lundi 2 août 2010

Claude de Taillemont, promoteur de la littérature féminine



Après quelques publications féminines ponctuelles antérieures émanant de princesses, un livre de femme du peuple paraît à Lyon au début des années 1540 : „Les comptes amoureux par Madame Jeanne Flore“.

Sur le modèle du „Décaméron“ de Boccace, des histoires „sentimentales“ sont commentées par une réunion de conteuses fictives. Les commentaires sont ponctués de „cheres compaignes“, „cheres et amoureuses compaignes“, „cheres et amoureuses compaignes“, cheres mes dames“. Ce livre féminin s'adresse à un public féminin.

Michèle Clément parle d'une „émergence littéraire des femmes à Lyon à la Renaissance“ due à „une volonté de redéploiement du champs littéraire“ car „Aux comptes amoureux“ succèdent les „Rymes“ de Pernette du Guillet, les „Oeuvres“ de Louise Labé, et un texte destiné „aux nobles dames lyonnaisesqui est attribué à Jean Scève ainsi que la „Louenge du bal“ d'un certain Jean de Tournes (qui signe J.D.T.) et qui est adressé lui aussi „Aux dames“.

Un redéploiement du champs littéraire vers un public féminin, donc, mais aussi vers une production au féminin.

Ainsi des imprimeurs/libraires/éditeurs publient des oeuvres feminines selon cette chronologie :

Le „Caresme prenant du coeur bienheureux“ de Marguerite de Navarre (par Pierre de Sainte-Lucie qui reprend une publication d'Augureau).

À la resqueste de treshaulte et puissante princesse“ d'Anne de France (par Pierre de Sainte-Lucie, 1534).

Les „Angoysses douloureuses qui procèdent d'amours“ d'Hélisenne de Crenne (par Denis de Harsy, v. 1539).

Les „Comptes amoureux“ de Jeanne Flore (par Francois Juste sous le titre de „La Pugnition de l'amour comtempté“, 1540 ; et Denis de Harsy sous le nom des „Comptes amoureux“, 1542).

Les „Rymes“ de Pernette du Guillet (par Jean de Tournes, 1545).

La Fable du faux cuyder“ de Marguerite de Navarre (par Jean de Tournes, 1547).

Les Marguerites de la Marguerite des princesses“ de Marguerite de Navarre (par Jean de Tournes, 1547, réédité par Guillaume Roville, 1549).

Le Triomphe de l'Agneau avec la complainte d'un prisonnier“ de Marguerite de Navarre (par Pierre de Tours, 1549).

Les „Oeuvres“ de Louise Labé (par Jean de Tournes, entre 1555 et 1556).

Cette production débute par un „Épître aux dames lyonnaises“ d'Antoine du Moulin demandant solennellement aux dames d'écrire et de publier. Plusieurs hommes le soutiennent dans cette démarche : Maurice Scève, Jean de Vauzelles, Jean de Tournes et le mari de Pernette du Guillet.

Claude de Taillemont (v. 1504 ? - 1548 ?) s'ajoute à cette liste en relayant cette demande en 1553 dans le „Discours des champs faez à l'honneur et exaltation de l'amour et des Dames“. Comme dans „Les Comptes amoureux“, ces discours sont agencés sur le modèle du Décaméron de Boccace. Claude de Taillemont y loue les dames et en appelle explicitement à la création féminine. Cela se passe juste avant l'épître de Louise Labé à Clémence de Bourges (voir Louise Labé, les preuses et les peureuses).

C'est la raison pour laquelle les spécialistes doutent que Jeanne Flore soit l'autrice de ses „Comptes amoureux“ et même qu'elle est réellement exister. Ils pensent que ce livre est une construction destinée à encourager la production féminine. Mireille Huchon a préféré douter de Louise Labé qui est plus médiatique, personne ne connaissant les „Comptes amoureux de Madame Jeanne Flore“.

Les "Comptes Amoureux" proviendrait de la collaboration de plusieurs personnes, femmes comprises.

