vendredi 20 août 2010

Marie Cailler et Gélonis Salmon-Macrin, élèves-épouses

Inspirée par le billet d'Alice qui dénonce la néopédophilie ambiante de ce début de siècle, j'ai mis un peu le nez dans le vie privée de ces écrivains et juristes qui légifèrent si bien sur les relations hommes-femmes, et recherché pourquoi ils tiennent tant à subordonner ces dernières. En fait, ils ne veulent pas seulement les subordonner mais les prendre à la fleur de l'âge et les éduquer à leur convenance. Fi des femmes- femmes et bienvenue aux fillettes-épouses !
Ce n'est pas pour rien que Molière écrivit un siècle plus tard "L'école des femmes". Il y avait de la matière à et depuis longtemps.
Aymeri Bouchard auteur de "De la nature des femmes" qu'il rédigea parce que les femmes l'auraient pris pour avocat, afin de le charger de les défendre contre
André Tiraqueau, auteur du De legibus connubialibus », écrit :

« Le juge Tiraqueau, qui venait d'épouser en 1512, à vingt-quatre ans, demoiselle Marie Caillé, âgée de onze ans, recherchait les meilleurs moyens d'instruire, éduquer, former sa jeune épouse. A cet effet, il consulta les anciens, et, après avoir considéré une multitude de textes, il composa hâtivement un traité De legibus connubialibus, auquel il fit travailler, à ce qu'on suppose, les jeunes et savants cordeliers de Fontenay et qui fut imprimé en 1513. »

Par ailleurs, Rabelais note que Cette culture qu'acquirent les femmes au XVIe siècle, à commencer par la sœur et la fille du roi, Marguerite de Navarre et Marguerite de Savoie, faisait l'admiration de Salmon-Macrin et de beaucoup d'autres». C'est à dire : de Tiraqueau également. Mis à part que la culture de ces deux Marguerite leur venait d'une femme sans homme : Louise de Savoie, veuve à 18 ans et qui le resta jusqu'à lafin de sa vie afin de jouir de toute son autonomie !
Ainsi le poète de langue latine Salmon-Macrin, demanda à Gélonis (ou Guillone), sa future épouse (15 ans, lui 35), d'apprendre des rudiments du latin avec son frère, et continua par la suite lui-même de parfaire cet enseignement, il s'adresse ainsi à sa fiancée :

je t’en prie, ose étudier les rudiments et l’exercer, en prenant ton frère pour professeur sur les petits livres que je viens de t’envoyer. Une fois acquis ces premiers éléments, grâce aux efforts de ton frère et aux tiens, je remplirai à mon tour son office, je t’apprendrai, à toi qui dois devenir mon épouse des choses qui nous seront à tous les deux fort agréables, et je te perfectionnerai avec de très douces Camènes*, étendu sur le sein brûlant de ton mari, échangeant avec lui baisers et folâtreries.

Dreux Du Radier compte Gélonis dans sa "Bibliothèque historique et critique du Poitou" (édit Ganeau, 17..) au nombre des “ savantes poitevines". Il en adresse des éloges à Macrin afin de le soulager du chagrin de sa mort, et, dans la foulée, nous informe qu’elle savait composer des vers (mais où sont-ils ?).

Ainsi Salmon-Macrin jouait avec délectation au professeur. Il est tout à son honneur d'avoir souhaité pour sa femme (de 11 ans !) un peu d'érudition plutôt que de vouloir la maintenir dans l'ignorance mais je crains que cela n'ait du surtout servir à son agrément personnel.
Car l'enseignement de Salmon Macrin permit principalement à Gélonis de comprendre les poèmes en latin que lui adressait son époux. D'après ces poèmes, il semble la couver jalousement comme une mari un brin possessif :

Pourquoi teindre en roux les mèches de ta chevelure et les rassembler avec un nœud d’or, toi dont flamboient le sandyx et la robe de pourpre, ô mon épouse, si tu souhaites me plaire ?

Mon Dieu, quelle torture, ce chatoiement soyeux sur le bord des tempes, qui se fond graduellement dans l'or brun des cheveux ("Lolita" Nabokov)

Tu es assez élégante si tu peux plaire à ton fiancé ; méprise ce que répète à ton sujet la renommée bavarde : une dame vertueuse, je te l’assure, ne recherche pas les regards du grand nombre.

Don’t talk to strangers ("Lolita" Nabokov)

Ne va pas sans raison, lumière de ma vie, te consumer, abîmer par des pleurs immodérées ton éblouissant visage : je reviendrai, je te désirerai, les jours d’hiver me ramèneront. Alors te sera fidèlement rendu le capital lui-même, sans oublier, objet de tes longs désirs, le produit des intérêts annuels : tu reconnaîtras n’avoir rien perdu à attendre

Elle n’avait, voyez-vous, absolument nulle part où aller. ("Lolita" Nabokov).

… dès qu’à nouveau je dus regagner cette odieuse Cour, voici qu’à nouveau l’amour m’assaille et réveille les agitations effrénées de mon esprit délirant, encore plus cruellement, plus démesurément, si bien que je paie cher notre douce intimité et notre pratique amoureuse.

the key was in my fist, my fist was in my pocket . ("Lolita" Nabokov).

A quoi bon en effet des fourrures de pourpre sidonienne, à quoi bon des appartements lambrissés et la pierre phrygienne, s’il faut, au comble du chagrin, coucher dans un lit vide,
Sans plus tarder, voici que je reviens, ne t’afflige pas ! Alors, autour de ton cou, je jetterai mes bras de cire, aussi étroitement que le lierre rampant étreint l’orme.

