mardi 17 août 2010

Imbecillitas sexus, Amen.



En 1516, Erasme dans les Annotationes Novi Testamenti critiqua la notion de sacrement lié au mariage, ce qui, du même coup, remettait en question son indissolubilité. Luther fit de même. Néanmoins ce dernier considérait le mariage comme supérieur à la virginité, aussi dénonçait-il avec force le célibat des prêtres et le monachisme.

D'un autre côté, tous les réformateurs protestants, Luther compris, reprochaient à l'Eglise d'avoir fondé la validité du mariage sur le consentement exclusif des époux, celui des parents n'étant pas requis. Tous déploraient les mariages clandestins, la bigamie et les „mésalliances" qu'entraînaient ce fait.

Au terme d'interminables discussions sur ce thème, le Concile de Trente adopte, en 1563, le célèbre décret Tametsi, qui parmi les demandes des protestants se contente d'accorder celle de frapper d'anullation les mariages clandestins. Mais catholiques et protestants se sont entendus sur un point : celui de réaffirmer par ce décret la suprématie de l'homme dans le couple (aucune femme n'étant représentée au Concile de Trente, cela va de soi).

D'autre part, un grand débat eut lieu au cours de la première moitié du XVIe siècle, qui opposa laudateurs et contempteurs du sexe féminin, et qui fut baptisé "querelle des femmes" (alors qu'il s'agissait d'une querelle d'hommes sur les femmes). La quasi-totalité des lettrés y prit part, en particulier Rabelais influencé par le De legibus connubialibus de son ami, le juriste André Tiraqueau.

Les propos peu amènes que contenait le De legibus connubialibus sur les femmes déclenchèrent une violente polémique, que Tiraqueau contribua lui-même à alimenter. Du coup, l'ouvrage s'étoffa considérablement au cours des seizes fois où il fut édité ! Ce traité en forme de « programme de vie matrimoniale ». fonde pour la première fois le principe de la subordination de la femme mariée. Il se base sur le Digeste , et en particulier sur un sénatus-consulte d'Ulpien ( Ad Senatus Consultum Velleianum , plus connu sous le nom de Velléien), interdisant aux femmes de s'engager pour autrui en raison de la " faiblesse de son sexe " (imbecillitas sexus) , pour affirmer que l'on doit considérer les femmes, par nature faibles et désarmées, comme des mineures et donc les assister et les protéger dans toute leur activité juridique.

Ainsi, à partir de la Renaissance, la femme mariée est frappée d'incapacité juridique. L'incapacité juridique de la femme mariée n'existait pas dans le droit médiéval. On observe par là, à partir du XVIe siècle, une dégradation sensible de la condition féminine.

Ainsi les juristes tiendront pour acquis l'inégalité des sexes et la supériorité de l'homme sur la femme. Parce que ceux-ci la considèrent comme un être physiologiquement et psychologiquement faible, ils estiment qu'elle doit être tenue à l'écart des affaires et que ses fonctions domestiques doivent l'absorber entièrement.

Pour Tiraqueau, l'homme vaque au dehors à ses occupations professionnelles et sociales tandis que son épouse assume l'entretien de la maison.

Pour le reste, il défend expressément à tout homme de frapper sa femme. Mais cette défense ne se réfère pas à des considérations strictement humanitaires. Une femme maltraitée trompait volontiers son mari violent et se vengeait souvent de lui en tentant de l'empoisonner ou en l'empoisonnant pour de bon.

A l'inverse, "s'il était respectueux de son épouse, l'homme aurait tout lieu de se féliciter de l'harmonie qui règnerait dans son ménage".

Tiraqueau pense que l'homme peut solliciter, pour ses propres affaires, l'avis de sa femme (pour lui piquer ses idées?). Mais il ne doit pas pour autant se confier exagérément à elle, la femme n'étant guère de nature à conserver des secrets. Elle peut, d'après lui, révéler en rêve ce qu'elle ne dit pas éveillée !

Cependant Tiraqueau exhorte les hommes à aimer leurs femmes s'ils veulent l'être en retour. C'est au mari de montrer en premier lieu son amour et non à sa femme.

