donné l'adjectif "sinistre". C'est parfois bien sinistre d'être une femme...à l'époque ca l'était même dans tous les sens du terme !

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  8. Ah! oui!
    C'est étonnant!
    merci pour votre visite...(via Tania...)
    je reviendrai

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  9. Remarquons qu'une femme (celle qui tient le bébé) réussit également l'exploit de regarder dans DEUX - je dis bien DEUX - directions différentes

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  10. A Lledelwin : oui, à force de ne pas avoir le droit de regarder en face, son regard s'est divisé en deux et elle a développé un strabisme divergent, la pauvre ! :-)

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