mercredi 21 mars 2012

La médecine des femmes (suite)

Hier je me suis rendue à l'herboristerie de mon quartier pour me renseigner sur certaines substances purgatives (le commencement du printemps étant la meilleure saison pour opérer rangement et nettoyage aussi bien à l'intérieur du corps qu'à l'extérieur). Là, j'ai découvert que l'herboriste (une femme, qui n'a d'ailleurs que des femmes comme clientes) avait consigné à la main dans divers cahiers et carnets, des recettes accumulées au cours de sa vie et peut-être même héritées de plus loin. Comme je lui avais posé une colle parce que ma recette était d'origine française et que les mêmes plantes qui poussent en France ne poussent pas dans le nord de l'Allemagne, elle a sorti tous ses fameux vieux grimoires les plus secrets pleins de notes parfois soulignées, d'autres fois surlignées, et à un moment donné j'ai souri intérieurement. J'avais l'impression d'avoir tout à coup devant moi à travers cette dame toutes les générations de femmes du fond des âges qui à chaque désagrément et pour la santé d'autrui avait une réponse en forme de recette à base de plantes. Le bruit des voitures dans la rue avait disparu, les murs du magasin aussi, il me semblait être dans un cabanon au fond des bois avec une vieille femme coiffé d'un fichu tenant un manuscrit en parchemin avec des doigts déformés par l'arthrite tandis qu'hululait un hibou insomniaque à la fenêtre. C'était très émouvant.

Pour en revenir à Trotula de Salerne (ou Trotula de Ruggerio), dont on ne parle même pas dans cet article sur la médecine du IVe au XIVe siècle, bien qu'un important paragraphe soit consacré à Salerne, il semble que dans le monde musulman la féminisation de la médecine ait également été en marche à cette époque et que les hôpitaux musulmans seraient ceux qui auraient les premiers employé des femmes médecins. Les plus célèbres auraient été deux femmes médecins de la famille d’Avenzoar qui ont servi Abu Yusuf Ya'qub al-Mansur sous la loi des Almohades au XIIe siècle. Plus tard au XVe siècle, des chirurgiennes ont été mentionnées pour la première fois dans l'Atlas chirurgical musulman Cerrahiyyetu'l-Haniyye (Chirurgie Impériale). Malheureusement personne ne s'est donné la peine de retenir leur nom ou de se fendre directement d'une petite biographie. Ca aurait été trop demandé.

En dehors des écoles de médecine et de la médecine officielle à laquelle les femmes n'avaient à part exception exceptionnelle pas du tout accès, les femmes semblent avoir eu leurs propres remèdes développés lors de leurs expériences des maladies ou transmises de bouche à oreille dans le gynécée. Ce que d'ailleurs les médecins d'aujourd'hui reprochent à ces femmes d'hier qui auraient pu d'après eux ouvrir un livre de médecine pour mieux se renseigner, parce qu'il entrait beaucoup de superstitions dans la médecine empirique féminine, responsables de pas mal de morts et de souffrances inutiles. Néanmoins personne ne s'est précipité à l'époque pour laisser les femmes étudier afin d'empêcher cela alors il est bien facile de montrer les femmes du doigt aujourd'hui quand on a si longtemps cultivé le précepte bien connu "plutôt morts et souffrances que femmes savantes".

On trouve des traces au XVIe siècle de ces "remèdes de bonnes femmes" (qualificatif sous lequel on s'est plu à dégrader les contributions scientifiques féminines) ainsi de Marguerite de Navarre à propos de la "petite vérole" dans l'une de ses lettres inédites :

"Mademoiselle de Clermont arriva samedi dernier, qui n'a point apporté de mélancolie. Elle se loue fort de madame de Clermont sa belle-mère ; vous le pouvez dire au comte et à la comtesse de Vertus [François de Bretagne et Charlotte de Pisseleu, comte et comtesse de Vertus] que vous irez visiter de ma part, et direz à la comtesse qu'il me déplaît bien de quoi elle a cette vilaine maladie ; toutefois que je l'ai eu la plus grosse qui fut jamais, et s'il est ainsi qu'elle l'ait prise, que l'on m'a dit, je voudrais être près d'elle pour lui garder son teint, et lui faire [ce] que j'ai fait ; ...".
Marguerite de Navarre parle de la variole une maladie qui a été éradiquée en Europe mais sévit encore aujourd'hui sur d'autres continents.
A ce qu'écrit la reine de Navarre, elle l'a elle-même contractée de façon spectaculaire "la plus grosse qui fut jamais" et semble s'être soignée elle-même de manière à "garder son teint". Car cette maladie laisse de très laides lésions cutanées sur le visage.

En fait, dès le XIe siècle, les Chinois.e.s savaient s'en vacciner par le contact du/de la patient.e avec le contenu de la substance suppurant des vésicules d'un malade. (Le "vaccin" de Pasteur n'étant à la base qu'une immunisation contre une autre forme de variole : la variole de la vache).

En France on n'apppliquera cette méthode que beaucoup plus tard (vers la fin du XVIIIe s.).

8 commentaires:

  1. Qu'on ait supprimé les herboristeries et la formation qui va avec est un scandale .

    Voici la réponse de la secrétaire d'état ( Rama Yade) en 2010 concernant la loi sur la faculté d'exercer le métier d'herboriste en France :
    publiée dans le JO Sénat du 28/04/2010 - page 2826 après une question de M. Jean-Luc Fichet
    http://www.senat.fr/questions/base/2010/qSEQ10020825S.html
    ...Résultat , ce sont les pharmacies et les grandes surfaces qui vendent leurs fameuses gélules fabriquées industriellement !