Mais le doute subsiste et il n'existe pas moins de 17 études actuelles, uniquement consacrées à l'oeuvre de Jeanne Flore !

En attendant de citer des passages des "Comptes Amoureux", je prête la parole à Claude de Taillemont qui en serait l'un des co-auteurs, pense t-on, du fait de ses "Discours", sans contexte très pro-féministes :

N'a esté jusques aujourd'hui le vouloir et consentement de nos prédecesseurs, tant misérables et pervers, que mus des erreurs d'autrui ou de leur propre ignorance, ils n'ont permis aus esprits féminins gouter ce doux fruit de science et doctrine (…) Mais que signifie qu'il y a encore de tels fols au monde, lesquels sans aucune considération, diesent et maintiennes la femme ne pouvoir ni devoir savoir aucune chose ? (…) Si elles estoient instruites es lettres, comme les hommes, je m'ose bien pour elle promettre l'avantage...

6 commentaires:

  1. Je ne connais pas ces contes-comptes d'amour, nous en direz-vous davantage?

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  2. Quand je lis ce dernier paragraphe, je me demande quand même si les siècles précédant le très désastreux XIXème pour les femmes, n'étaient finalement pas plus éclairés ?

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  3. C'est incroyable ce croisement dans nos rencontres littéraires, Boccace que je cite aujourd'hui même, tout comme Hypathie cite St François d'Assise dans son dernier article. Nous sommes branchées sur les mêmes "canaux"...
    A bientôt et encore merci pour ces intéressantes recherches sur les poétesse du XVIème siècle...

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  4. @ Hypathie

    Je crois tout de même que ces hommes qui souhaitaient l'éducation des filles étaient très minoritaire, le poids de la religion étant prédominant, peu de chance qu'un être qui n'avait pas "d'âme" puisse faire quoi que ce soit de façon indépendante... pire qu'un animal, voilà comment les femmes sont considérées dans l'histoire, et il est temps que cela change vraiment, surtout quand on voit la tronche du monde qu'ils nous bâtissent... les "dominateurs"omnipotents...

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  5. Je pense qu'au cours des siècles passés, les hommes souhaitant l'instruction des femmes ne devaient pas être très nombreux...

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  6. A Tania : oui, en effet, ce sera le sujet de mon prochain billet. Je suis littéralement plongée dans ces drôles de "comptes" !

    A Hypathie : le temps de la Réforme qui remettait en question la religion et où l'on espérait un changement des rapports de forces dans la société, était propice à l'expression de ces hommes qui, à toutes les époques, détestent le sexisme. Mais comme le dit bric à brac baroque, le poids de la religion, c'est à dire la reconquête par la violence du pouvoir religieux...et c'est d'ailleurs pourquoi certains hommes aimeraient se débarrasser du patriarcat (soutenu par l'Église). Ils savent bien que l'abus de pouvoir masculin sur les femmes fait partie d'un ensemble d'abus de pouvoir dont ils sont également les victimes.
    Le XIXe, siècle de la Révolution industrielle, commence à avoir besoin d'humains-machines. La femme reviendra au devant de la scène lorsqu'on aura besoin de consommatrices. Zola le fait bien ressortir dans son roman "Au bonheur des dames".

    A bric à brac baroque : oui, en effet, et c'est sympa ce "branchement", je trouve !

    A Fille du midi : difficile à dire puisqu'ils n'avaient pas souvent l'occasion de s'exprimer. Ils ont été un peu comme les laïques d'origine musulmane aujourd'hui : obligés de garder leur opinion pour eux.
    Néanmoins, on observe dans les sociétés musulmanes contemporaines les plus intégristes (en Somalie, par ex.), des pères qui tiennent absolument à ce que leurs filles soient instruites parce qu'ils le sont eux-mêmes suffisamment pour se rendre compte qu'une mère analphabète ne peut guère apporter de soutien à l'instruction de son fils. Même si ce n'est pas directement pour le bonheur des filles, il y a là une réelle conscience que l'oppression des femmes dessert aussi le sexe opposé.

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