Nues féminins du XVIe siècle : miroir dans une main, cheveux dans l'autre.
Nue du Titien : beaucoup de chair mais cachée d'une seule main donc qui ne cache rien. Du reflet dans le miroir on ne voit qu'un oeil. Un petit Éros tient une couronne. .. est-ce une reine de beauté ?
Nue de Véronèse : le dos nu terminé par les fesses à demi visibles occupent le centre du tableau. Il est surmonté par une tête presque entièrement tournée vers le/la spectateur/trice ce qui semble en soi à la limite du possible. Une colombe morte à ses pieds (virginité perdue). Est-ce une courtisane ?
Nue de Rubens : dos et fesses prennent toute la place et semblent surmonter de quatre faces : celle de l'enfant nu et cambré qui tient le miroir et regarde hors du tableau d'un seul oeil, celle souriante du reflet qui regarde hors du tableau de ses deux yeux , celle boudeuse du profil qui regarde le miroir, celle concentrée de la domestique noire qui regarde la véritable tête de ce volumineux corps. Est-ce une hydre ?
(La femme vaniteuse, vierge, courtisane, hydre ou seulement préoccupée d'elle-même ?)
« Le miroir a souvent été utilisé comme symbole de la vanité féminine. Toutefois ce genre de moralisme est des plus hypocrites. Vous peignez une femme nue parce que vous aimez la regarder, vous lui mettez un miroir dans la main puis vous intitulez le tableau VANITÉ, et ce faisant vous condamnez moralement la femme dont vous avez dépeint la nudité pour votre propre plaisir. » (John Berger sur la couverture de son livre "Voir le voir")
Ça me fait irrésistiblement penser à la citation de Virginia Woolf :
RépondreSupprimer"Les femmes ont pendant des siècles servi aux hommes de miroirs, elles possédaient le pouvoir magique et délicieux de réfléchir une image de l'homme deux fois plus grande que nature."
La "vanité féminine" n'est que le résultat de la superficialité masculine. Si les hommes ne cessaient pas d'affirmer que seuls les femmes au physique agréables sont aimables, les femmes ne seraient pas si préoccupées de leur image. Puisque la peur ultime n'est pas d'être laide, mais bien de n'être aimée jamais. Et puisque l'on vous explique encore et encore jusqu'à la nausée que les hommes n'aiment pas les laides, vous vivez terrifiée par l'idée d'une vie entière sans amour. Comme en plus, en tant que femme, on considère que l'amour est votre seule et unique voie d'émancipation et de possible bonheur dans la vie...
Vous êtes donc obsédée par votre physique, mais bon, c'est vous qui êtes superficielle, pas eux...
Je souscris entièrement à la réflexion de Bérénice. Nous pourrions même la résoudre à une équation:
RépondreSupprimerlaideur (d'une femme) = pas d'amour (d'un homme) = pas de bonheur
soit laideur = malheur
C'est violent, non ?
Moi, je dis: court-circuitons le deuxième terme de l'équation et soutenons l'amour entre femmes !
L'usage du miroir en peinture est un sujet bien vaste et super intéressant, tu as raison de l'aborder.
RépondreSupprimerOn voit ici, dans les illustrations que tu as choisies, qu'il n'a pas pas la même fonction à chaque fois: dans les 3 premières il sert à ce que la belle se regarde, une fonction narcissique si on veut, mais dans les deux dernières il est orienté de façon à ce que le spectateur voie l'entièreté du visage de la femme, chose qui semble impossible qu'elle perçoive elle-même dans la position où elle est.
Mais je divague un peu sans doute...
Voici un site (en español) qui commente la Vénus de Velázquez et les effets d'optique dus au miroir: http://teleformacion.edu.aytolacoruna.es/FISICA/document/fisicaInteractiva/OptGeometrica/EspejoPlano/VenusdelEspejo.htm
Bon weekend.
