jeudi 15 mars 2012

La mère de la médecine féminine

Parler de la médecine du XVIe siècle aujourd'hui peut paraître ridicule si l'on ne met pas de côté l'idée reçue qu'elle serait essentiellement lacunaire et rien d'autre. Or il est nécessaire d'avoir constamment à l'esprit que certaines connaissances ont belle et bien été perdues du fait de la persécution des herboristes et "sorcières" et d'autre part même si l'on ne possédait pas l'attirail technique d'aujourd'hui on se doutait bien qu'il y avait des microbes qui transmettaient les maladies même si l'on n'était pas en mesure de les voir. On ne sait pas exactement qui a inventé le microscope mais sa capacité d'observation des "animalcules" comme on appelait à l'époque les microbes ne se développa que dans la seconde moitié du XVIIe siècle et cependant même les Grecs les avaient pressentis.
D'ailleurs la connaissance du phénomène de la contagion est tout à fait perceptible dans cette lettre de Marguerite de Navarre à Anne de Montmorency en automne 31, période où la peste ravage l'Ile-de-France :
"elle [Louise de Savoie, sa mère ainsi que celle de François Ier n.d.l.r.] a eu assez bonne nuit et dit que si elle se trouve demain ainsi, elle partira, ce de quoi sont d'opinion tous nos médecins et ceux de Paris, car le danger est ici si grand, que je n'ose écrire au Roi ni à la Reine, ni à vous, de peur que ma lettre se sente de l'air".

Fichier:Trotula of Salerno.jpg

La médecine est donc bien antérieure aux technologies contemporaines et soigner les gens a été possible sans elles. Pour ce qui est de la médecine au féminin, la mère de la médecine généraliste féminine et de la gynécologie féminine est sans conteste Trotula de Salerne qui la pratiqua de la fin du XIe s. au début du XIIe.

Le terme de "Trotula" désigne aujourd'hui les trois textes écrits par elle : Les Maladies des femmes, Traitements pour les femmes, et Soins cosmétiques pour les femmes.

Dans Les Maladies des femmes, elle prôna entre autres l'accouchement sans douleur grâce à l'opium (cf. Trotulae curandarum aegritudinum mulierorium ante et post partum (traitement des femmes malades avant et après l'accouchement)).
Au Moyen-âge, puis à la Renaissance, les scientifiques tentèrent de la faire passer pour un homme, refusant l'existence d'une femme médecin et l'église catholique refusa ses techniques dites « maudites » puisque la volonté de Dieu était celle de l'enfantement dans la douleur (« dans la peine tu enfanteras des fils », Genèse, 3.6).
Elle pratiquait la césarienne et fut la première personne à recoudre le périnée en cas de déchirure. Elle développa même un moyen pour prévenir ces déchirures.

Dans le Traitements pour les femmes, elle jeta les bases de la médecine féminine (De passionibus mulierum curandarum, Trotula Major, son ouvrage fondamental). Elle y dressa la liste des traitements pour les différentes affections dont pouvaient souffrir les femmes (ainsi d'ailleurs que quelques problèmes de santé masculins). On y trouve peu d'explications sur les causes du problème de santé et ce sont les soins à donner qui sont d'abord et avant tout décrits. Les problèmes abordés sont variés, allant du coup de soleil à la stérilité. Les remèdes font souvent appel à des mélanges d'herbes et d'épices. Les traitements recensés trouvent leur source dans la tradition orale des régions méditerranéennes.

Dans Soins cosmétiques pour les femmes (De Ornatu Mulierum, L'Ornement des dames), elle décrit des techniques pour blanchir les dents, purifier la peau, s'épiler, et colorer les lèvres. Ce texte est plus court que les deux autres. Beaucoup des soins qui y sont décrits sont d'origine musulmane.

Trotula de Salerne fut l'une des premières à considérer l'hygiène, une alimentation équilibrée, l'activité physique comme des éléments importants pour la santé et à prévenir les gens contre le stress.

Par contre on ne sait pas quelles sont ses apports directs à la médecine généraliste parce que ce que l'on ne se serait jamais permis avec un Galien ou un Avicenne, on se l'est permis avec Trotula : modifier et compléter son encyclopédie au fil des ans. Ben oui, c'était rien qu'une femme, hein !

7 commentaires:

  1. Je ne voudrais pas avoir l'air de monopoliser , mais je suis très heureux que vous citiez Trotula de Salerne car par le plus grand des hasards je viens d'en entendre beaucoup de bien par ma fille qui est sage-femme et qui tient les mêmes propos que vous .
    "Sage-femme" ,métier considérée comme subalterne par certains gynécologues masculins mais qui rend bien des services quand même quand ces messieurs de garde la nuit ne daignent même pas se déplacer pour des "broutilles"!