Enfin, Tiraqueau, dans la quatorzième et dernière loi du mariage, traite des relations sexuelles. Selon lui, (le mari) ne doit ni les craindre ni les désirer trop ardemment. Il convient de ne jamais se départir d'une certaine retenue et de fuir absolument les rapports trop fréquents et immodérés.

Sous l'influence conjuguée du droit romain, des Ecritures et du droit canonique, Tiraqueau fonde donc l'incapacité de l'épouse sur l'imbecillitas sexus. Mis à part qu'il la justifie autrement : par la primauté du mari au sein du couple. Dans cette optique, la dépendance de la femme est le corollaire de la puissance maritale et non de la faiblesse du sexe. A preuve, selon Tiraqueau, une femme célibataire jouit d'une capacité pleine et entière. Ainsi que la veuve.

Conclusion : voilà comment le célibat et le veuvage sont devenus supérieurs au mariage et nettement plus enviables pour les femmes qui souhaitaient leur autonomie. Autonomie OU mariage. Or, on peut constater aujourd'hui que ce choix pervers est encore pour beaucoup de femmes à travers le monde, le seul qu'elles aient à leur disposition si elles veulent jouir d'un peu de liberté !

(A lire : "Les femmes à l'époque moderne - XVIe-XVIIIe siècles" de Scarlett Beauvalet-Boutouyrie, édit. Belin, Paris).


(Photo : deux petits rôles dans le hall des figurant.e.s).

17 commentaires:

  1. Merci pour cet historique...la route est longue mais le mouvement, irréversible, gagne du terrain, peu à peu.

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  2. A Colo : je me suis rendue compte en l'écrivant que ce décret adopté à Trente concernait d'abord le seul monde chrétien européen. Mais avec l'expansion qui avait lieu alors, son contenu a aussitôt gagné toute l'Amérique latine puis l'Amérique du Nord. Par la suite avec le prosélytisme des missionnaires, l'Afrique l'Asie et l'Océanie n'ont pas tardé à être contaminé et ce modèle chrétien de femme-domestique par nature s'est répandu ensuite dans le monde à une visite fulgurante !
    Comme quoi c'est bien au XVIe siècle qu'il faut chercher le creuset d'où sort notre société !

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  3. La "querelle des femmes" m'a toujours fait penser à la "controverse de Valladolid" (même époque d'ailleurs) où l'on pose des personnes en objets afin de déterminer si elles sont humaines, dignes d'intérêt, inférieures ou égales, etc.
    L'homme blanc occidental qui décide du destin de celles et ceux qu'il nomme Autres est décidément un grand classique.

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  4. Certes il y a eu des avancées pour les femmes dans le mariage mais cela reste encore très discriminatoire. La tradition de la perte du nom et même du prénom de la femme au profit de celui du mari m'est absolument insuportable. A noter que c'est une tradition bien française. Au Danemark et en Espagne (et heureusement dans d'autres pays aussi)les femmes gardent leur nom quoi qu'il advienne. Y-a-t-il un lien avec le fait que ces pays autorisent le mariage homosexuel? En effet si 2 hommes ou 2 femmes contractent un mariage qui prend le nom de qui? La fameuse question de "qui fait l'homme?".
    Bref, comme je suis française sur le papier et que je dois déjà me battre pour 36000 choses inhérentes à mon sexe, le mariage c'est NON.

    Et merci pour cet historique très instructif (comme tous tes billets d'ailleurs). Tu es vraiment une mine d'info!

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  5. A Héloise : oui sauf que le pape lui-même condamnait l'esclavagisme dans le Nouveau Monde et que les protestants y voyaient le signe de l'obscurantisme caractérisé des espagnols tandis que 13 ans plus tard, les mêmes, tous en choeur, s'accordaient à ne trouver rien d'obscurantiste du tout dans le fait de déclarer la femme naturellement née pour être la bonniche de l'homme.

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  6. A Alice : Dans un couple franco-allemand que je connais, l'homme a pris le nom de sa femme. Mais cela se passe en Allemagne.
    En France, il y a la galère du nom et celle du "mademoiselle" qui permet aux hommes (car il n'y a qu'eux que ca intéresse) de trier les femmes qui sont mariées et celles qui ne le sont pas (c-à-d repérer les jeunes filles à harceler sans crainte de recevoir un poing dans la g.). On n'en a pas fini avec les archaismes.

