samedi 18 février 2012

Claudette Clauchepied, guérisseuse

* On a vu qu'au XV s., la bulle du pape Innocent VIII, Summis desiderantes affectibus (1484) encouragea la persécution des sorcières. C'est à la suite de cette bulle que deux dominicains allemands, Heinrich Institoris et Jakob Sprenger, composèrent le Marteau des sorcières (Malleus maleficarum, 1487), ouvrage qui prétendait donner les moyens de les identifier infailliblement. Le livre décrit les sabbats, les rapports sexuels avec le diable, les métamorphoses animales pour tromper les humains, etc.; ainsi que la possession diabolique qui se reconnaît à des signes psychiques (comme la perte soudaine de la raison) ou physiques (crispations nerveuses du visage, taches sur la peau, insensibilité a la douleur, etc.). http://www.volkoomen.nl/dieren/geit_bestanden/image004.png
Dans les pays germaniques, on procéda aussitôt à des exécutions massives : en trois mois, 600 dans le petit évêché de Bamberg, 900 à Würzburg. Mais la chasse aux sorcières devait prendre une ampleur et une férocité plus grandes encore au XVIe s., surtout en France, en Allemagne et en Angleterre- L'Italie, moins repliée sur elle-même, ne se prêta guère à ces pratiques.
Loin de tempérer les préjugés populaires sur la sorcellerie, la Réforme les aggrava.
Erasme et Luther croyaient à la présence active du démon dans les âmes ce qui pouvait donner lieu à une interprétation un peu trop littérale. On se passionna rapidement partout pour la démonologie.
Luther et Calvin réclamèrent des châtiments impitoyables pour toutes les personnes suspectes de sorcellerie.
Cependant, des le XVIe s., commença a s'affirmer un courant de protestation contre la démonomanie. Son initiateur fut un médecin calviniste allemand attaché au duc de Clèves (Guillaume II), Johann Weyer, auteur d'un ouvrage de démystification, le De praestigiis daemonum (1563) dont j'ai déjà parlé ici.

*Néanmoins la guérisseuse lorraine Claudette Clauchepied reconnut coupable de sorcellerie fut brûlée en 1601 alors qu'elle allait avoir 66 ans.

Les femmes ont fourni 80 % des condamnés au bûcher. Pour Armelle Le Bras-Chopard (autrice des "Putains du diable") la féminité et le fantasme de sa dangerosité seraient le mobile même de cette persécution. Un phénomène plus politique que religieux. Aujourd'hui, avec la place grandissante des femmes dans l'espace public, les sorcières seraient-elles de retour ? Pourquoi avoir peur de la mixité des sexes ? se demande l'autrice. Il ne s'agit pas de " partager le gâteau ", simplement d'en modifier la recette, sans craindre qu'une sorcière y introduise quelque poison diabolique !

*Personnellement je vois plutôt cette violence liée à la culpabilité des hommes envers leurs propres méfaits et la femme en bouc (chèvre) émissaire. Dans Fukushima au XVIe siècle j'expliquai quel était le point de vue de Corneille Agrippa sur le pillage des ressources naturelles pour un confort plus nuisible qu'utile. Celui-ci exprimait ouvertement ses craintes. Il s'opposait d'autre part activement à la persécution des "sorcières". Ceux qui persécutent les sorcières ne s'avouent pas leur crainte et préfère trouver un.e coupable.  - next picture

D'après Jean-Claude Diedler, les procès en sorcellerie ont particulièrement abondé dans des secteurs miniers : comme autour des mines de fer du Framont et de Grandfontaine dans le massif du Donon, dans la vallée de la Bruche et la région de Schirmeck qui connaissent une activité métallurgique importante au XVIe siècle. Claudette Clauchepied a justement vécu à Sainte-Marie-aux-Mines. Elle est aussi allée travailler dans les mines de Giromagny. Les travailleurs/euses du fer tel Zeus domestiquent en quelque sorte la foudre et le tonnerre. L'épée qu'ils/elles fabriquent rappelle le lien entre la Terre et l'au-delà. La verge de houx de Jeanne Bosdeau (autre "sorcière") est fabriquée avec le bois d'un arbre considéré comme diabolique. Quant au métal, il est extrait des entrailles de la terre.

A ce propos : mauvaise nouvelle, les sorcières sont de nouveau pourchassées et mises à mort. Il est intéressant de constater que cela se passe dans un secteur géologique aussi significatif que l'était la Lorraine en occident au XVIe siècle pour son minerai de fer et d'argent : l'Arabie Saoudite, sans le pétrole duquel nous ne sommes plus du tout ces surhumain.e.s défiant chaque jour de nos sacro-saintes machines la force créatrice universelle !