    RépondreSupprimer
  2. A coup de grisou : ah super ! J'ai hésité parce qu'elle n'est pas du XVIe siècle mais elle prouve que bien avant cette époque il y avait des spécialistes féminines en gynécologie !
    Oui en France, les sages-femmes sont dépréciées mais en Allemagne, elles ont ouvert des cabinets à une époque où l'on pouvait accoucher absolument sans médecin. Maintenant elles tiennent des maternités où ne se trouvent également que des sages-femmes. Et n'importe quelle femme même qui accouche de son premier enfant peut y accoucher sans médecin.

    RépondreSupprimer
  3. Encore une super découverte ! Est-ce que tu saurais si Salerne correspond au village de Salernes (avec un "s") proche du mien ?

    En tous cas, le fait d'avoir écarté les femmes de la médecine nous a privé.e.s d'un savoir-faire ancestral plus proche de la nature et moins froid/technique (on peut faire le même constat avec l'agriculture, d'ailleurs). Et cela a fait du tort aux femmes en termes d'efficacité des prises en charge: certains se sont permis de pérorer et faire les grands spécialistes sur des sujets qu'ils ne connaissaient que de l'extérieur et à travers la théorie seulement (accouchement, avortement, menstrues) avec de regrettables conséquences.

    La profession se re-féminise et l'on re-découvre les vertus des plantes et médecines alternatives. Tant mieux !

    PS: on parle beaucoup en ce moment d'Artémisia Gentileschi que tu nous avais fait découvrir ici. Une expo lui est consacrée accompagnée un peu partout dans les médias d'une super réhabilitation. Tu es au courant ?

    RépondreSupprimer
  4. A Héloïse : non c'est Salerne en Campanie (Italie) qui accueillit la plus ancienne université de médecine d’Europe, la Schola Medica Salernitana, la plus importante en Europe au début du Moyen Âge et la première Université non religieuse dans laquelle on pouvait étudier librement des textes grecs, arabes et juifs. Beaucoup de femmes furent autorisées à venir y étudier et y enseigner à côté des hommes, Trotula fut de celle-là. A l'époque et jusqu'au moins au 16e siècle l'Italie était le pays le plus évolué d'Europe. Mais comme on le voit également aujourd'hui, chez les femmes les droits acquis ne le sont jamais pour toujours.

    Pour Artemisia Gentileschi, j'ai vu qu'il y avait une expo au musée Maillol. J'espère qu'il y aura un catalogue ! Un catalogue d'art réunissant les oeuvre d'une seule femme à la fois est ce qu'il y a de plus rare en France.

    RépondreSupprimer
  5. Merci de nous faire connaître Trotula, l'histoire des soins médicaux ne peut se passer des femmes, encore aujourd'hui.
    Délicatesse de Marguerite de Navarre : "de peur que ma lettre se sente de l'air"...

    RépondreSupprimer
  6. On voit à travers ton article qu'elle développe un savoir fin et empirique (la médecine, quoi!) sur la santé et les besoins des femmes. Il serait équitable de donner son nom à un hopital, je trouve.
    Précision : les sages-femmes en France sont profession médicale (pas para-médicale comme les infirmières, les kinés et les pharmaciens...) elles peuvent travailler en libéral, suivre une grossesse non pathologique, donner des cours de psycho-prophylaxie, et accoucher les femmes par les voies normales, et c'est remboursé par la Sécurité Sociale. Et c'est moins cher parce que leurs actes sont moins chers.

    RépondreSupprimer
  7. A Tania : oui même si beaucoup d'entre elles (et pour certains hommes c'est le cas aussi) sont prises aujourd'hui dans un rythme qui a plus à voir avec la rentabilité instituée par un pouvoir mâle sans âme et s'éloignent totalement de leur vocation initiale. D'ailleurs, je viens de découvrir qu'elle aurait été mariée au médecin Platearius, l'auteur du Livre des simples médecines (voir mon billet précédent) !

    A Hypathie : oui elle a obtenu le titre de "tanquam magistra" ("quasi magistra" (l'équivalence de "maître"), statut inhabituel et exceptionnel pour une femme de l'époque. La pratique gynéco obstétricale était quand même avant elle quelque peu empirique et assez teintée de rites magico religieux mais cela était bien entendu du au manque d'accès des femmes aux études de médecine qui auraient du être et devraient être toujours accessibles à tous et à toutes quel que soit leur sexe !

    RépondreSupprimer