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  7. Une petite précision sur Rabelais...
    Oui, Rabelais était bien l'ami de Tiraqueau, mais il est aussi celui d'Amaury Bouchard, féministe de l'époque, qui avait écrit ""La Parfaite amy", et auquel il va également dédier un de ses lires.
    Je ne parlerais donc pas de Rabelais comme d'un antiféministe, à la façon de Tiraqueau, car son principe narratologique est discursif, c'est-à-dire qu'il tient en permanence un discours médian (la mediocritas), donnant la parole aux 'pour' et aux 'contre' afin de permettre le débat à ses personnages eux-mêmes, et la réflexion, sans jamais conclure, sinon par la farce ou par des pirouettes... c'est justement là que réside à mon avis le génie de Rabelais.

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  8. Beau texte et bon texte : fort, bien contextualisé. J'aime ta réflexion...C'est assez troublant, en effet! Tellement loin de mes préoccupations concrètes de jeune québécoise, mais comme tu le dis, mais une réelle préoccupation pour bien des femmes du monde comme tu le dis!

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  9. A Bettina : tu as raison mais quand il laisse Rondibilis se livrer à ses tirades très crus contre les femmes dont la conformité de leur corps les conduirait tout droit à la luxure, paraît-il, on se demande s'il a besoin de forcer le trait à ce point-là. Mais il est vrai, comme je l'ai d'ailleurs écrit dans un billet à propos de Marguerite de Navarre, qu'il lui a dédié son oeuvre. Or, c'est une femme.

    A Paule : c'est exactement l'époque où les francais sont venus coloniser le Canada en emportant dans leur bagage mental ce modèle de société là.
    Je ne sais pas où en est le partage des tâches domestiques au Québec aujourd'hui mais étant donné que nous avons les mêmes ancêtres...
    D'ailleurs j'ai une note sur l'une de ces ancêtres née en France et enterrée au Québec en préparation (que tu connais probablement).

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  10. et j'oublie : merci beaucoup, Paule, pour le compliment. Ton appréciation me fait très plaisir !

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  11. A Alice : je tiens à préciser que légalement la femme (française) garde son nom, qui reste le seul officiel, utilisé par exemple en justice. Utiliser le nom de son mari est autorisé seulement en nom d'usage. En ce qui me concerne, je vais me marier et j'accolerai le nom de mon mari avec le mien, tandis que lui fera de même avec mon nom, de manière égalitaire donc. C'est en agissant qu'on fait bouger les choses : un de ses collègues ignorait que c'était possible et veut aussi prendre de le nom de sa femme avec le sien. (réf de la loi : Décret n°2002-1556 du 23 décembre 2002 portant application de l'article 22 de la loi n° 2001-1135 du 3 décembre 2001 relative aux droits du conjoint survivant et des enfants adultérins et modernisant diverses dispositions de droit successoral et modifiant le décret n° 74-449 du 15 mai 1974 relatif au livret de famille )

    A Euterpe : j'ai découvert ton site en lien avec celui d'Olympe, et j'aime beaucoup ce que tu fais. Le travail que tu fais sur les regard est fascinant, et le reste aussi.

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  12. Cette histoire de noms, c'est hallucinant ! Une femme ne peut porter d'autre nom que celui de la personne (homme ou femme)qui l'a reconnue à la naissance ! C'est une loi de la Révolution parfaitement en vigueur. C'est pourquoi les professionnelles diplômées de l'état (Infirmière, Pharmacienne, kiné,...) accolent leur nom "de jeune fille" (ça m'écorche la bouche !) avec leur nom de mariée car le diplôme ne peut mentionner que le NOM de la personne qui l'a obtenu, puisque c'est un document officiel. Dorcha a raison. Il y a une autre bonne raison d'imposer de garder son nom si on tient absolument à se marier (ce que je ne préconise pas), c'est que si vous divorcez, il n'y a pas de problème de "je garde ou pas ton nom"(d'usage) ! Un couple sur deux divorce, il faut y penser. Et il est urgent pour le "matrimoine" des noms que les femmes transmettent leurs noms de famille à leurs enfants sinon dans quelques générations on va tous s'appeler Martin !