Et à part cela, * La chasse aux sorcières peut également se faire par des femmes comme celles-ci qui n'ont rien de mieux à faire que de rédiger des insanités sur les vilaines féministes (pléonasme) qui voudraient soi-disant faire du viol le crime des crimes s'appuyant sur les théories de je ne sais quel diplômé scientifique qui trouve pour sa part que l'on "sacralise" la sexualité (il est bien entendu question de participer à l'entreprise de revirginisation d'un certain homme politique bien connu).
M'enfin un petit viol mesdames c'est quand même pas la mer à boire !
Ce qu'il y a de pratique avec les doctorats et les titres de journaliste c'est que l'on peut dire des stupidités qui se résumeraient aussi bien à la phrase citée ci-dessus en les tournant plus doctement pour faire penseur/seuse qui a longuement réfléchi à la question et connaît bien le sujet, ce qui, bien sûr, est exactement le contraire (méconnaissance totale du sujet et zéro réflexion).
Ces gens ne veulent pas "désacraliser la sexualité", ils veulent chasser les sorcières.
Prétendre que les féministes (tiens, il y a "mine" dans féministe !) sacralisent la sexualité c'est faire comme les prêtres qui prétendaient que des femmes sacralisaient le démon et lui vouaient un culte.
Nous ne vouons de culte ni à la sexualité ni à quoi que ce soit d'autre. Foin de ces fausses accusations pour nous livrer aux couteaux !
Ah j'allais oublié de le préciser : la sorcière saoudienne a juste été un peu torturée avant d'être exécutée.

(Ill. : oeuvre de l'artiste forgeronne Yzo www.yzo-forge.com)

Edit 17.42 h. : j'ajoute que Hypathie a écrit il y a un an, un excellent billet sur le livre d'Armelle Lebras-Chopard "Les putains du Diable" avec en question finale le retour des chasses aux sorcières est-il possible ? Oui malheureusement car on y est : dans la province de Jawf en Arabie Saoudite, Amina bint Abdul Halim bin Salem Nasser âgée de 60 ans a été décapité le 11 décembre 2011 pour "sorcellerie".

9 commentaires:

  1. Une forgeronne qui travaille dans les Forges de Vulcain, ouh la la, mais elle risque le bûcher ! Super son travail, j'aime beaucoup ses sculptures.
    Je me permets de rajouter le lien vers mon billet écrit il y a un an sur le livre très érudit et passionnant d'Armelle Lebras-Chopard sur la sorcellerie et la naissance de l’État moderne dès que les bûchers s'éteignirent : Les putains du diable.
    http://hypathie.blogspot.com/2011/02/les-putains-du-diable.html

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  2. A Hypathie : ah merci ! Je me disais bien que j'avais déjà lu un article sur "Les putains du Diable" chez toi ! Du coup je l'ai relu et mis en lien. Il est vraiment complet et extrêmement passionnant.

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  3. Ces personnes qui souhaitent désacraliser le sexe, c'est-à-dire le neutraliser, se réclament souvent des pro-sexe ... cherchez l'erreur !

    C'est bien parce que la sexualité est apprise comme un plaisir que le viol est une maltraitance. Si l'on en fait un terrain neutre, effectivement le viol apparaîtra comme une simple agression physique mais en contrepartie la sexualité sera une simple activité mécanique de reproduction.


    Cherche pas, elle ne sait pas où elle va avec ses réflexions démagogues ("J'applaudis des deux fesses" ... non, mais quel humour de quiche).

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  4. A Héloïse : personnellement je ne trouve pas que la sexualité soit "apprise" comme un plaisir. Les organes sexuels sont physiologiquement les plus sensibles de nos organes. Physiologiquement nous sommes conçu.e.s pour ressentir des tonnes de plaisir avec eux et programmé.e.s pour rechercher ce plaisir auprès d'une autre personne qui susciterait en nous le désir. Si ces organes sont stimulés de force c'est terrible et la personne qui subit cela tourne sa haine contre son propre corps justement parce qu'alors ses organes ne semblent plus lui appartenir. Le sexe a cette particularité que nos autres organes n'ont pas : ils n'existent QU'en relation à autrui, POUR la relation à autrui. On ne peut pas assimiler le sexe à l'intestin, le coeur, le foie ou le cerveau. Si dire cela doit passer pour une sacralisation auprès d'ignorants comme Sastre and Co, c'est qu'ils sont infoutus de capter des notions élémentaires de physiologie.
    D'un autre côté s'il y avait des violeurs de bouche (ça existe dans la petite enfance parfois) qui vous contraindraient à manger en vous maintenant la mâchoire ouverte de force, le résultat serait assez identique sauf que ça n'existe pas. On voit rarement un client d'hôtel forcer une femme de chambre à avaler...euh, ah oui, si, aussi. :))

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  5. Il n'y a pas que du physiologique dans la sexualité même si tu as raison de dire que les organes génitaux sont les plus pourvus en terminaisons nerveuses (cf, le clitoris, champion en la matière). Mais comment expliquer alors la frigidité (chez les femmes et les hommes)? Le plaisir, le déplaisir ou même l'indifférence sont bien lié.e.s à la façon dont on appréhende la sexualité (éducation + expériences), non ?