A Berenice : il est vrai qu'une vie sans amour est une punition. On nous fait donc un très sale chantage !
RépondreSupprimerA Héloïse : malheureusement nous sommes très peu à esquiver cette violence.
A Colo : merci pour ce lien qui va m'inciter à reprendre mon apprentissage délaissé de l'espagnol + ajouter des éléments au propos. J'aurais bien aimé être plus profonde dans l'étude de ce thème mais je n'ai eu guère le temps ayant de la visite toute la semaine.
Bon weekend à toi aussi:)
Mais je ne parlais pas forcément d'amour lesbien (même si j'y ai pensé). Je faisais allusion à la solidarité féminine. (Ré)apprenons à aimer notre propre reflet dans le miroir et à aimer le corps des autres femmes, au-delà des canons imposés. Si les femmes cessaient enfin d'être des rivales, ce serait un beau pied-de-nez lancé à ceux qui nous divisent pour mieux régner.
RépondreSupprimerJ'adore la citation de John Berger. Très très juste.
RépondreSupprimerTrès justes tes commentaires et la citation. Mais on peut voir aussi que la perception de la beauté des corps de femmes a bien changé et que la richesse à ces époques obligeait à montrer des corps bien en chair, alors qu'aujourd'hui, les riches sont minces (maigres ?) et les pauvres gros et... donc réputés moches. Sans compter que Photoshop permet de faire des espèces de corps bioniques sans rapport avec le réel. Comme cette femme à la tête en position impossible. Terrifiant : comme si une femme normale leur avait toujours fait peur.
RépondreSupprimerA Héloïse : mais je n'ai pas compris ton com' autrement, l'amour lesbien m'étant étranger (bien que je sois lesbophile à 200 %). Néanmoins quand je me promène dans la rue, je vois que jeunes comme plus âgées une majorité de femmes tentent de se plier au diktat d'une certaine "beauté" qui les contraint à se déformer des pieds à la tête.
RépondreSupprimerA Romane : ce billet n'est qu'un prétexte pour caser cette fantastique citation, en fait :)
A Hypathie : l'exaltation de la chair est remplacée par l'exaltation de l'absence de chair. Aujourd'hui on hypertrophie seulement les parties caractéristiques du féminin : fesses, seins, cheveux. Le reste peu disparaître. Apparemment on considérait dans son ensemble le corps naturel comme un objet de désir et toute surface étant bonne à caresser, leur ampleur ne pouvait ajouter qu'au plaisir. Aujourd'hui le corps naturel est difforme.
Cela dit les maigres et "étiques" (mot que l'on utilise plus puisqu'il n'est plus péjoratif d'être maigre) devaient être certainement discriminées.
Il faut dire qu'à une époque où l'on voyait les pendus se décomposer dans le paysage en temps réel, la maigreur était un peu synonyme de mort.
A Hypathie encore : à bien les regarder ces nues présentent beaucoup plus de ventre et de dos que de fesses et de seins et on coupait plutôt leurs jambes à mi-cuisses que leur tête même si leur tête était dédoublée et dévissée !
RépondreSupprimerUn billet sur le miroir, je sais, mais en revenant aux illustrations, j'y vois surtout des chevelures : chignons savants, parures précieuses... Et puis une rupture, avec Rubens : la femme est "en cheveux", d'une liberté nouvelle, plus nue en quelque sorte.
RépondreSupprimerA Tania : c'est vrai. Mis à part sur le tableau du Titien, toutes ces jeunes femmes portent la main à une chevelure très savamment nouée. Rubens qui ne fait pas parti de l'époque Renaissance mais de l'époque baroque détache pour sa part les cheveux mais ce n'est pas celle à qui ils appartiennent qui les étale à la vue du/ de la spectateur/trice ! Néanmoins les cheveux n'occupent pas une place aussi importante que la chair. Et que diraient ces peintres s'ils voyaient aujourd'hui nos publicités pour les shampooings !
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