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  13. A Dorcha : merci et bienvenue !

    A Hypathie : très juste. Que les femmes gardent donc leur nom. Cette loi de la Révolution a été importée par Napoléon au delà des frontières, d'ailleurs.

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  14. @Dorcha, oui bien sûr en principe (c'est d'ailleurs pour ça que je parle de tradition car c'en est une et pas du tout une loi) mais dans les faits c'est une toute autre histoire. Je suis en train de devenir folle pour avoir le titre de "Mme" et non de "Mlle" car là aussi "Mlle" n'a aucune valeur légale. Sauf que j'en arrive à menacer les adminsitrations (donc l'Etat) de plainte en invoquant ni plus ni moins que les lois de la République. Si c'est pas complètement dingue ça. J'ai eu gain de cause à la banque mais ça ne s'est pas fait comme ça! Et pour le nom, accoler le nom de son mari au sien me semble de plus en plus accepté. Par contre moi je sais que je ne prendrai jamais un autre nom que le mien et je suis fatiguée d'avance à l'idée de devoir me battre pour garder mon nom alors même que la loi stipule que je n'ai qu'un nom valable: celui qe mes parents m'ont donné à ma naissance. Et puis il n'y a pas que le nom. Juste un exemple: un homme qui se marie devient un mari. Une femme qui se marie devient une...femme. ben oui, elle devient une Dame (et plus une Damoiselle) et une Fââââme à part entière par le mariage. L'homme est "homme" au naturel. C'est sans doute pour ça qu'il a fallut inventer le terme de "mari". Bref, pour encore plein d'autres raison, le mariage pour moi c'est niet, no, non, jamais. Choix personnel entièrement partagé par mon compagnon.

    Juste une petite question (si c'est indiscret bien sûr rien ne t'oblige à répondre, hein! pas de souci!): ça se passe comment pour ton mari? Les gens savent qu'il va prendre ton nom accolé au sien? Je connais quelques hommes qui ont accolé le nom de leur épouse au leur mais ils ne sont ni français ni résidants français.
    Je serai curieuse de savoir comment les administrations, les banques, etc vont gérer vos noms. Parce que j'ai des exemples pas triste! sans vouloir te décourager non plus car un nom accolé passe encore pas trop mal. C'est surtout le cas où la femme garde son nom qui est source de tracasseries incroyables.
    Bon préparatifs!

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  15. A Alice :
    C'est pas indiscret, sinon je n'en parlerai pas. Pour ma famille, ma mère a trouvé ça bizarre, je lui ai dit que c'était égalitaire, elle a convenue que oui. Dans son boulot, le secrétaire qui ne savait pas que c'était légal, a demandé l'article de loi (c'est pour ça que je l'avais exactement) et lui demandera de refaire tout ses papiers (il est militaire), mais c'est bon. Pour le reste, on verra, j'envisage : la loi dit ça avec la référence, si vous refusez on va ailleurs (au moins pour ce qui est banque). De toute façon, s'il ne peut pas, c'est moi qui vais galérer, parce que dans ce cas je garde uniquement mon nom.
    De toute façon, il faut se battre pour tout, tout le temps ou presque. Je me souviens avoir menacé quelqu'un de l'appeler damoiseau, s'il continuait avec ses "mademoiselles".

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  16. Avec ma femme, nous nous sommes mariés en Slovénie. Chacun peut choisir son nom de famille et même un différent l'un de l'autre. J'ai accolé le nom de ma femme au mien et elle a fait pareil en gardant son nom de naissance en premier. du coup je suis Mr A-B et elle Mme B-A. C'est génial cette possibilité.
    Par contre il est évident que toutes nos administrations ne comprennent pas du premier coup. Et on doit faire les modif à chaque fois. Mais c'est notre choix et on entend bien le faire respecter.

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  17. A diego f. : cela ne m'étonne pas de la Slovénie. C'est un pays qui m'a l'air sympa avec des femmes très indépendantes. Je connais deux femmes slovènes (qui ne se connaissent pas) et elles savent toutes les deux bien ce qu'elles veulent. Elles sont natures, directes et bien dans leur peau. Ce doit être un pays agréable à vivre moins compliqué et plus souple que la France !

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