    Ce que voudraient ces personnes c'est que l'on se débarrasse de l'affect exagéré (sacralisation) avec lequel on considère la sexualité. Mais plaisir et déplaisir fonctionnent ensemble. C'est en ce sens que ces personnes se tirent une balle dans le pied.

    Pour que le viol ne soit plus qu'une agression physique comme une autre, il faudrait que la notion de plaisir attachée à la sexualité disparaisse. Pour des pro-sexe, la démarche est quelque peu curieuse ...

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  6. A Héloïse': il y a le physiologique qui, hors traumatisme fonctionne parfaitement avec quelques variations de sensibilité due aux personnes puisque nos différences ne se résument pas à notre corpulence et à notre faciès. Après il y a les traumatismes qui engendrent en effet la frigidité (masculine comme féminine) voire l'impuissance (qui chez la femme est confondue à tort avec la frigidité). Je crois que la façon dont on appréhende la sexualité n'est liée à l'éducation que dans la mesure où le corps y est perméable. Je veux dire par là qu'à expérience éducative égale deux enfants (deux filles, par exemple) vont appréhender la sexualité totalement différemment. Pourquoi ? Parce qu'elles sont intrinsèquement différentes et n'ont pas perçu la même éducation de la même manière du fait de leur différence.
    Mais en effet, pour que le viol ne soit plus qu'une agression comme une autre, il faudrait que le sexe ne soit plus le siège du plaisir d'accueillir un.e autre que soit en soi ou le plaisir de la fusion interpersonnelle.
    Parler de sacralisation permet son contraire : la trivialisation, la chosification, la transformation en mécanique morte.
    Cela me rappelle Marc Bonnant (dans la vidéo que Vatapa a publié chez mauvaise herbe en mai 2011) qui disait « Aux Etats-Unis les signes de vitalité de l'homme sont considérés comme autant de péchés » et [aux Etats-Unis toujours] « la femme est sacralisée et sa parole de victime y est considérée comme une parole révélée ».
    Les féministes sont des sortes d'américaines qui vivent dans le monde de la culpabilité ("péchés") (DSK ne saurait être coupable), du respect exagéré ("sacralisation") (réclamer un respect de base relève de la démarche religieuse maintenant) et des victimes qu'on écoute (alors qu'une victime ne s'écoute pas) = des mormones, en fait.
    Les pro-sexes semblent vouloir que l'on prête ses orifices comme, au collège, une gomme et un taille-crayon. Illes sont pour la chosification tout azimut. Et celleux qui sont contre cette chosification, il faut d'après elleux les dégrader en bonnes soeurs.
    On est donc au collège dans l'argument aussi. Le moindre désaccord avec leurs théories immatures et ininformées entraînent quolibets, langue tiré, fesses exhibées si ce n'est jet de pierres.
    C'est lamentable d'imbécilité.

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  7. Oui, c'est ça, le respect exagéré est sûrement la sacralisation dont parlent les pro-sexe. Cela rejoint l'affect exagéré dont je parlais. Et l'acceptation de leur objectivation (chosification) par les agresseurs est leur "solution" anti-souffrance.

    Il y a une super analyse de leur fonctionnement de pensée chez les Féministes Radicales: http://www.feministes-radicales.org/2012/02/20/viol-lemancipation-des-femmes-se-passera-de-toute-justice/

    Extrait:

    > plus j’encaisse sans broncher, plus je suis en « power » ;

    > moins je dénonce les hommes, plus je combats l’état policier, mon seul ennemi ;

    > et plus je transmets mes stratégies de victime (s’anesthésier, oublier, dénier, se dissocier de ses ressentis, anesthésier sa colère envers l’agresseur, la déplacer sur des femmes, ici les féministes), plus je sors de la « victimisation ».

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  8. Je n'aime pas non plus le mot respect, mis à toutes les sauces en ce moment et qui ne fait pas partie de mon vocabulaire. Cela relève du religieux, j'en suis bien d'accord ! Qu'on commence par nous considérer comme des humaines entières, portant chacune notre singularité, sans moitié à trouver quelque part et ça ira bien. Personnellement, je n'en demande pas plus.

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  9. A Héloïse : merci ! Tu as vraiment d'excellents liens (j'ai noté aussi celui que tu as laissé chez Kalista)!

    A Hypathie : respect ne me paraît pas à moi relever du religieux mais c'est vrai que c'est un terme bien galvaudé. Cependant il correspond pour moi au comportement envers les femmes que tu attends (et moi aussi) de la part de la société.

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