I really did not mind where to dwell provided I could lock my Lolita up somewhere ("Lolita" Nabokov).

Cesse, je t’en prie, ton odieuse plainte, ô ma fiancée qui m’est plus chère que moi-même, je resterai inébranlable et rien, sauf la mort seulement, ne mettra fin à ma flamme.

A l’hôtel, nous prîmes des chambres séparées mais, au milieu de la nuit, elle entra chez moi en sanglotant et nous nous réconciliâmes très gentiment. Voyez-vous, elle était absolument seule au monde… » ("Lolita" Nabokov)

Le 14 juin 1550, Gelonis décède. Probablement épuisée par les grossesses successives, elle toussait depuis plusieurs années et crachait le sang. Elle n'avait que quarante ans.

On ne sait pas quand est morte Marie Cailler née en 1501, mais André Tiraqueau de 12 ans son aîné mourut bien après elle, à l'âge de 67 ans environ.
Jean Salmon-Macrin est lui aussi décédé après son épouse de 20 ans sa cadette à l'âge de 78 ans.

*Camènes : nymphes chez les Romains que les poètes latins identifient aux Muses.


5 commentaires:

  1. je dirai que les femmes/jeunes filles ont leur part de responsabilité (à nous de nous éduquer un peu mieux à la liberté) : je repense à Spartacus, il est souvent plus simple pour l'esclave de le rester, et de se satisfaire de sa relation au maître (qui lui-même va dépendre de lui). La liberté est chose si difficile. Les jeunes filles.. sont souvent dans une relation de rivalité avec leur mère, avec la femme... elles pourront vouloir user et abuser de leur charme... (et seront elles, le plus souvent, abusées). A nous de les éduquer...

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  2. A lucia mel : Oui mais Spartacus est déjà adulte quand il devient esclave. Une jeune fille qui se retrouve sous la coupe d'un mari avant d'être arriver à l'âge adulte est piégée à moins d'être veuve assez tôt. Louise de Savoie qui a eu la "chance" d'être veuve à 18 ans, en a profité pour éduquer sa fille relativement librement. Elle a aussi eu la chance de trouver un précepteur pro-féministe (Cornelius Agrippa). Ainsi sa fille, Marguerite de Navarre, est devenue LA femme libre (relativement) du XVIe siècle. Au fond, cela en imposait énormément aux hommes. Tiraqueau et Salmon-Macrin aurait voulu "éduquer" leur épouse en prenant la reine de Navarre pour modèle, mais épouser une fille de 11 ans ou même de 15 ans en étant adulte et beaucoup plus mûr, et jouer les précepteurs tout en couchant avec son élève c'est juste de l'abus qui la détruit. Les rivalités avec les parents, c'est autre chose, car ils sont amenés à lâcher leurs enfants ne serait-ce qu'en mourant alors qu'un époux ne lâche pas sa femme.
    Et aujourd'hui que voyons-nous ? les médias dérobent leur enfance aux fillettes (comme ces maris qui les sexualisaient avant l'âge) et demandent aux petites filles de jouer aux mini vamps pour en faire quoi ? Des putains, des potiches ? Sûrement pas des humains libres, respectables et autonomes, ent tout cas.

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  3. L'âge du mariage, depuis l'antiquité, est dès la puberté. Et jusqu'à la Révolution, on marie les filles, dans toutes les classes sociales, avant qu'elles n'aient quinze ans et les grandes différences d'âge sont fréquentes, la littérature abondent de témoignages en ce sens, et pas seulement au XVI° siècle. Jusque voici quelques décennies, on pouvait encore demander une dispense à partir de quinze ans, avant la majorité pourtant à vingt et un ans.

    Aujourd'hui encore, hors des pays occidentaux, les filles sont mariées très jeunes (et les mariages "arrangés" par les familles la plupart du temps).

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  4. A Floréal : Merci pour la précision néanmoins j'ai très conscience que ce phénomène, en effet, ne concerne pas que le XVIe siècle ni l'Europe. Mais cela ne rend pas la chose moins condamnable puisque l'on sait entre temps que les adolescents laissés livrés à eux-même s'aiment entre adolescents et choisissent rarement un "partenaire" de vingt ans plus âgé même si cela arrive (cf "Le liseur" de Bernhard Schlink). Quand cela arrive ce n'est pas non plus obligatoirement pour se lier à vie en se soumettant à des lois qui déterminent autoritairement les rôles de chacun.
    Au XVIe siècle, l'âge légal du mariage était de douze ans. Douze ans est un âge où l'on approche avec très grande circonspection l'autre sexe. Pas un âge où l'on se jette du jour au lendemain dans des activités sexuelles soutenues. Imposer cela à une jeune fillette prépubère est purement du viol. La prostitution est aussi une pratique ancienne, elle n'en est pas moins odieuse. Je ne pense pas que tu sois en désaccord là-dessus.

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  5. Tout à fait d'accord.

    D'ailleurs dans la Rome antique, on donnait aux filles prépubères des potions supposées hâter l'arrivée des premières règles. Ceci pour les marier plus vite: une bouche de moins à nourrir mais surtout, dans les familles patriciennes, pour accroitre la natalité, ce qui avait surtout pour effet d'augmenter la mortalité féminine pour cause de grossesse et d'accouchement à un âge trop précoce.

    Mais c'est encore ainsi hors du monde occidental où il n'est pas rare que les femmes soient mères à 15 ans, grand-mères à 30, et arrières-grand-mères à 50, si elles sont encore vivantes...

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