    J'ai toujours été soigné par les plantes , avec ces fameuses recettes de grand-mères qui ont couru jusqu'à extinction de la dernière femme herboriste de mon village .
    Les seules fois où j'ai dû prendre des médicaments chimiques j'ai eu de graves conséquences (psoriasis, vomissements et même hépatite médicamenteuse), car les effets secondaires sont chez moi beaucoup plus "efficaces" que les effets principaux!
    Ce sont toujours les femmes qui ont soigné les gens , même les anciens hôpitaux étaient tenus par des religieuses , les médecins eux étaient des hommes !

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  2. A coup de grisou : ah oui d'accord, la réponse de Rama Yade sert juste à se défiler. "Certaines plantes peuvent être vendues ailleurs qu'en pharmacie" mais où ?
    Et puis cette interdiction qui date du maréchal Pétain ! Tout un symbole !

    Cela dit, de mon côté, je n'ai pas trouvé ce que je cherchais chez l'herboriste mais à la pharmacie. La première pharmacie a regardé sur internet si le produit existait sous forme pharmaceutique mais s'est méfiée, ne voulant pas être responsable d'une automédication qui tournerait mal et m'a donc refusé le produit.
    Je suis ensuite allée dans ma pharmacie habituelle où la pharmacienne me connaît. Elle m'a dit qu'elle pouvait commander le produit.
    Mais apparemment il s'est agi ici de moeurs différentes de l'Allemagne à la France et pas d'interdiction de vente de plantes puisque l'herboriste ne connaissait pas ma recette.

    Oui, en France, il faut relancer le gouvernement, faire une pétition, ce n'est pas normal !

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  3. " ... il me semblait être dans un cabanon au fond des bois avec une vieille femme coiffée d'un fichu tenant un manuscrit en parchemin avec des doigts déformés par l'arthrite tandis qu'hululait un hibou insomniaque à la fenêtre. C'était très émouvant."

    Une sorcière, quoi ! C'est vrai que c'est émouvant les sorcières :-)

    Une pétition pour réintroduire la formation d'herboriste, je suis pour, mille fois pour !!! Tenez-moi au courant si une initiative de la sorte voit le jour.

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  4. Tiens, je t'ai trouvé un article tout chaud du Monde, journal sérieux s'il en est, sur le métier d'herboriste, article qui montre bien les intérêts industriels en jeu :
    http://www.lemonde.fr/sante/article/2012/03/19/herboriste-un-metier-interdit-qui-aspire-a-renaitre_1670314_1651302.html
    L'herboristerie souffre aussi de l'image (sexiste) de "remède de bonnes femmes", alors qu'on sait que notre pharmacopée moderne sort des plantes et des forêts. Preuve ? Les labos et cosméticiens achètent des hectares de forêts pour stopper la déforestation, et ce ne sont pas des philanthropes !

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  5. A Héloïse : ben oui puisque "Kräutersammlerin" (littéralement "ceuilleuse d'herbes") se traduit par "sorcière" en français! :)
    De ces vieilles femmes n'ayant plus aucune famille et vivotant du commerce d'herbes médicinales et de quelques soins associés, il y en a eu longtemps, je pense. As-tu lu "Marie des brebis" de Christian Signol ? Dans l'histoire, Marie est accusée d'exercice illégale de la médecine et cela se passe au XXe siècle !

    A Hypathie : passionnant ! On y apprend que l'herboristerie a été interdite sous la pression de l'ordre des pharmaciens et que les gélules sont sous-dosées (donc ne servent à rien) + peuvent être de qualité douteuse et souvent industrielles. J'ajouterais que l'enveloppe de la gélule est à base de gélatine de boeuf, ce qui ajoute un composant "carné" d'une part et indésirable de l'autre.
    Ma pharmacienne me refile des fois des trucs qui doivent être prescrits sur ordonnance mais comme j'insiste pour ne pas avoir de pastilles sucrées ou autres gélules mais le produit lui-même, pur ou sous forme d'huile, elle passe outre sachant que je n'en ferais pas mauvais usage.

    Oui la viande est liée aux hommes et les herbes sont liées aux femmes dans l'imaginaire machiste. Donc les herbes sont "inférieures" surtout si elles sont ramassées, séchées, conservées et vendues par des femmes.

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    1. Les gélules, ne m'en parle pas ! Impossible de trouver des gélules faites avec de l'agar agar d'algues au même pouvoir gélifiant. C'est vraiment le truc impossible quand on est végé, les gélules. Pour l'instant, j'insiste auprès de mon médecin (ou de mon pharmacien) pour qu'ils me prescrive la même chose sous une autre forme, en faisant des gestes au besoin parce qu'il ne comprend pas. L'horreur, et se soigner par les plantes dans des gélules, c'est le comble de l'absurdité.

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    2. Je n'ai pas lu "Marie des brebis" mais ça ne m'étonne pas qu'au XXème siècle, la médecine ait été encore un tel pré carré vu qu'au XXIème, elle l'est toujours.

      :-(

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  6. A Hypathie : parfaitement d'accord mais c'est tellement "design" une gélule, tu comprends ! Alors que des plantes séchées sous leur forme normale, comme c'est ringard ! Ca fait moyen-âge, bougie, âge de pierre même !:(
    En Allemagne, il y a un truc sympa que j'ai totalement sous-estimé autrefois ce sont les Reformhaüser. Elles sont issues d'un mouvement apparu au XIXe siècle en Allemagne pour la vie "réformée" c'est à dire plus naturelle. On y trouve des produits médicinaux sous d'autres formes que des gélules, on y trouve même des gélules à base d'agar agar et sinon toutes sortes d'aliments et de produits fabriqués le plus naturellement possible. Ces magasins ont eu beaucoup de succès à l'époque où ils ont été crées et se sont maintenus jusqu'à aujourd'hui.

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